Chapitre 7 : Léane

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Devant le portail rouillé, nous sommes bien une trentaine à attendre. Nous nous jetons tous des regards en chien de faïence, en espérant silencieusement être acceptés par le Programme. Même les enfants paraissent menaçants dans leurs bottes en caoutchouc jaune. Les voir aussi déterminés me fait réaliser que du haut de leurs six ans, ils sont déjà des concurrents potentiels. En constatant que cette pensée illogique et égoïste fait son nid dans mon cerveau, je la chasse d'un revers de la main. Nous sommes tous des êtres humains.

Je suis venue seule, avec mon calepin et mon crayon à papier. Mes parents désapprouvent mon souhait de participer au Programme. Lorsque j'ai découvert le flyer, je me suis renseignée le soir même. Cet espoir qui a pointé le bout de son nez dans mon esprit ne m'a pas quittée de la nuit. Le lendemain, j'en ai parlé avec mes parents. D'abord très calmes, ils m'ont interdits d'aller plus loin dans ma quête. J'ai insisté et le ton est monté. Du moins je suppose. Mon père semblait fou de rage et a même arrêté de signer pour me parler. Bien évidemment je n'ai rien compris de ce que je pensais être des avertissements et des réprimandes. Je l'ai regardé, et une fois que ses lèvres ont arrêté de bouger, je lui ai dit comme je le pouvais que j'ai dix-huit ans, et qu'ils ne sont plus en mesure de m'imposer leurs choix.

Ma mère s'est levée et s'est postée droite comme un I devant moi. Puis elle m'a demandé de lui donner plus d'informations sur ce fameux Programme. Je lui ai alors pris la main pour l'entraîner dans la chambre où j'ai ouvert mon ordinateur pour lui montrer le site du Programme, aussi enjouée qu'un gamin le soir de Noël.

Au final, elle a longtemps hésité. Je lui ai redis que j'étais en mesure de faire mes propres choix.

« Es-tu sûre ? a-t-elle signé. »

J'ai acquiescé, et le soir même, nous envoyions mon dossier de candidature au Programme. Le lendemain, nous avions une réponse qui confirmait mon rendez-vous à un entretien qui déterminerait si j'étais acceptée.


Voilà que deux semaines plus tard, après quatorze jours d'attente insupportable, je patiente devant un portail aussi piteux qu'inutile.

Puis, la foule devient agitée, alors je comprends que le portail a dû s'ouvrir. Mais nous restons tous civilisés et tentons de contenir l'excitation qui nous prend au ventre. Nous entrons et franchissons le portail. Des hommes en costume bleu font des signes, remuent les lèvres, et dirigent le peloton vers un bâtiment plutôt miteux. Son aspect dégradé m'étonne mais je suis déterminée à faire face à tous les potentiels patients, tous les réels candidats.

Une fois entrée dans le hall principal, des panneaux indiquent les différents lieux d'entretien. Je regarde ma convocation : « Salle 21, docteur Arnold ». Ni une ni deux, je me mets à la recherche du bureau correspondant. Malgré son apparence peu valorisante de l'extérieur, le lieu est immense et un monde fou y grouille comme dans une gare. Sans le son qui doit être assourdissant, la situation me paraît cependant moins impressionnante.

Enfin, j'arrive devant la porte qui donne sur la salle 21. Un homme est posté devant, et inspecte la convocation que je lui ai tendue d'un regard suspect. Il me regarde et m'indique en langue des signes de rentrer.

Je me mets à réaliser que mon avenir va probablement se jouer dans les minutes qui suivent. Je pénètre dans la salle d'un pas hésitant, les mains moites, et il me semble presque entendre le roulement de tambour qui précède des annonces importantes. Mais j'entre, sachant que si j'échoue, je ne pourrai jamais entendre de nouveau le son tout bête d'un chant d'oiseaux. Cela me donne la force et je prends de l'assurance en serrant la main du docteur Arnold. Celui-ci m'invite à m'asseoir. Je m’exécute tandis qu'il se penche sur une feuille et y inscrit, dans l'espace prévu à cet effet, mon nom, prénom et date de naissance.

Enfin, l'entretien débute.

* * *

« Bonjour Léane, comment vas-tu ? interroge le docteur Arnold »

Ce dernier paraît étrangement jeune pour exercer une profession si exigeante. J'en déduis qu'il est probablement novice dans le domaine, mais c'est bien loin de m'inquiéter : son regard brille de connaissances, ses gestes respirent l'assurance, et son sourire crée une aura de chaleur dans la salle. Les traits de son visage paraissent être taillés grossièrement dans un morceau de marbre mais ses cheveux, étonnement, sont soigneusement coiffés. Il m'observe de ses yeux semblables à deux billes noires.

« Bien merci, réponde-je en abordant un mince sourire sans arriver à quitter du regard ces deux perles sombres.

- Je ne vais pas te mentir, ton profil n'est pas de celui que nous recherchons. »

En quelques mots, je perds la confiance qui pointait le bout de son nez chez moi. Mon visage doit probablement refléter cette déception car M. Arnold reprend :

« Du moins, pas totalement. Tu le sais sûrement, mais nous accueillerons principalement des personnes qui sont handicapées de naissance. Or tu as perdu l'ouïe suite à un accident. Mais si j'ai accepté de te rencontrer c'est parce que nous avons remarqué un point important dans ton dossier d'inscription : la musique.

