Chapitre 32 : Adriana

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Malgré le vrombissement apaisant du moteur, mon esprit est loin d’être calme. Des vagues de pensées viennent s’écraser les unes après les autres. La peur, l’angoisse, l’inconnu, l’imagination et la précipitation pèsent sur mon crâne jusqu’à ce que le mal de tête prenne le dessus. Je soupire bruyamment et enfouis ma tête entre les mains. Charles pose une main sur mon épaule, sans dire un mot. Est-ce qu’il pense que je pleure ? Oui, n’importe qui le penserait. Comme pour nous rassurer tous deux, je relève la tête et prend soin de parler sans bégayer.

« Garde donc tes deux mains sur le volant, jeune homme. »

Aussitôt, Charles retire sa main et ricane. Je ne peux m’empêcher de sourire. Moi qui, il y a à peine quelques mois, n’aurait même pas osé faire du vélo, voilà que je pars à la recherche d’une ado capricieuse en compagnie de son copain conduisant ma voiture… Je tâtonne le panneau de contrôle et dirige la climatisation sur mon visage. D’un coup de baguette magique, la migraine s’envole, et je suis de nouveau reboostée.



Une vingtaine de minutes plus tard, nous nous retrouvons sur un étroit petit parking qui fait face à la maison de Léane. Charles m’a précisé qu’une voiture est garée devant. En espérant que les parents répondent présent, nous nous avançons vers la porte et Charles presse la sonnette. Il ne se passe qu’un court instant avant que des bruits sourds de pas s’élèvent jusqu’à l’entrée. Un cliquetis tinte, et la porte s’ouvre.

« Bonjour, c’est pour quoi ? s’annonce une voix grave.

- Bonjour, euh… Je suis le petit ami de votre fille, bredouille le jeune garçon. Est-ce qu’elle est là ? hésite-t-il avant de se racler la gorge.

- Et vous, qui êtes-vous ? interroge le père en me désignant certainement.

- C’est, euh, ma tante ! ment Charles. Elle m’a amené ici… »

Je dois rassembler toute la volonté du monde pour ne pas froncer les sourcils et sourire naturellement. A la suite de mon jeu d’acteur irréprochable, le père de Léane reprend la parole de son ton strict.

« Elle n’est pas ici. Elle est partie en vacances chez une amie, et elle ne va pas revenir avant un moment. Vous n’avez qu’à l’appeler. »

Mon corps se raidit. Léane aurait menti à ses parents pour une stupide liasse de billets ? Décidément… A court d’idées, Charles me tire discrètement le bas du t-shirt pour me passer le relais.

« Charles voulait lui faire une surprise. Vous savez, ça fait un moment qu’il n’a pas vu votre fille, j’annonce en adoptant un timbre doux et calme. Est-ce qu’elle vous a laissé une adresse, ou un numéro ?

- Vous êtes de la police ou quoi ? Elle ne m’a jamais parlé d’un petit ami, ajoute-il sévèrement.

- J’ai une photo de nous deux… bredouille l’adolescent. »

Les frémissements de tissu qui me parviennent m’indiquent que Charles a sorti une photo, comme il l’a dit, ou bien son téléphone, et qu’il attend le verdict du père de Léane. Je déglutis.

« Ok, je te crois gamin. Tenez, c’est le numéro des parents de sa copine. Ne l’embêtez pas trop longtemps, qu’elle ait quelques vacances, articule-t-il militairement avant de se retourner et de claquer la porte. »

Par réflexe, Charles attrape mon coude et m’accompagne jusqu’à la voiture encastrée entre deux buissons. Nous nous installons sans prononcer un mot, mais je décide d’alléger l’atmosphère.

« Ca, c’était une super rencontre avec les beaux-parents. Pas trop secoué ?

- Non, ça va… chuchote-il. Tu penses qu’on peut appeler ce numéro ? ajoute-il soudainement plein d’énergie. On sera forcément démasqué, et elle aura des problèmes. La dernière fois…

- Tu as raison, je lui coupe la parole. Celui qui a organisé tout ça a pris encore plus de précautions que Lucien, et il doit certainement rouler sur l’or en ce moment. Si ça se trouve, il s’est réfugié dans une petite ville inconnue, voire même un autre pays pour être tranquille.

- J’ai entendu parler d’un braquage il y pas longtemps, c’était dans la ville voisine… Tu penses que ça peut être elle ? me demande-t-il la voix tremblante.

