Epilogue

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Ce soir, la salle est pleine. Chaque siège est occupé par une personne qui attend la suite des évènements. Le brouhaha dans la salle, les galopades de tous côtés et la panique de dernier instant engendre une atmosphère conviviale et joyeuse.

Les chaises installées sont alignées dans l’auditorium. D’aspect rudimentaire, elles restent confortables et leurs positions ont été réfléchies pour que chaque spectateur puisse observer le concert. Ce sont principalement des amis et des familles qui viennent y assister, mais on y retrouve disséminés dans la foule des grands-parents ne sachant que faire de leur temps libre, ou des recruteurs de jeunes talents dissimulés au fond de la salle. Ces derniers, un calepin en main, et le programme de la soirée dans l'autre n'ont pas une minute à perdre. Et évidement, quelques critiques se sont glissées dans le public, pour la plupart bienveillants et pour d'autres déterminés à noter le moindre détail qui leur aurait déplu.

De l’autre côté du rideau lourd trônant fièrement sur l’estrade, une toute autre scène a lieu. Les enfants se faufilent au travers du décors, les adolescents combattent le stress par des méthodes aussi variées que farfelues, et les adultes piétinent en se mordant les doigts. Par ici, un petit garçon sautille en cercles comme un dindon en répétant son texte à voix haute. Par-là, une jeune femme concentrée relit sa partition calmement, une tasse de thé dans la main. Et voilà le professeur qui fait son entrée en trombes dans les coulisses, encore plus paniqué que sa petite troupe.

« Bien, tout le monde est là ? » bredouille-t-il, un tas de feuilles coincé entre ses bras fermement serrés contre sa poitrine. Il replace ses lunettes embuées sur le bout de son nez non sans trembler, puis attrape maladroitement une de ses feuilles en la chiffonnant légèrement. « Alors, Julien, ça va ton texte ? »

Le petit garçon cesse un instant de tourner en rond, dévie son attention vers le professeur et hoche la tête. Les bras croisés dans le dos, il recommence de plus belle et récite de nouveau à voix basse. Le professeur se racle la gorge. Il voudrait prononcer un discours inspirant, il voudrait encourager ces enfants et adolescents à donner le meilleur d’eux-mêmes et à épater le public, il voudrait mener sa troupe sur le chemin de sa réussite, mais sa voix tremblante l’empêche d’aller plus loin. Le texte est tout rédigé au fond de son esprit, tandis que sa voix se loge au fond de sa gorge et ne semble plus vouloir en sortir.

« On va cartonner, François. » rassure soudainement la jeune fille assise au bar sans détourner son regard de sa partition. Elle avale doucement une gorgée de thé, relève ses yeux sur le professeur planté au milieu de la salle, et sourit chaleureusement. Celui-ci voudrait la remercier de vive voix, mais il ne peut qu’avaler sa salive et faire demi-tour pour discuter avec les machinistes.

Les enfants habillés et maquillés profitent de cet instant pour courir vers la scène. Ils en connaissent les dimensions sur le bout des doigts, et peuvent déjà imaginer l’atmosphère qui s’en dégagera dans quelques instants. Ils glissent leur visage entre le mur et l’épais rideau et tentent d’apercevoir le public. Certains parviennent à distinguer un membre de leur famille à qui ils lancent des chuchotements indiscrets ou un signe de la main. Un sourire jusqu’aux oreilles, ils retournent dans les coulisses en accélérant le rythme avant de se faire réprimander par leur professeur.

L’atmosphère change soudainement lorsque François apparaît de nouveau face à ses élèves.

« C’est parti, annonce-t-il simplement. N’oubliez pas, faites comme d'habitude. » conseille-t-il en se dirigeant vers l’estrade. Tous le suivent naturellement, leurs jambes ne tremblent plus, leurs esprits sont concentrés et leurs yeux sont fixés droit devant eux. Chacun s’installe sur la chaise qui lui est due et empoigne son instrument. Quelques vérifications de dernière seconde, et tout est prêt. Ils regardent tous leur professeur et attendent sagement le signal, comme d'habitude.

Les lumières s’éteignent dans la salle. Le public sombre dans le noir, le calme, le silence. François fait un signe de tête aux machinistes, puis au violoniste. Une mélodie douce s’élève petit à petit, au même rythme que l’imposant rideau bordeaux. Elle est accompagnée successivement des trois flûtes, de la harpe et du xylophone. A la suite d’un coup de baguette du chef d’orchestre, le piano confortablement installé s’ajoute dans la danse. La musique suit son cours. Tous les instruments se joignent et s’entremêlent. Bientôt, c’est une véritable symphonie qui résonne dans l’amphithéâtre. Les grosses gouttes de sueur qui tombent sur le front de François ne perturbent personne, et tous assurent leur rôle sans encombre.

Lorsque la chanson arrive à sa fin, les applaudissements retentissent en chœur. Le rideau se referme gracieusement. François pose sa baguette sur le trépied, s’essuie le front, puis fait signe à Julien pour l’inviter à entrer en scène. Celui-ci enfile sa casquette et se faufile derrière le rideau. Il avance lentement et respire profondément. Ses yeux dévisagent la foule qui se tait un peu plus à chaque pas. Une fois au milieu de la scène, il fait retentir sa voix au-dessus du calme qui règne.

