Chapitre 24 : Léane

7 minutes de lecture

Assise au bord du lit d’hôpital de Charles, voilà bientôt trois jours que j'ai pris ma décision. Je vais donner l'intégralité de l'argent que j'ai gagné pour lui permettre d'être opéré. Les yeux clos, plongé dans un profond sommeil, la poitrine se soulevant au rythme de sa respiration apaisée, il me paraît plus fragile que d'habitude. Je lui prends la main et la caresse comme pour le rassurer.

Enfin, arrive Hugo, signal que je dois laisser les infirmiers préparer Charles pour son opération. Je lui jette un dernier regard avant que la porte ne se referme sur sa silhouette allongée.

« Tout va bien se passer, affirme Hugo. »

Je le quitte pour me rendre dans ma chambre dans laquelle je laisse mon chagrin s'exprimer. Il est tard, et dehors, de maigres flocons tombent. Ils ne passeront pas la nuit, fragiles comme ils sont. La fatigue pèse sur mes épaules et mes yeux papillonnent. Je cède finalement et m'effondre sur mon lit.

Lorsque le sommeil commence à m'emporter, je réalise que j'ai tout perdu… Et pourtant je ne le regrette pas.

* * *

Deux jours plus tard, avant de rendre visite à Charles qui s'est sûrement remis de son opération, je me rends dès sept heures au bureau de Lucien. Je n'ai pas d'autres choix que de me donner corps et âme dans ces missions illégales pour rattraper ce retard que j'ai pris.

« C'est Léane, crié-je à travers la porte de son bureau. »

Le Lucien qui entrouvre le battant de sa porte a un teint cireux, les yeux cernés et un front recouvert de sueur. Il me sourit faiblement.

« Je ne peux pas te parler Léane, signe-t-il.

- Je dois vous voir, insisté-je.

- Léane, j'ai dit pas maintenant.

- Mais…

- NON ! hurle-t-il avant de me claquer la porte au nez. »

Je jure intérieurement en insultant Lucien de tous les noms avant de faire demi-tour. Ni une ni deux, je décide de me réfugier dans les bras de celui qui saura trouver les mots justes pour me rassurer et je me précipite jusqu'à la chambre d’hôpital de Charles.

« Léane, annoncé-je à la secrétaire. Je viens voir Charles. »

La femme qui m'accueille feuillette son calepin en mâchant négligemment un chewing-gum. Elle suit des yeux la liste des patients avant de pointer de son ongle rouge démesurément long le nom de Charles. Elle m'écrit le numéro de sa chambre sur une feuille qu'elle me tend en lâchant un soupir qui me fait hausser les sourcils. Je la quitte avec un sourire qui me coûte et me brûle les lèvres.

Arrivée devant la chambre de sa porte, je me permets d'ouvrir la porte sans m'annoncer. Charles est allongé sur son lit blanc, endormi et entouré d'engins que je ne connais pas qui clignotent et émettent probablement des sons aigus. A ses côtés, une femme plutôt âgée tourne son regard vers moi lorsque j'entre. Elle doit sûrement deviner qui je suis car elle m'indique de m'approcher d'un geste de la main. Face à elle, elle me serre dans ses bras avec force. Cette étreinte me réchauffe le cœur comme si des rayons de soleil estivaux me caressaient la poitrine. Finalement, elle me lâche et je sors mon carnet que je lui tends. Sans hésitation – ce qui me prouve qu'elle me connaît - elle le saisit et griffonne quelques mots.

« Tu dois être Léane. Je suis la maman de Charles. Il nous parle de toi depuis si longtemps. Je sais ce que tu as fait pour lui. Je ne pourrais jamais te remercier assez ma tendre Léane. »

Pour toute réponse, je lui adresse un sourire que j'espère aussi chaleureux que son étreinte. Nous continuons à discuter par le biais de mon cahier. Lorsque Charles commencer à bouger, nous nous levons précipitamment pour s’approcher de lui. Quand son regard croise respectivement le regard de sa mère puis le mien, son visage s'illumine malgré probablement la douleur et les vertiges. Il n'a plus rien de ce jeune garçon au style négligé et rock’n’roll tout droit sorti d'un concert de métal. Dans sa tunique blanche, les cheveux décoiffés, il me paraît métamorphosé.

Il m’agrippe au poignet et m'offre un sourire radieux.

« Comment vas-tu ? lui demandé-je en lui tendant mon carnet.

- J'ai un mal de crâne pas possible mais ça peut aller, m'écrit-il. »

Son air déconcerté me fait hausser les sourcils. Il adresse quelques paroles à sa mère en gardant sur son visage son air perplexe. La réponse de sa mère lui arrache un cri de surprise. Enfin, il se tourne vers moi, les yeux grands ouverts, dévoilant ses belles perles vertes qui semblent toujours scintiller. Cependant, je lis dans son regard une stupeur dont je comprends immédiatement la cause.

