Chapitre 9 : Léane

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Me voilà, valises en main, bonnet sur la tête, rêves en tête, devant un bâtiment immense. J'ai comme une sensation de déjà-vu. La dernière fois où je vivais un moment pareil, l'angoisse qui tord l'estomac, la peur qui vrille le cerveau, mais l'excitation qui donne l'impression de voler, c'était avant les entretiens. Ils me semblent aujourd'hui si loin derrière moi !

Après avoir reçu la réponse positive du Programme, j'ai sauté dans les bras de ma mère. Cette dernière m'accompagne, une autre valise dans les mains. J'ai décidé de vivre au sein du Programme comme chez moi. J'ai emporté tout ce que je pensais essentiel à mon bien être. Des tonnes de vêtements, des livres, et bien évidement, ces précieuses partitions de piano qui seront très bientôt de nouveau utilisables. La seule chose que je n'ai pas pu emmener, c'est mon piano.

Alors lorsque je découvre dans la salle dédiée à cet effet, un magnifique piano droit, je manque de m'étouffer. Mais s'il n'y avait que ça ! Nous visitons tous les locaux, de la salle à manger plutôt classique, à la bibliothèque fournie, en passant par les salles de classe et le gymnase. Les femmes et les hommes qui nous font découvrir le centre du Programme me font tant rêver que cela me donne des étoiles dans les yeux.

Malgré tout, c'est avec des larmes refoulées que ma mère me laisse entre les mains des professionnels, avant de partir.

Tout s'est passé si vite. Je suis accompagnée par un infirmier dans ma chambre. Il me faut quelques secondes pour me remettre de mes émotions lorsque ce dernier me laisse m'installer dans la pièce. J'observe autour de moi : les murs clairs sur lesquels je vois déjà les photos que je vais afficher. L'armoire dans laquelle je sais exactement ce que je vais placer. La fenêtre à laquelle il manque des rideaux colorés selon moi. A travers celle-ci, se dessine un tableau qui me laisse scotchée : L’orée d'une forêt de sapins vert qui donne sur un champ où des touffes d'herbes tiennent compagnie à des fleurs que je ne connais pas, aux pétales jaune pétant. Un ruisseau plutôt famélique dont le cours d'eau me paraît mince, est jalonné de pierres recouvertes de mousses. Et je constate que juste en dessous de ma fenêtre se trouve une terrasse dallée où vaquent déjà des patients.

Je sursaute lorsque le docteur Arnold entre dans la pièce et arrive dans mon champ de vision subitement.

« Bonjour Léane, me salue-t-il.

- Bonjour docteur.

- Je t'invite à aller prendre ton emploi du temps en bas quand tu auras le temps. Tu auras des cours, mais aussi des temps libres et des moments réservés au fameux services dont nous parlions. Si tu as des questions, n'hésite pas à demander à ton tuteur. Il me semble que le tien est Hugo, signe-t-il après avoir vérifié son dit sur un cahier.

- Ça marche, je le ferai.

- Et, évidemment, bienvenue dans le Programme Léane, sourit-il. »

* * *

J'examine mon emploi du temps à l'ombre naturelle des nuages qui cachent le soleil. Assise sur un banc, j'essaie de le comprendre. J'ai tous les jours, hormis durant le week-end, trois à six heures de cours. Cela peut paraître être peu, mais le reste du temps est consacré à des groupes thérapeutiques, des heures de services, et même à des activités auxquelles on m'a inscrite selon mon profil. Je constate que je participe notamment à un groupe de neuf autres patients dont les noms sont écrits au dos de ma feuille.

Avant que je ne puisse me faire une idée du groupe et de son but, une femme se poste devant moi. Elle porte une chemise blanche sur laquelle est accroché au niveau du cœur un badge indiquant qu'elle fait partie du personnel soignant. J'y lis son prénom : Camille.

« Bonjour, je suis Camille, signe-t-elle avec un sourire éclatant sur les lèvres. Je vois que tu as récupéré ton emploi du temps. C'est parfait. Je peux ? »

J'acquiesce en lui tendant ma feuille qu'elle inspecte rapidement pendant que, de mon côté, je l'observe elle : Ses longs cheveux sont consciencieusement attachés et tombent en une magnifique tresse dans son dos. A travers le verre de ses lunettes rondes, ses yeux ambrés défilent de lignes en lignes tandis que ses lèvres bougent légèrement au fil de sa lecture.

« Tes activités ne commencent que demain, constate Camille. Mais je te cherchais car tu dois faire connaissance avec ton groupe de soutien.

- Groupe de soutien ?