« Mesdames et messieurs, bienvenus, sourit-il. Merci à tous d’être venus si nombreux à cette représentation. Nous espérons que le concert sera à votre aise. A présent, je vous demanderai d’applaudir une jeune pianiste qui mérite toute l’attention ce soir. Elle va vous interpréter une symphonie de sa composition. A travers cette mélodie, elle vous dévoile sa vie et les problèmes qui vont avec. Mesdames et messieurs, voici Léane ! » hurle-t-il en écartant les bras.

Comme si le rideau l’avait écouté, celui-ci s’envole dans les airs alors que Léane déplie ses doigts sur les touches de piano. Les notes chantées par l’instrument planent au-dessus de sa tête et se mêlent à ses pensées. Elles chatouillent ses oreilles, son esprit, son cœur. Ses mains savent ce qu’elles ont à faire, c’est comme si elles s’exprimaient toutes seules, comme si elles parlaient à la place de ses cordes vocales. Elle ferme les yeux, et ses sens se décuplent. La mélodie s’enfuit et flotte au-dessus de la foule. Parmi celle-ci, une seule personne retient l’attention de la jeune femme. Elle ne l’a pas encore vue, et pourtant, elle sait qu’elle est ici, et qu’elle écoute précautionneusement.

Celle-ci est en effet installée au troisième rang. Une main serrée avec celle de son mari attentionné, et l’autre retenant fermement son fils assis sur ses genoux. Ils écoutent la prestation de la même oreille que le public, mais Adriana, elle, ressent les émotions partagées. Elle revit les aventures passées il y a des mois de cela, alors que le monde coulait sous les problèmes. Elle revoit les évènements de sa propre vie, alors qu’elle avait accepté de s’inscrire à ce Programme, ou chuter de ce maudit échafaudage. Elle se souvient des kilomètres parcourus pour sauver une adolescente capricieuse en compagnie de son courageux petit ami. Bien qu'elle n'ait jamais vu la jeune pianiste, elle apprécie le concert probablement plus que n'importe quel spectateur.

Les applaudissements s’élèvent dans l’auditorium. Rémi saute sur ses deux pieds et Thomas siffle plus fort que les autres. Léane ouvre les yeux et tourne finalement son regard vers son amie. Adriana sourit de toutes ses dents, et une larme perle au coin de son œil. Comme si ce geste était naturel, la maman lève les mains au ciel et les remue, dans des applaudissements muets. Cette attention rappelle à la pianiste une époque heureusement révolue, mais grâce à laquelle elle a connu celui qui se tient assis un peu plus loin, trois rangées derrière. Ce dernier imite Adriana et brandit les mains avant de les secouer.

Léane se lève et s'incline bien bas avant que les rideaux se ferment. Elle doit attendre la fin du spectacle mais elle n'a qu'une seule hâte, aller embrasser Charles et étreindre Adriana.

Une fois le concert terminé, Léane patiente devant la sortie dans un léger froid. Elle se frotte les mains, et dès que Charles apparaît dans son champ de vision, elle court se réfugier dans ses bras chauds. Pour l'occasion, le jeune homme s'était mis sur son trente et un et avait laissé dans le placard son pantalon troué et sa veste en cuir.

« C'était incroyable, murmure-t-il à son oreille. »

Ce n'est pas la première fois que Léane entend la voix de son ami, mais à chaque phrase, elle semble la redécouvrir. Enfin, arrive la petite famille de trois. Rémi aperçoit Léane et Charles et leur saute dans les bras, obligeant le couple à se séparer.

« Vous vous embrassiez ? Beurk ! rigole le garçonnet

– Laisse-les respirer, soupire Adriana qui tient fermement la main de son époux.

– Que diriez-vous d'aller à la maison ? propose Thomas.

– Avec plaisir, monsieur, répond Léane.

– Combien de fois devrai-je te le dire ? Appelle-moi Thomas, sourit-il en faisant un clin d’œil amical. »

Sans plus attendre, le groupe avance sous une fine et agréable neige. Les chants festifs et les rires allègres se glissent entre les rues jusqu'à leurs oreilles, les lumières de Noël sont splendides, et même le ciel noir depuis plusieurs heures ne parvient pas à enlever la magie et la féerie de cet instant. Thomas et son fils marchent un peu en arrière, car le jeune garçon, fatigué, traîne des pieds.

« Papa ? Si Léane peut entendre de nouveau, maman pourra voir bientôt ? demande Rémi en baillant à s'en décrocher la mâchoire.

– Je ne sais pas Rémi, soupire son père en toute honnêteté sans dissimuler son malaise.

– Eh bien, même si elle ne retrouve jamais la vue, je l'aimerai toujours. Parce que c'est la meilleure. Et j'aime trop Léane et Charles, c'est comme si j'avais une grande sœur et un grand frère.

– Tu sais quoi Rémi ? sourit le père, en adressant un regard bienveillant à sa femme et au jeune couple qui rient quelques mètres plus loin. Tu es le plus gentil des petits garçons. Et tu as tout compris : Ces trois-là sont courageux et exceptionnels. Ce trio est unique. Ce trio est sensationnel. »

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