Je hausse un sourcil, ne comprenant pas où il veut en venir. Il continue son explication sans attendre en signant précisément :

« Nous avons lu que tu es musicienne, et cela nous a semblé être un certain défi de t'aider à retrouver un moyen d'exercer à nouveau ta passion. Tu es motivée, et c'est ce que nous recherchons. Puis tu as appris la langue des signes. Pour finir, je vais être franc, tous ces points positifs, toute ta motivation, feront une bonne image au Programme. J'ai cependant une demande : si tu t'engages dans cette aventure avec nous, je ne te demanderai qu'une chose : être impliquée. »

Même sans avoir à parler, cette phrase me pétrifie. Mais je tente de contenir cette peur qui me tord les boyaux en quelques secondes, et qui me ferait fondre en larmes si je n'avais pas déjà vécu pire.

« Je le serai, assuré-je

- Laisse-moi d'abord t'expliquer le déroulement du Programme : il fonctionne en ce que nous appelons « des points d'expériences ». En effet, les recherches pour chaque cas spécifique de handicap ou maladie, l'emprunt d'un bâtiment, l'emploi de professionnels, et le déroulement des opérations, quelles qu'elles soient, a un prix conséquent. Ces points d'expériences te permettront d'être opérée pour que tu retrouves l'ouïe.

- Combien en faut-il ?

- Cela dépend de ton profil et du prix exigé pour ton séjour. Pour les gagner, tu dois t'engager dans des services, de simples missions semblables à un job d'été, me rassure le docteur en voyant mes yeux s'ouvrir brutalement.

- Bien.

- Ces services demandent pour chacun des capacités spécifiques. C'est pour cela que nous allons établir un dossier avec tes compétences.

- Mais… signé-je avec hésitation et en retenant bien que mal un sourire. Vous me prenez, donc ?

- Cet entretien avait seulement pour but de te rencontrer pour que je te tienne au courant du déroulement du Programme, donc, après les examens, si tout se passe bien, tu seras prise. »

Je serre mes poings sous le bureau, à l'abri du regard de M. Arnold. Mais cette fois ci, impossible de retenir un large sourire fleurir sur mon visage comme un bourgeon qui éclorait. Je me lève pour suivre l'infirmière après avoir serré la main du docteur. Une fois hors de la salle, j'ai bien du mal à contrôler les tremblements de mes jambes, mais je suis inéluctablement la femme en blouse qui me conduit jusqu'aux tests.

* * *

Voilà bientôt trois jours que mon rendez-vous avec le docteur Arnold s'est déroulé. Je suis rentrée chez moi après les tests en ayant l'impression de m'enfoncer un peu plus à chaque pas du chemin retour.

« Comment ça s'est passé ? A interrogé ma mère dès le seuil de la porte franchi. »

Elle semblait attendre dans le hall d'entrée mon arrivée avec hâte et inquiétude.

Je lui ai tout raconté : l'entretien et les tests. Ces derniers étaient séparés en plusieurs parties. Il y avait un questionnaire sur mes hobbies, mes points forts dans différents domaines, mes points faibles, mes compétences, mes expériences et bien d'autres éléments. Puis j'ai dû répondre à des questions sur mes préférences.

Semblables à un test de personnalité que l'on peut trouver dans les magazines d'enfants de dix ans, j'ai tout d'abord été déroutée par l'apparence peu officielle de la chose. On y trouvait par exemple des interrogations comme :

« Vos vacances idéales seraient :

a) à la mer

b) à la campagne

c) à la montagne

d) dans un pays étrangers »

Mais je n'ai pas discuté ou cherché à avoir une explication, et j'ai rempli la feuille. Enfin, après ces tests écrits, je suis passée dans une salle fournie en matériel de sport qui semblait tout neuf. Des tapis roulants, des vélos et bien d'autres dont j'ignore le nom, chacun posté à côté d'un petit bureau sur lequel trônaient des ordinateurs et divers outils de mesure informatique.

Après avoir couru plus que durant toute une décennie, à bout de souffle, je me suis effondrée au sol, au bord de l'évanouissement. Mes jambes tremblaient, mais c'était de fatigue et non d'excitation. J'ai croisé le regard de l'infirmière qui m'accompagnait et c'était avec terreur que j'ai lu dans ses yeux une certaine déception. J'ai alors cru que c'était la fin pour moi. Alors que ça ne venait même pas de commencer. Maudite musicienne si peu endurante qui refuse d'accompagner sa mère courir le dimanche matin.

Après avoir repris ma respiration, j'ai été congédiée, et c'était le cœur en lambeaux que j'ai quitté les lieux. J'étais presque en larmes quand je racontais à ma mère mon entretien.

« Tu as fait ce que tu as pu, m'a-t-elle consolée. Tu ne peux plus rien faire de plus. »

Voilà comment, aujourd'hui, je me rue dans le hall d'entrée pour ouvrir la boîte aux lettres. Lorsque je découvre l'enveloppe à mon nom, flanquée du logo du Programme, je perds soudainement mon entrain et ma vigueur. Je la saisis du bout des doigts, et rentre chez moi en priant. Une fois assise aux côtés de ma mère, j'ouvre soigneusement l'enveloppe, comme si cela pouvait affecter la réponse qu'elle contient. Mes mains tremblent tellement que je manque de déchirer la feuille sur laquelle sont inscrit les résultats.

Puis, enfin, je découvre les quelques lignes qui s'alignent au centre du papier.

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