Chapitre 38 : Léane

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Deux mois se sont écoulés, et les souvenirs sont toujours ancrés en nous. Ils le seront probablement toujours, comme un tatouage est permanent. Comme la promesse d'un mariage est éternelle.

Je vis avec une peur au ventre qui me tiraille et avec une honte qui me hante. Nous avons réussi à échapper à Chris de justesse, et cela grâce à Charles et Adriana. Cependant, sur le chemin du retour, l'absence de Violette qui nous a aidée dans notre fuite a installé une tension palpable, qui se traduisait par un silence encore pire que celui avec lequel je vis depuis mon accident.

Nous avons instauré quelques règles avant d'arriver en France. Interdit de parler de toute notre épopée à qui que ce soit était la première règle. Je devais retourner chez moi, prétendant avoir passé un agréable séjour chez mon ami qui déménageait et que je ne pourrai donc plus, par conséquent, revoir ou inviter. Hors de question d'avoir encore un lien aussi minime soit-il avec un membre du programme hormis Charles et Adriana. Et évidemment, l’honnêteté dans notre trio était désormais le mot d'ordre.

Mes parents n'ont pas posé plus de questions, gobant tous mes mensonges sans que j'aie à prouver quoi que ce soit. Charles m'a accompagnée jusqu'à ma chambre tandis qu'Adriana discutait avec ma mère, probablement de choses que seules les mères peuvent comprendre.

« Je vais devoir rentrer tu sais ? m'a-t-il dit, en s'appuyant sur un support écrit.

– Tu reviendras ? ai-je demandé innocemment, comme une gamine geignarde.

– Qu'est-ce que tu crois ? Je te le promets. »

Après une étreinte qui m'a réchauffée mieux que l'aurait fait la plus chaude des couvertures ou le plus agréable des rayons de soleil, Charles a raccompagné Adriana jusqu'à chez elle.

« Prends soin de toi, Léane, m'a-t-elle conseillé avant de partir. Et rends-nous visite un jour. Rémi est impatient de te rencontrer, tu sais ? »

J'ai regardé la voiture s'éloigner dans la rue, en retenant un soupir de soulagement, et un gémissement de chagrin. C'était en effet la fin d'un calvaire, mais le début d'un autre différent. Pourtant je n'avais pas peur. Ce supplice-là, je le connaissais, et j'allais l'apprivoiser pour ne plus jamais à vouloir lui échapper.

Le soir, la routine était déjà revenue. Le repas en famille. La tisane du soir et ses biscuits sucrés. Le programme télévisé. Et enfin, l'instant lecture. Dans quelques jours, j'allais reprendre les cours. Aussi, dès le lendemain, je me suis rendue au supermarché du coin, et j'ai dévalisé le rayon de fournitures scolaires déjà pillé depuis plusieurs jours. Arrivée devant le maigre étalage d'agendas, j'ai immédiatement repéré celui qui j'allais acheter. Sur sa couverture, un chien paraissait me sourire. Il m'a immédiatement fait penser à GPS, et je l'ai posé dans mon caddie. J'ai trouvé des crayons à papiers de différentes tailles. Je n'écris qu'avec ces crayons. J'aime trop entendre le crissement de la mine contre le papier. A cette pensée, j'ai levé les yeux au ciel. « Bon sang, Léane, tu ne l'entendras pas. », ai-je réagis. Mais, étrangement, j'ai ignoré cette réflexion qui autrefois m'aurait empêché d'acheter ce dont j'avais envie. Alors j'ai pris trois boîtes et j'ai continué ma quête d'outils.

La rentrée s'est déroulée de façon si banale et ordinaire que c'en était écœurant. De retour dans cette école si spécifique où l'on m'a rangée dans la case « infirme », je ne me suis jamais sentie autant étrangère. Les cours sont construits, mais ennuyeux. Les professeurs sérieux, mais désintéressés. Les élèves intelligents, mais froids. Je ne m'y retrouve pas.

Ma vie tournait autour de la musique avant mon accident. Même sourde, je suis allée au Programme pour retrouver cette passion dont je voulais faire mon métier. Aussi, je me remémore les conséquences de mon désir impulsif et de mes choix irréfléchis lorsque le doute et l'envie me titillent de nouveau. Je laisse les journées s'écouler lentement, très lentement, trop lentement.

Adriana et Charles m'envoient des messages plusieurs fois dans la semaine, et je passe régulièrement voir la famille Khera. J'ai fait la connaissance de Rémi, le fils d'Adriana, qui a eu un peu de mal à communiquer avec moi au début, mais qui a rapidement compris les astuces pour me parler. Je crois que lui et son père, Thomas, m'apprécient. La mère de Charles aussi.

Oui, c'est fantastique, tout le monde m'aime. Je ne vois vraiment pas de quoi je me plains.

Ce soir, je dors chez Charles, qui vit à quelques heures de chez moi. Cela faisait deux semaines que je ne l'avais pas vu. Impatiente, j'ai préparé mes affaires le lundi pour partir vendredi. La nuit est tombée, et je suis blottis dans les bras de Charles dont la chaleur corporelle me rassure. Son souffle me chatouille le cou.

Les yeux ouverts, fixés sur le mur de tapisserie verte, je ne réalise pas immédiatement. Je crois d'abord à un phénomène classique, répercussion de ma surdité, conséquence de mon stress, de ma position ou je ne sais quoi !

Mais quand je ferme finalement les yeux, et que je n'ai plus aucun élément sur lequel me concentrer, je tressaille et me redresse en sursaut. Charles, que j'ai réveillé, allume sa lampe de chevet et m'observe avec inquiétude. Les mains sur les oreilles, je les ramène devant mes yeux, presque persuadée de les retrouver ensanglantées.

Mais rien. Rien, mis à part de puissants acouphènes. Des acouphènes et un bruit sourd et flou que je ne connais pas. Puis je comprends.

C'est la voix de Charles.

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