« Pourquoi ? parviens-je à lire sur ses lèvres.

- Tu m'en veux ? Je murmure presque dans un sanglot, de peur d'avoir mal agis. »

Il se frotte le front, comme en proie à de furieux dilemmes. Mais lorsqu'il relève le visage vers moi, il me sourit d'un sourire partagé entre la reconnaissance et la culpabilité.

« Tu n'aurais pas dû, griffonne-t-il avant de me saisir la main.

- Ne t'en fais pas pour moi, assuré-je. J'ai toute ma vie pour retrouver l'ouïe.

- Je t'aime, ajoute-il. Je serai avec toi pour te soutenir. »

Une heure après, alors que la fatigue reprend le dessus sur Charles, nous quittons sa chambre pour le laisser. La mère de Charles a trouvé une chambre dans un hôtel du coin et me laisse après m'avoir embrassée comme le font les grands-mères, de façon démonstrative. Un sourire aux lèvres, je me rends jusqu'à ma chambre. Je ne peux m'empêcher de ressentir une pointe de déception percer ma poitrine quand je découvre mon lit. Je m'attendais à recevoir une lettre sur les draps que j'avais soigneusement pliés…

Je m'affale sur mon matelas en soupirant. Charles va bien, et c'est l'essentiel. Puis, je réalise soudainement qu'il n'aura plus besoin du Programme. A cette idée, je sursaute et me relève dans un bond. Je me mords l'intérieur de la joue jusqu'au sang, comme je le fais à chaque fois qu'un problème me fait face et qu'il me semble insurmontable. Finalement, je sais quoi faire.

Je saute dans mes chaussures et file jusqu'au bâtiment B. Devant la porte d'Adriana je toque en m'annonçant. Mais la femme qui m'ouvre n'est pas celle que j’espérais trouver. Je découvre Camille, en tenue de ménage, les mains dans des gants jaune pétant et les cheveux en bataille.

« Adriana n'est pas là ? interrogé-je.

- Bonjour à toi aussi, grogne Camille. Adriana est partie. »

Mon cœur se resserre, comme ces voitures que l'on compresse en cube de ferraille dans les déchetteries. Je l'entends presque grincer sous l'effet de la surprise. J'ai un très mauvais pressentiment.

« Quand revient-elle ?

- Elle a quitté le Programme, lâche Camille comme une banalité. »

Il n'en faut pas plus pour que mon cœur explose. Je ressens comme une fulgurante déchirure au niveau de la poitrine qui me brûle. Je n'arrive pas à y croire. Elle ne m'a rien dit ! Je remercie Camille qui retourne à son travail sans tarder.


J'erre dans les couloirs en quête d'un visage qui pourrait me soulager, porter avec moi le fardeau que je ne parviens pas à garder seule. Je croise Jean, mais il a le nez plongé dans son livre. Puis je rencontre Hugo, un téléphone à la main qui court presque. Personne ne m'accorde une seconde ou même un regard compatissant. Je cours me réfugier dans ma chambre dans l'idée de pleurer la perte des deux êtres les plus chers au Programme, mais alors que j'arrive dans le hall -par lequel je dois passer- l'impensable se produit.

Je n'ai pas le temps de réagir qu'une dizaine de policiers, armes à la ceinture, arrivent dans le hall et me passent devant en groupe. Derrière eux, d'autres agents interpellent les patients présents dont les visages se décomposent. Je comprends rapidement qu'ils exigent de nous que nous les suivions. La femme en uniforme qui s'approche de moi comprend vite la difficulté à communiquer avec moi mais elle hèle une infirmière proche et lui demande de traduire.

« Cette femme te demande de la suivre, elle va te poser quelques questions, m'explique l'infirmière.

- Que se passe-t-il ? demandé-je.

- Je ne sais pas… Mais je t'avoue que je n'aime pas ça... »

Quelques instants plus tard, tout le bâtiment est évacué. Nous nous retrouvons tous dehors, la centaine de patients du Programme, à attendre d'être transporté dans les locaux de police les plus proches. Nous montons par groupe dans des camions surveillés par des policiers aux visages de marbre. Avant de monter dans le véhicule, j'aperçois au loin Lucien, des menottes aux poignets, accompagné par deux agents jusqu'à une voiture. Il ne se débat pas mais déblatère en exigeant sûrement des explications. Un frisson me parcoure, craignant le pire quand je me remémore le rôle que je tenais dans les missions qu'il me donnait.

Cependant je monte sans protester dans le camion, et une fois devant le portail d'entrée, je jette un dernier regard au bâtiment du Programme comme si c'était la dernière fois que je le voyais.

Annotations

Vous aimez lire Titi7410 ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0