Chapitre 5 - JOYEUX NOEL !

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Le pendule sonna minuit lorsqu’Edgar Schinasi et Judith Oberkampf s’embrassèrent langoureusement sous le regard effaré d’Hyppolite Oberkampf. Le petit dernier de la fratrie tourna le dos ne tenant pas plus que sa sœur à être témoin de ce spectacle. Il fit semblant de s’enfoncer les doigts dans la gorge pour amuser Cordélia. Cette dernière resta de marbre. Elle étendit ses orteils contre la banquette en cuir, le regard vague. Hyppolite se jeta à plat ventre au pied du sapin, impatient d’ouvrir ses cadeaux. Cordélia avait pris le soin de marquer le sien au feutre noir. Elle espérait qu’il plairait à Hyppolite. Elle y avait mis une bonne partie de ses économies, tout de même !

— Cordélia, ma chérie. Voilà pour toi. Pour Noël et ton anniversaire. Ne dis rien à ta mère.

Mamina lui tendit une enveloppe aussi légère qu’une plume. Celle-ci contenait deux gros billets et une carte écrite à la main. L’adolescente embrassa sa grand-mère sur les deux joues. Cordélia rougit, gagnée par l’embarras. Sa grand-mère avait une petite retraite et ce présent représentait pour son compte en banque une sacrée dépense.

— Merci, mamie, lui murmura-t-elle.

Elle dissimula l’enveloppe dans la poche de son gilet duveteux bleu marine.

— Offre-toi ce que tu voudras, ajouta la vieille dame.

Cordélia hocha la tête. Elle n'avait pas songé à lui acheter le moindre cadeau, persuadée que sa mère le ferait pour elle. Son cœur se pinça. Elle aurait pu au moins lui prendre un foulard ou un béret aux Galeries Lafayette. Rien de très onéreux mais d’assez significatif pour marquer l’évènement.

— Quelque chose te tracasse-t-il, ma douce ? lui demanda Mamina, en l’observant méticuleusement.

— Tout va bien, répondit Cordélia, même si elle n'en pensait pas un mot.

Cordélia se sentait de trop à cette petite sauterie. Sa mère et son nouvel amant croulaient sous le bonheur, ne cessant de se bécoter. Les convives, quant à eux, prenaient du bon temps. Mamina sirotait son grog, Hyppolite dissimulait avec peine son euphorie, Eugénie, la jumelle de Mamina, jouait du piano sous le regard attendri de son époux. Tous vaquaient à leurs occupations tandis que Cordélia cherchait sa place. Son père lui manquait terriblement même si elle refusait de l'admettre.

— Comment cela se passe-t-il avec Edgar ? murmura Mamina, sans quitter des yeux le jeune homme.

Elle devait reconnaître qu'il avait un charme fou, mais ... Mamina claqua sa cuillère contre sa tasse et la posa sur la soucoupe.

— Bien, répondit simplement Cordélia.

L'adolescente se racla la gorge. La nervosité la gagnait.

— Cet homme est tout à fait grotesque. Cette différence d’âge... cela est tout bonnement...scandaleux.

Cordélia repoussa ses cheveux en arrière puis repositionna son bandeau en velours noir.

— Mais je dois reconnaître que je n'ai jamais vu ta mère aussi heureuse. Même lorsqu'elle était avec ton père.

Cordélia tenta de se remémorer un souvenir joyeux. Mais, rien ne lui vint à l'esprit. Mamina disait vrai.

— Si je n’avais pas quitté ton grand-père, Dieu sait ce que je serais devenue. Une bonne femme riche mais aigrie.

Cordélia resta muette. Les couples n’étaient pas faits pour durer chez les Oberkampf.

— A-t-il réservé chez Maxim’s cette année aussi ?

Cordélia devina qu’elle parlait de son anniversaire.

— Oui, dit-elle.

La vieille dame grimaça.

— Il ne changera jamais. Encore un de ces stupides dîners d’affaires ?

Cordélia secoua la tête. Discuter de son grand-père la plaçait dans une situation délicate. Elle avait peur de raviver une ancienne plaie chez sa grand-mère.

— Non pas cette fois, osa-t-elle répondre

L’adolescente se tordit les doigts, incapable de contenir son anxiété.

— Étrange, vraiment très étrange.

Mamina croisa les doigts et s’enfonça dans le fauteuil capitonné. Elle porta son châle en cachemire crème sur ses épaules encore robustes pour son âge.

— J’ai été la première étonnée, répondit la jeune fille tout en portant son ongle à ses lèvres.