- Je n’en sais rien, je soupire. Qui sait ce dont elle est capable ? En plus, je doute qu’elle n’ait vraiment le choix. »

Nous restons silencieux un instant. Les oiseaux qui chantent à l’extérieur n’allègent guère le poids pesant sur nos épaules, et je suis à court d’idées. Toujours muet, Charles met le contact et démarre le moteur.

« Tu as une idée ?

- On va voir Camille, me répond-il froidement. »

Je ne pose pas plus de questions et me laisse conduire. D’une part, son côté impulsif m’inquiète profondément, je ne sais vraiment pas de quoi il est capable en situation de crise. D’autre part, cela me prouve qu’il est prêt à tout et dévoué à Léane, et cet aspect de sa personnalité me rassure pleinement. Cette jeune fille a besoin de quelqu’un comme lui dans sa vie.

* * *

Je ne sais pas combien de temps nous avons roulé, ni comment Charles connaît l’adresse exacte de Camille, mais je n’ai pas osé poser la question. Il est remonté à bloc depuis la visite chez les parents de Léane : il me répond sèchement et uniquement par des phrases courtes. En plus, il conduit trop vite ! J’entendais le moteur crier à chaque ligne droite, et les à-coups à chaque changement de vitesse ont fracassé mon dos.

Je suis enfin debout hors de la voiture, et je m’étire bruyamment, les mains sur ma colonne vertébrale endolorie. Charles me lance un « On y va » et m’agrippe le poignet avant de me tirer de toute sa force. Je ne résiste pas, de peur de le contrarier encore plus. Une fois devant la porte d’entrée, il frappe trois coups si forts que mes dents résonnent. Il ne prend même la peine d’attendre une réponse et s’engouffre dans l’appartement.

« Camille ! hurle-t-il à gorge déployée. Camille, c’est Charles !

- J’arrive, j’arrive ! s’expose la voix fluette de l’ex-infirmière en haut des escaliers. »

Une fois le pied posé sur le rez-de-chaussée, la jeune femme ne peut retenir un « Oh » de surprise, presque inaudible. Elle s’approche de moi et me prend la main, chassant celle de Charles d’une tape.

« Adriana ? Que se passe-t-il ? s’inquiète-elle la voix affolée.

- Asseyons-nous, clame Charles de son ton toujours aussi sérieux. »

Camille pose ses mains sur mes épaules et me dirige délicatement vers le salon où flotte une agréable odeur de concombre et de melon. Elle me présente une chaise et prend place sur ma droite. Je ne sors pas un mot pendant toute l’explication de Charles. Lorsque celui-ci a terminé, Camille en a le souffle coupé. Elle avale sa salive lentement et s’exprime maladroitement.

« C’est terrible… chuchote-elle.

- Tu n’as aucune information à nous donner ? je demande subitement alors que Charles respire bruyamment. Qui aidait Lucien, ce qu’il avait prévu de faire une fois démasqué, ou bien un client qui a retourné sa veste… N’importe quoi nous aiderait.

- Non… Je n’étais pas au courant de cet affreux trafic avant que la police ne débarque, avoue-t-elle en baissant la voix.

- Parmi tes collègues, personne n’est susceptible de prendre le relais ?

- Je ne sais pas, il y en a tellement… Lucien faisait souvent bonne figure, enfin, quand je le croisais furtivement dans les couloirs. Je l’ai plus souvent vu tout seul qu’accompagné, mais je ne l’ai vraiment pas vu souvent. »

Charles soupire et se laisse tomber lourdement sur le dossier de la chaise.

« C’est foutu… sanglote-t-il. »

Le silence s’abat dans la pièce comme un lourd orage d’été. Camille murmure un « Je suis désolée » auquel personne ne prête attention. Puis, le silence. Un silence glacial qui me fige sur place. La panique s’installe et des frissons me parcourent tout le corps. Nous sommes la seule chance de sortir Léane de son pétrin, mais nous restons plantés là à désespérer, sans savoir quoi faire.

Comme une petite lueur faisant son apparition au coin d’une rue, quelque chose de sombre se dessine dans mon esprit. J’en liste les grandes idées, puis trace les contours. Mes mains ne tremblent plus et j’entends de nouveau les poissons virevolter dans l’aquarium derrière moi. La bouche sèche, je déclare :

« Je ne crois pas, Charles. J’ai peut-être une idée, mais elle ne va plaire à personne.

- Quoi ? s’exclament les deux autres en chœur.

- On va aller demander à Lucien directement, je chuchote comme si moi-même je ne voulais pas l’entendre. »

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