Chapitre 22 : Adriana

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« Rien de nouveau sous le soleil, comme on dit. Ma vie au sein du Programme n’est pas vraiment palpitante, mais les missions que j’effectue me rapportent pas mal de crédits. Avec un peu de chance, je pourrais avoir mon opération dans deux ou trois mois ! En attendant, je continue d’assister aux cours de braille et de morse, mais je n’ai plus rien à apprendre aux étudiants en poterie. Du coup, je fais plutôt de la cuisine ou le service à la cantine, mais la routine me pèse beaucoup.

- Tu t’en sors super bien ma chérie, me réconforte Thomas. J’ai hâte de revoir tes jolis yeux. »

J’ai l’habitude d’entendre uniquement sa voix, mais elle est généralement accompagnée de caresses. A l’autre bout du téléphone, j’entends également Rémi, tellement impatient de me parler qu’il babille tout seul. Je retiens un rire tandis que Thomas me raconte sa journée de travail. Lui aussi s’est plongé dans une routine fatigante, presque oppressante, mais lorsqu’il rentre le soir en passant chercher Rémi, celui-ci demande toujours à m’appeler. Il a été habitué à être souvent proche de moi, étant donné que je ne pouvais pas toujours me débrouiller seule. Quand la pression sur le bras de Thomas devient trop pesante, il passe finalement le téléphone à Rémi qui se met à rire.

« Coucou, maman ! Tu as reçu mon cadeau ?

- Oui mon trésor, je l’ai reçu. C’est toi qui l’as fait tout seul ? je lui demande alors que mes doigts parcourent le porte-clés en forme de chien.

- Oui, c’est moi tout seul ! Comme tu donnes des cours de poterie, je voulais en faire moi aussi… Je me suis inspiré de GPS ! Tu crois que tu pourras le ramener à la maison après ? Je veux un chien moi aussi ! »

Je ne peux m’empêcher de rire. Ce bonheur innocent me manquait. Malheureusement, ils se sont retrouvés dans une situation compliquée, et Thomas doit tout gérer. J’essaie de ne plus appeler : la dernière fois, Thomas s’était endormi sur le canapé tandis que Rémi cherchait de quoi manger ! Maintenant, j’attends qu’ils aient libéré un peu de temps, même si nos conversations ne durent jamais bien longtemps et ne sont pas non plus très intéressantes. Malgré tout, elles sont extrêmement réconfortantes.

« Je dois te laisser, c’est l’heure pour maman d’aller travailler. Je vous aime, mes amours, je finis en imitant le bruit des baisers. »

Si quelqu’un regardait par ma fenêtre en ce moment, il verrait une femme étalée sur le lit, un grand sourire sur les lèvres et l’air niais. Depuis la naissance de Rémi, je n’avais jamais autant ressenti le besoin de recouvrer la vue. Lorsque je rentrerai, je veux voir ma famille, à tout prix.

Trêves de bavardages, je dois aller travailler. Alors que GPS me dirige vers la cantine, j’entends quelques mots échangés par-ci, par-là. De plus en plus de gens quittent le Programme suite à leur opération réussie, mais certains pensent que le phénomène prend de l’ampleur trop rapidement. De nouveaux adhérents arrivent, mais certains en sont déjà sortis, alors que les tout premiers triment encore. J’essaie de ne pas y prêter attention. Je dois me concentrer sur ma mission.

* * *

Une fois mon service terminé, alors que l’odeur de la viande fumée est toujours ancrée à mes vêtements, une vingtaine de personnes entre en trombes par l’entrée principale des locaux. Ils couvrent tous les bruits, mais leurs voix s’entremêlent et les mots se confondent. Cependant, le vacarme ne dure que peu de temps, et les voilà déjà partis. Sans me poser plus de questions, je décide d’aller prendre une douche.

Rafraîchie et présentable, je sors de nouveau de ma chambre. Cela fait un moment que GPS n’a pas eu de promenade ou ne s’est défoulé convenablement, alors je l’emmène au parc prévu à cet effet. Enfin, disons plutôt qu’il m’y conduit. L’air est frais, mais le Soleil apporte une agréable chaleur, lorsqu’elle n’est pas chassée par le vent glacial. Emmitouflée sous mon écharpe en laine et ma grosse veste, je me laisse bercer par les aboiements rythmés et les cris joyeux d’enfants.

Jusqu’au moment où je n’entends plus rien. Me suis-je endormie ? J’appelle GPS, mais il ne répond pas. S’est-il lui aussi endormi ? Je tente de me lever, mais mon pied heurte quelque chose, quelque chose qui gémit.

« GPS ! Désolée, mon grand, je marmonne en m’agenouillant à ses côtés pour le caresser. Tu le sais, pourtant, tu ne dois pas te coucher à mes pieds. »

Comme pour acquiescer, celui-ci se lève, fait un petit tour, saute sur le banc et s’assoit à ma gauche. Je laisse mon dos basculer et se poser sur le dossier. Je ne sais pas pourquoi, mais cet endroit m’apaise. J’ai presque l’impression d’être de retour chez moi. Perdue dans mes pensées, je ne remarque pas tout de suite la présence sur ma droite, et pourtant, son odeur fruitée et douce m’est familière.

« Bonjour, Adriana.

- Oh, bonjour Jean ! Je ne t’ai pas entendu arriver. Comment ça va ?

- Comme un vieux qui perd la boule, rétorque-t-il précipitamment, comme s’il avait préparé sa réponse. Moi aussi j’aime bien venir ici, ça me fait oublier mes problèmes.