Mamina hocha la tête. Ses boucles grises bougèrent sous son inclinaison. Elle ressemblait à ces chiens miniatures qui secouent la tête à l'arrière des voitures.

— Que voulait-il ?

L’adolescente hésita avant de répondre. Elle craignait de créer un débat qui prendrait une dimension familiale. Elle ne voulait pas qu’Edgar donne son avis. Elle ne le considérait pas comme un membre de cette famille et ne désirait pas non plus faire de la peine à Hyppolite.

— Il souhaiterait que je le rejoigne lorsque l’année scolaire prendra fin.

Mamina resta calme. Sa petite-fille n‘accepterait jamais de s’exiler dans un trou perdu. Mais, c’était bien mal la connaître. Elle posa son regard sur Edgar puis sur sa fille.

— Qu'en dit ta mère ?

— Elle n’est pas contre. Moi non plus d’ailleurs, répondit Cordélia d’une voix blanche.

Depuis qu’Edgar était entré dans leur vie, sa mère n’était plus qu’un courant d’air. Alors, sa réaction ne l’avait point étonnée. Bien au contraire. S’occuper d’un enfant était toujours moins contraignant que de s’occuper de deux.

— Paris est tellement fantastique. La province t’ennuiera, tenta de la raisonner la vieille dame.

— Paris est cruel, rétorqua Cordélia, les larmes aux yeux.

Elle ignorait ce qu’elle avait ces derniers temps mais elle ne parvenait pas à contrôler ses émotions. Elle cligna des yeux pour chasser ses larmes.

— Grand-père ne compte pas rester en France... Il... Il désire s’installer au Danemark.

Mamina manqua de renverser sa flûte.

— Juste Ciel ! Et cela lui a pris comme une envie de pisser ? répondit-elle avec grossièreté.

L’adolescente haussa les épaules. Le Danemark était loin de la France, c'est tout ce qui lui importait.

— Le Danemark, quelle drôle d'idée, renchérit-elle perdue dans ses pensées.

Cordélia l’observa, sans prononcer un mot. Sa grand-mère se voulait forte mais sa rupture avec son ex-époux avait été la période la plus tragique de sa vie. À l'exception de sa petite Prudence, mort-née.

La jolie brune jeta un regard en biais à Edgar.

— Ils ont de bonnes universités, murmura Cordélia, bien que les études supérieures l’importaient peu.

— Ma chérie, tu ne parles pas danois.

— Je me débrouille en anglais, répondit-elle.

Les yeux rivés sur son futur beau-père, elle se remémora la nuit, où par inadvertance, leurs lèvres s’étaient effleurées. Il s’était rapidement excusé mais son regard disait le contraire. Cet incident mineur avait provoqué quelque chose chez la jeune femme. Elle ne le voyait désormais plus comme un potentiel père de substitution. Même si son âge tranchait déjà considérablement avec cette fonction. Non... Cet homme la terrorisait...

Or, si seulement les choses avaient pu en rester là. Mais non, il avait fallu qu’il l'invite régulièrement à sortir, qu’il lui offre cette stupide paire de patins et mette fin à l’affection qu’elle vouait à cette discipline. Comme s’il cherchait désespérément à détruire tout ce qui offrait un peu de lumière à sa vie. Il trouvait toujours une excellente raison de la tripoter. Une écharpe mal positionnée autour de son cou, un cil sur sa joue ou encore des poils de chat sur sa robe en soie. Dès qu’elle le croisait, une boule se logeait au creux de son estomac. C’est ainsi que ces crises de boulimies avaient débuté. Elle craignait de rester seule dans une pièce avec lui alors qu’autrefois elle rêvait de l'observer travailler. Dernièrement, il s'était mis à l’embrasser sur le front ou sur la tête. Un geste qui passait inaperçu aux yeux de tous. Toutefois, l’adolescente se sentait souillée. L’idée qu’un jour il puisse lui voler sa virginité la hantait. Du haut de ses seize ans, elle savait que le comportement de cet homme n’avait rien de normal. Mais, qui croirait à de telles inepties ?

Depuis la banquette, Mamina la scrutait. Sa petite-fille n’avait jamais été aussi resplendissante. Pourtant, ses beaux yeux affichaient une tristesse certaine. Était-ce pour cela qu’elle désirait quitter sa terre natale ? Était-ce si grave ?

Elle observa l’ensemble des convives. Tous étaient heureux d’être là. Cordélia traversait sûrement des déboires d’adolescente. Rien de bien méchant. Il était impossible que sa mère ou son nouvel amant soit la cause de sa tristesse. Cette petite vivait sûrement son premier chagrin d'amour. Elle porta son grog à ses lèvres et sourit, rassurée.

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