Chapitre 27 : Adriana

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Depuis trois mois maintenant, ma vie a repris son cours. Comme avant. Comme si rien n’avait changé. Comme si rien de tout ça n’était arrivé.

Assise sur ma chaise en bois, je soupire encore. Seule dans mon salon, il n’y a que la télévision pour m’encourager à recommencer une nouvelle fois mon paquet. Entre les plis et les morceaux coupés trop court, je n’ai toujours pas réussi à emballer ce cadeau. J’ai acheté une figurine d’un robot de dessin animé pour l’anniversaire de Rémi qui se déroule dans une semaine. Pour l’occasion, il a invité des amis qui passeront l’après-midi à la maison, sous le regard avisé de Thomas.

Je replie le bord en le tenant fermement, je le remonte le long de la boîte et je le plaque contre. Je mets un bout de scotch… Où est passé le dérouleur ? Je tends le bras, mais je ne trouve que du vide. Je fouille les alentours, en vain. Je m’aventure un peu plus loin sur la table, et trouve enfin ce que je cherchais. J’en découpe un petit morceau, et le colle de manière à faire tenir le triangle de papier. Mêmes étapes de l’autre côté, et voilà ! Après mon dur labeur, le jouet de Rémi est finalement empaqueté. Bon pour être déchiré dans quelques jours.

J’ai l’impression que je ne suis rentrée du Programme qu’hier, et que j’y suis restée quelques années. Depuis son arrêt, je n’arrête pas de penser que j’ai laissé filer ma chance de retrouver la vue. Cependant, j’ai entendu dire que les responsables ont rendu public leurs recherches, pour que les personnes ayant récolté assez d’argent puissent se faire opérer tout de même, à leurs risques et périls. Certains ont déjà tenté le coup, d’ailleurs. Une dizaine, je crois, mais il y a eu un mort, alors le gouvernement a mis son véto. Désormais, les personnes accidentées ou handicapées de naissance se croisent dans la rue, et tous pensent la même chose. J’ai raté ma chance. Ça aurait pu être moi. Ça aurait dû être moi. En attendant, ils errent aléatoirement, en hésitant à reprendre leur vie en main, de peur que ce soit trop douloureux.

Voilà ce qu’a provoqué la chute du si merveilleux Programme : une invasion de zombies.

Une nouvelle interview des fondateurs du Programme se lance à la télévision. Toutes ces émissions racontent la même chose : deux gamins passionnés par la médecine s’en allant pour un futur prometteur ont fini dans le mur car ils ont mal choisi leur staff. Ils n’ont pas mis la faute que sur Lucien, mais sur tout le monde : les fondateurs, pour cécité volontaire, le gouvernement, pour manque de vigilance, les adhérents, pour manque de responsabilité, et Lucien, pour corruption de mineurs. Un sacré bordel.

Enfin, la plupart a réussi à se relever, à peu près. Mais celle qui m’inquiète le plus, et ce, depuis ma toute première rencontre avec elle, c’est Léane. Cette gamine a le don pour se mettre dans des situations impossibles. Depuis qu’elle est rentrée chez elle, elle se rétablie petit à petit. Elle a bien fait de nier sa participation avec Lucien, c’est une bonne menteuse, et elle risquait gros. Bientôt, elle aura une vie d’adolescente normale. D’ailleurs, je l’ai invitée à l’anniversaire de mon fils. Je ne sais pas pourquoi j’ai cherché un prétexte pour la voir, ce n’est pas comme si j’en avais besoin.

* * *

Ce matin, ce n’est pas mon réveil qui me crie dans les oreilles, mais un enfant. Aujourd’hui, il a sept ans, et il a fait le plein d’énergie. Fatiguée de mon travail de décoration de la veille, je me lève aussi souplement qu’un arbre, et m’étire bruyamment. Je n’ai même pas le temps de me mettre sur mes deux pieds que Rémi me saute dessus en riant. L’odeur de ses cheveux fraîchement lavés me picote le nez et m’apaise. Je dépose un baiser sur son front, et descends me faire couler un café.

Le bruit infernal de la machine me refile un atroce mal de crâne. Sortie de nulle part, je me rappelle de cette fois où j’en ai bu un avec Ophélie, sur la place principale de la ville. Après l’annonce de la chute officielle du Programme, je suis partie en courant avec Rémi. J’ai filé à l’office de tourisme, et j’ai demandé où habitait Léane, mais l’explication était très difficile. Heureusement, sa maison n’était pas loin ! Rémi a pu voir la carte, mais il ne pouvait pas me guider seul à travers les multiples rues de la ville. J’ai appelé un taxi, et je me suis rendue chez elle.

