Chapitre 37 : Adriana

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Il n’est plus temps d’hésiter.

Quelque part, dehors, Charles nous attend.

J’ai donné mon portable à Léane, et je lui tiens fermement la main alors qu’elle nous guide à travers l’étroit couloir délabré. Mon autre main glisse contre la paroi glacée, de laquelle j’arrache parfois un morceau de peinture sèche. Personne n’ose prononcer un seul mot. Seules les vibrations du portable et la résonance de nos pas rythment notre avancée.

« Charles a envoyé une photo de sa position. » chuchote Violette de sa voix cassée.

A mes côtés, je la devine gigoter, mais je suis étonnée du calme dont fait preuve Léane. Celle-ci coupe les vibrations du téléphone et m’agrippe de nouveau le poignet. Le sol n’est pas plat, il est parsemé de bosses et de creux et il se dégrade un peu plus à chaque pas. Je place précautionneusement un pied devant l’autre tandis que Léane contrôle son souffle et que Violette se retourne constamment pour surveiller nos arrières.

Nous luttons pour notre survie.

Pas loin, dans l’une de ces chambres malodorantes, Chris est aux aguets. Que fait-il ? A quoi pense-t-il ? Sait-il que nous sommes ici, et que nous tentons de lui filer entre les doigts ?

Un craquement, et nous nous figeons. Léane a ressenti mon mouvement vers l’arrière, et a également cessé de bouger. Si nous sommes repérées, c’en est fini. J’y pense, est-ce qu’il y a des patrouilles ? Des gardes ? Des sbires placés çà et là ? Alors que mes pensées fusent à toute vitesse dans mon esprit, l’origine de ce craquement ne se dévoile pas. Je suppose que c’était simplement une planche de parquet, et secoue mon bras pour indiquer à Léane de repartir. Nous devons être discrètes, mais nous devons surtout sortir d’ici.

La plupart des chambres sont vides. Les quelques portes que j’ai frappées par inadvertance sonnaient creux, comme si tout cet hôtel n’était qu’un décor de film d’action. Peut-être que nous devrions courir à grandes enjambées avant de filer à toute allure et d’enfin rentrer à la maison. S’il y avait quelqu’un dans ce bâtiment, cela ferait un moment que nous aurions dû le croiser.

Mieux vaut être trop prudent, n’est-ce pas ?

Mon attention se porte sur un objet dans lequel mon pied a frappé. Je me demande ce que c’est, mais je n’ai pas réellement envie de connaître la réponse. Je ne fais plus attention aux bruits extérieurs, car des vibrations me perturbent. Je crois qu’on approche… Mais d’où viennent-ils ?

Nous voilà finalement arrivées devant les escaliers. J’en ai gardé un très mauvais souvenir. Il y a quatre étages à descendre sur des marches penchées et creusées – comme celles d’un ancien château –, le tout en s’aidant d’une rampe qui menace de s’écrouler à tout instant. Très peu pour moi, mais ce n’est pas le moment de faire la fine bouche. Léane dépose ma main libre avec attention sur le premier barreau du garde-corps. Elle se place en dessous de moi, et je m’appuie sur elle pour ne pas dégringoler.

Soudainement, des paroles s’élèvent de la cage d’escalier. Nous nous arrêtons net. Un pied dans le vide, j’essaie de me peindre la scène. Deux hommes viennent d’entrer dans l’hôtel et discutent de leur journée de leurs revenus comme si tout était normal. L’un d’eux semble vouloir s’en aller, mais le deuxième l’invite à prendre un café, et monte les marches une par une.

Léane me bouscule vers l’arrière et nous nous cachons comme des rats derrière un pan de mur réchauffé par nos souffles paniqués. Accolée contre mon dos, Violette me murmure quelques mots qui me glacent le sang.

« C’est Chris… »

Il ne manquait plus que ça.

La solution la plus évidente serait de retourner dans la chambre de Léane et de s’y cacher, mais ce n’est pas la plus sûre. Je tenterai bien d’assommer Chris pendant que les filles se chargent du deuxième, mais les pauvres sont tellement affaiblies qu’elles tiennent à peine debout, malgré l’adrénaline qui jaillit dans leurs veines. Je n’ai pas le temps d’analyser plusieurs situations avant de prendre une décision.

Chris et son collègue discutent toujours en montant les marches. Par chance, ils s’arrêtent au quatrième étage. Alors que leurs voix glissent en dessous de nos pieds, je renforce la pression sur le poignet de Léane et j’attrape celui de Violette. Un cliquetis retentit, puis une porte s’ouvre en grinçant beaucoup trop longtemps à mon goût. Enfin, celle-ci se ferme dans un claquement capable de faire vibrer mes os. Je n’hésite pas, nous n’avons pas de temps à perdre. Je fais volte-face et je me plante devant les escaliers.