- Oui, c’est vrai, j’ai l’impression d’emmener mon fils au parc de jeux.

- Fils… murmure-t-il.

- Jean ? Tout va bien ? je m’inquiète en haussant le ton. »

Celui-ci ne répond pas, mais j’entends des bruits de frottement, comme un carnet dont on feuillette le contenu. Après quelques pages, Jean s’arrête sur une en particulier, et prend le temps de lire avant de reprendre la parole.

« J’ai une petite fille. Elle s’appelle Clarissa, et elle est magnifique.

- Quel âge a-t-elle ?

- Elle a douze ans. Enfin, c’est ce que j’ai écrit, mais je ne me souviens pas de la dernière fois que je l’ai vue, m’avoue-t-il en parlant lentement. Même si toutes mes connaissances importantes sont notées dans ce carnet, je continue d’oublier mes amis. Tu veux lire ce que j’ai écrit sur toi ?

- Tu n’as qu’à ajouter que je t’apprécie beaucoup, Jean, et que je ne t’oublierai pas, je lui annonce doucement alors qu’il sort un stylo. »


Sans dire un mot, nous écoutons le paysage. Nous restons comme ça un petit moment, à écouter les oiseaux chanter et s’envoler au-dessus de nos têtes, à repérer les passants et à percevoir les rires d’enfants sonnant comme une mélodie à nos oreilles. J’aimerais demander des détails sur la vie de Jean, mais j’ai peur de toucher une corde sensible, alors je reste muette.

Pour ne rien voir, on peut simplement fermer les yeux. Pour ne rien dire, il suffit de fermer la bouche. Mais on ne peut pas ne rien entendre par sa propre volonté. Même en y mettant toute la volonté du monde, on entend toujours, au moins les battements de son cœur. Aujourd’hui pourtant, je décide de faire abstraction aux notes superflues, et mes concentre sur le vent qui chante à mes oreilles. Parmi les ténèbres qui règnent dans mon monde, certaines musiques sont un véritable médicament apportant une lueur d’espoir.

Un infirmier apparaît soudainement face à nous, il clame venir chercher Jean pour son diagnostic hebdomadaire. Je crois qu’il est aussi temps pour moi de rentrer, je ne veux pas tomber malade. Tandis que j’ouvre la porte du bâtiment menant au couloir principal, quelqu’un me bouscule violemment. J’en tombe à terre. Heureusement que le peu de neige présente amortit ma chute. GPS aboie méchamment, et je lui fais signe d’arrêter en lui tapotant le flan. Ce n’était qu’un accident.

« Tout va bien ? me demande le fautif, sans réelle compassion. »

Mais cette voix ne m’est pas inconnue, il s’agit de l’homme hypocrite de la dernière fois ! Mon sang ne fait qu’un tour. Je dois découvrir de qui il s’agit. Il est temps de montrer ce que j’ai appris à me cours de théâtre, quand j’avais treize ans.

« Oui, ça va… je grimace en me frottant une épaule et en laissant voir les tremblements de mes jambes.

- Prenez ma main, me suggère-t-il sèchement. »

Timide, je tends la main dans le vide. Il m’agrippe celle-ci fermement et me tire comme si je n’étais qu’un sac à patates. Déséquilibrée, je parviens à articuler :

« Merci, euh…

- Ouais, de rien, siffle-t-il avant de me frôler à toute vitesse. »

Malgré son ton froid et sec, j’ai distingué une pointe d’inquiétude, et à mon avis, elle ne m’était pas destinée. J’hésite à suivre le son de ces pas saccadés et lourds. Je dois au moins découvrir son nom, malheureusement, il n’y a personne aux alentours, impossible de demander. GPS pourrait le suivre sans problèmes, il suffirait de lui ordonner, mais il pourrait me mettre à découvert. D’un autre côté, si je décide d’y aller seule, je ne saurais même pas à quel moment je pourrais me faufiler sans être remarquée.

Après une intense réflexion, j’ai tout de même décidé de jouer les espionnes. J’ai emmené GPS avec moi, et de toute manière, il m’aurait suivie. Je peux toujours me servir de lui comme excuse ou comme diversion, même si c’est la dernière chose que j’aie envie de faire. Les pas de cet homme dangereux sont clairs et nets, sa démarche est rythmée et rapide, et sa respiration troublée. Je n’ai aucun mal à les distinguer au milieu des feuilles perturbées par le vent ou des conversations alentours. J’ai l’impression d’avoir été repérée, et de toujours franchir les mêmes portes, mais je m’enfonce bel et bien dans des locaux aux odeurs encore inconnues.

Finalement, je suis heureuse d’avoir emmené GPS avec moi, il m’est d’une aide précieuse, comme toujours. J’arrive bientôt devant une salle remplie d’engins indéfinissables. L’homme s’enfonce à l’intérieur. L’ambiance m’impose de devoir abandonner la piste, jusqu’à ce qu’une petite voix me parvienne de loin. Je ne parviens pas à reconnaître les mots formulés, mais je peux assurer que deux personnes discutent, dont le coupable que je cherche. Je pousse légèrement la porte pour approcher mon oreille, mais je suis tirée en arrière par GPS. Il n’aboie pas, mais il est apparemment pressé. En me concentrant, je repère une odeur lointaine de viande. Ne pouvant pas me permettre de laisser passer cette chance, je lâche la laisse, et GPS court vers une autre pièce.


Au moment où je me retourne vers la porte pour attraper un morceau de conversation, ma main se pose sur un matériau qui ne fait sûrement pas partie de la porte. C’est du jean. Sur la jambe de quelqu’un.

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