Malheureusement, personne n’était chez elle. J’y suis retournée plusieurs fois les jours suivants, et par le plus grand des hasards, je ne suis jamais tombée sur ses parents. Puis, un jour, Léane m’a ouvert la porte. J’aurais aimé voir la surprise sur son visage ! Je suis entrée en trombe chez elle alors que ses parents s’étaient absentés. J’ai baragouiné tout et n’importe quoi à une vitesse folle. Moi-même je ne me comprenais pas.

D’un geste aussi inattendu que naturel, elle m’a enlacée, et m’a rassurée. Dans mon dos, elle tapotait de son index en morse « Tout va bien ». J’ai soupiré et elle m’a invitée à boire le thé avec elle. Elle m’a alors raconté ses péripéties : le rétablissement de Charles, son interrogatoire par la police, son long voyage pour rentrer, et son manque de goût à la vie. La plupart des mots étant trop longs pour utiliser notre méthode de communication, elle a prononcé quelques mots. Sa voix m’a semblée plus légère, plus modulée et plus fluide, comme si elle s’était longuement entraînée auparavant.


Malgré tout, je ne cesse de m’inquiéter pour cette ado fragile.

Je me suis dit qu’un anniversaire ne pouvait que la détendre. Les cadeaux sont emballés, la musique berce la pièce, le gâteau est chaud, les invités sont présents. Maintenant que tout est prêt, la fête peut commencer ! Pendant que Thomas sert de piñata, je verse du jus de fruit dans les gobelets, et j’en tends un à Léane. Je discute avec elle comme si elle était ma fille que je n’avais pas vue depuis un moment, même si le rythme de la conversation est assez lent.

Nous rions naturellement alors que les enfants chantent en cœur pour Rémi. Celui-ci arrache le papier d’emballage de ses cadeaux et pousse un cri d’étonnement à chaque nouvelle découverte. Je suis sûre que ses yeux brillent de bonheur. L’atmosphère s’allège dans la pièce, et plus aucun enfant ne fait remarquer que mon regard est rivé sur mur d’en face.

Nous nous installons avec Léane dans un coin du salon, à côté des bols de bonbons. Elle me raconte les dernières nouvelles, mais une phrase pique ma curiosité :

- J’ai trouvé une nouvelle activité, m’annonce-t-elle en attrapant la main et en y tapotant les mots en morse.

- Quoi ?

- Surprise !

Je fronce les sourcils. De quel genre d’activités capable de lui redonner la pêche ne voudrait-elle pas me parler ? Je sais tout à fait de quoi cette gamine effrontée est capable quand on la motive avec la bonne raison. Evidemment, elle veut retrouver ce qu’elle a perdu, mais elle se jetterait à corps perdu dans n’importe quoi. Je lui ai déjà expliqué que ça n’en valait pas la peine, mais elle joue très bien la sourde oreille. Après un temps d’hésitation, je lui demande tout de même. Je lui tapote sur l’épaule à la recherche de ma réponse.

- Dis-moi.

- Surprise…

Son caractère borné commence à me taper sur les nerfs, mais je ne suis pas du genre à m’énerver à la première occasion. Je respire un grand coup, et reprends la conversation. A voix haute, cette fois-ci. Je porte les doigts à mes lèvres pour l’intimer de lire dessus, et débute mon discours de mère attentionnée.

- C’est pour ton opération ? Je sais que c’est difficile, mais tu dois essayer de reprendre ta vie en mains. Tu ne dois pas toujours compter sur les autres pour avoir ce que tu veux, et encore moins sur le Programme.

- Qu’est-ce qui te fais croire ça ?

- Une opération ne résout pas tous les problèmes.

Mais je n’obtiens aucune réponse. Est-elle toujours à côté de moi, ou est-ce que je discute avec le rideau ? Puis, Léane se met à crier si proche de mon oreille que j’en perds l’équilibre.

- Et alors ? Je fais ce que je veux, t’es pas ma mère !

Et la porte claque.


Me voilà au milieu de bambins qui crient et courent dans tous les sens, alors que la seule qui me comprend réellement vient de s’enfuir. Un frisson me remonte l’échine. J’aimerais lui mettre une claque à réveiller les morts et l’enfermer dans ma chambre jusqu’à ce qu’elle comprenne les dangers dans lesquels elle plonge sans arrêt. Ais-je fais déborder le vase avec mes questions ? Je sais qu’au fond, elle est sensible lorsqu’on touche à la mauvaise corde.

Et puis, si ça se trouve, je me suis inquiétée pour rien. Peut-être qu’elle s’est inscrite à un club d’équitation.

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