Léane comprend immédiatement mon intention et se glisse sous mon bras afin de reprendre son rôle de guide. De son côté, Violette tente de résister, mais son geste ne dure qu’un millième de seconde avant qu’elle ne se laisse emporter docilement. Nous caressons les murs poussiéreux de la cage d’escalier tout en prenant garde à nos pieds : pas un son ne doit se faire entendre. Léane assure ses fonctions d’éclaireuse et de guet, je me concentre au maximum afin de détecter tout bruit suspect, et Violette… est présente. On se croirait dans un film d’action, mais cette pensée ne me fait pas du tout sourire.

Un étage de descendu. Plus que quatre. Sur notre gauche, les deux hommes semblent discuter comme s’ils étaient à nos côtés, malgré la porte qui nous sépare. Celle-ci doit être comme toutes les autres : perméable, fine et effritée.

Sur la pointe des pieds, la respiration coupée, le cœur battant, les sens en alerte, nous continuons notre descente vers les escaliers inférieurs.

Mais, je me stoppe subitement. Les deux filles ne peuvent s’empêcher d’haleter un court instant. Je n’en suis pas sûre, mais je crois avoir entendu quelqu’un entrer dans le bâtiment. La dégradation de l’immeuble permet au moins au son de bien circuler, et je suis maintenant certaine que le nouveau venu monte les escaliers. Je l’indique aux filles en faisant des gestes ridicules avec les mains, en espérant qu’elles me regardent.

« Je sors, je vais fumer une clope. »

Les mots qui s’élèvent brusquement de la seule chambre animée me font l’effet d’une décharge électrique. Nous voilà dans un cul-de-sac. Je reste figée quelques secondes. Tout va trop vite. Je réfléchis à une vitesse folle, mais j’ai l’impression d’avoir fait le vide dans ma tête.

Le moment fatidique arriva : Chris sortit de sa chambre, coupant net sa conversation.

« Mais… ! »

« Une issue de secours ! » hurle Violette de toute la puissance que lui permettent ses poumons.

Je me retourne aussi rapidement que possible, entraînant Léane à ma suite. Celle-ci puise dans ses dernières forces et me passe devant, lui permettant de nous ouvrir la porte. Juste derrière nous, l’écho du sprint des deux hommes se répercute entre mes oreilles, et je n’entends plus que ça.

Ne pas se faire rattraper.

Surtout, ne pas ralentir la cadence.

Rejoindre l’autre bout du couloir.

La sortie.

Ne pas hésiter.

Une fois l’intégralité du couloir traversée, je me cogne brutalement contre ma jeune amie, en pleine bataille avec la poignée de porte. Cette dernière grince d’un cri strident à m’en faire serrer la mâchoire et froncer les sourcils. Puis, finalement, elle cède. La porte s’ouvre, et nous nous engouffrons vers l’extérieur. Je m’empresse de claquer la porte derrière nous d’un puissant coup de pied et manque de tomber. Léane me rattrape comme elle peut puis se retourne vers les maigres escaliers qui nous séparent de la terre ferme.

Une ultime course effrénée s’ensuit alors que nous dévalons les marches quatre par quatre. Je ne compte pas le nombre de fois où je me suis rattrapée de justesse sur la barrière. J’en aurais certainement des bleus pendant quelques jours.

Finalement, mes pieds se posent sur le sol. Mou et solide en même temps. De la terre. Bientôt, le bitume se faufile sous ma semelle, m’indiquant que nous étions sur le parking. Enfin. Nous avions réussi. Hors d’haleine, Léane nous conduits vers la voiture où Charles nous attend, aux aguets.

Derrière nous, quatre étages plus haut, j’entends la porte de l’issue de secours s’ouvrir dans un violent fraquas. Chris a dû la défoncer d’un coup de pied. Bizarrement, je n’entends que ses pas dans l’escalier, son acolyte ne l’a-t-il pas suivi ?

« Une seconde… se raidit Charles. Où est Violette ? »

Mais nous n’avons pas le temps de s’en préoccuper plus longtemps. La musique de course effrénée s’approche bien trop vite. Je pousse Léane contre la voiture et cherche la poignée de la portière à toute allure. Par réflexe, Charles se précipite dessus. Je profite de cette occasion pour lui attraper le bras et le jeter sur le siège avant de refermer la portière.

Il faut partir.

« Vite ! »

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