- Ce sont les neuf personnes dont les prénoms sont inscrits au dos de ton papier, explique-t-elle en désignant la liste de noms. Ces gens seront pour toi comme une seconde famille. Notre objectif est que tu te sentes capable de leur parler comme à tes parents, que tu partages avec eux tout ce dont tu as envie, que tu passes du temps avec eux... Et pour vous aider à vous rapprocher, vous devez participer à un groupe d'une heure qui aura lieu tous les dimanches durant la durée nécessaire.

- C'est obligatoire ? fais-je en grimaçant.

- Eh oui, rit Camille en m'intimant de la suivre. »

Je me lève alors et la précède jusqu'à une salle dans laquelle attend une dizaine de personnes, pour la plupart assise. Elles m'accueillent d'un sourire pour certains chaleureux, mais pour d'autres, les plus jeunes, plutôt intimidé ou même méprisant. Je fais un tour rapide des visages : il y a un jeune garçon de mon âge qui aborde ce style négligé si caractéristique des adolescents en plein besoin d'affirmation. Son bonnet inutile qui semble être posé en équilibre sur sa tête, son large pantalon troué, ses cheveux en bataille, et son air agacé me font sourire. A ses côtés j'ai la surprise de découvrir un groupe déjà soudé de trois filles plutôt jeunes. Je leur donnerai entre douze et quatorze ans. Elles paraissent toutes entendantes car aucune d'entre elles n'utilise le langage des signes. Leurs vêtements colorés comme l'est un arc-en-ciel m'arrachent également un sourire. Les paillettes sur les chaussures, les barrettes dans les cheveux, les pin's accrochés à leurs sacs à dos… Tout me rappelle ma propre enfance. Mais lorsque je croise leurs regards haineux, leurs yeux bien trop maquillés, je ne peux m'empêcher de grimacer. Alors je fais mine de m’intéresser au reste du groupe.

Deux adultes, qui, comme de vieux loups solitaires, épient eux aussi le reste de la meute. Leur discrétion les rend quasiment invisible. Puis il y a aussi ce vieillard qui tient dans ses mains un livre qui m'intrigue. On dirait un album photo format poche. Mais à chaque page, la plupart de l'espace disponible est dédié à un long texte tandis qu'une minuscule photo est accrochée dans l'angle du haut. Impossible de lire les paragraphes. Enfin, ne reste plus que deux personnes : La première est un enfant si jeune que cela me fait hausser les sourcils. Je constate que ses deux jambes sont amputées au niveau des genoux, mais cela ne l'empêche pas de rire en parlant à l'infirmière qui l'accompagne probablement pour l'aider dans son quotidien. J'essaie de m'imaginer son rire, probablement cristallin, un peu aigu peut-être, mais je donnerais n'importe quoi pour l'entendre.

Lorsque je découvre la dernière personne qui est assise dos à moi, un long frisson me parcoure l'échine. Je suis persuadée de l'avoir déjà rencontrée. Je sais que j'ai déjà vu ce dos. Alors je m'avance, rentre dans le cercle de chaises où nous allons nous asseoir, et fais mine de tourner sur moi-même pour trouver une place.

C'était en réalité bien inutile de jouer toute cette comédie absurde. La femme en question est aveugle. Ses yeux plus clairs et dirigés dans le vide en témoignent. Et désormais je sais d'où me vient cette impression de déjà-vu totalement justifiée. Cette femme s'est fait agressée devant moi sans que j'y fasse rien. Je l'ai laissée se faire frapper devant le garçon qui devait être son fils, pour finalement prendre la fuite.

* * *

Nous voilà tous assis, à nous regarder avec une certaine curiosité presque malsaine. Chacun se demandant quelle est la raison à la présence de l'autre ici. Au centre, se tient un homme. Le badge sur sa poitrine me permet de l'identifier comme étant Hugo, mon tuteur, et probablement celui des autres patients présents. Lorsqu'il commence à prendre la parole il lève les mains pour traduire simultanément en langue des signes.

« Bonjour à tous, je suis Hugo, votre tuteur, commence-t-il. Comment s'est passée votre arrivée dans le Programme ? »

Pas la peine d'entendre pour comprendre que la seule réponse à laquelle il a le droit est un timide oui hésitant. Je ne prends pas même la peine de lui répondre. Ce manque d'enthousiasme ne lui fait pas perdre son large sourire. Il enchaîne :

« Je pensais commencer ce groupe par un tour de présentation. »

Une seconde fois, son initiative n'est pas une franche réussite. Sur le visage des plus jeunes, se dessine une grimace insipide.

« Allez, et de gaieté de cœur ! Marie, tu veux bien commencer ?»

Nous tournons nos regards vers la jeune fille qui rougit instantanément. Elle se redresse sur sa chaise, et prend la parole.

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