7.

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Installée près de la fenêtre, la Mertingelle admirait le paysage. Elle remonta son sac sur ses genoux et pressa rêveusement sa tempe contre la vitre fraîche. Indifférente à la chaleur du wagon, aux murmures voisins, elle se perdait dans la contemplation de la ville qui défilait sous ses yeux. Elle s'était habituée à ce paysage obstrué, à cet horizon rétréci, bien lointain de ce qu'elle avait connu plus jeune. Le train glissa au dessus de la Seine, dans ce craquement mêlé de grincements, qui pris ensemble, créait un rythme tout à fait harmonieux avec la chanson que la Mertingelle fredonnait dans sa tête. Entre les tours et les nuages, un rayon de soleil pointait. Sans effet d'annonce, il embrasa la surface grisâtre du fleuve. L'onde miroitante tira à la Mertingelle un sourire amoureux.

Bientôt elle quittait le métro pour un café familier. On l'accueillit en terrasse avec des exclamations réjouies, des étreintes chaleureuses. Tous étaient là : ceux qu'elle avait rencontrés après avoir rejoint l'école des Beaux-Arts un an plus tôt. Si la Mertingelle n'avait jamais été une élève aussi brillante que sa mère dans le secondaire, elle n'entendait pas lui ressembler en rien. Elle avait toujours eu une âme d'artiste, et à force de ténacité, avait été admise dans la prestigieuse école. Cela avait presque été facile.

Pressée de questions sur son retard, elle échangea un sourire complice avec Annick. Celle-ci savait. La Mertingelle s'installa, et alors que le soleil embrassait la capitale, et qu'il lui semblait sentir d'ici les rayons ocres chauffer la Seine, ils burent, s'enivrèrent de leurs mots et de leur esprit acéré par l'étude et l'émulation du moment. Son regard glissait de l'un à l'autre, et elle s'émerveillait encore d'être là ; d'être une partie de ce tout brillant, victime de leur éloquence, traitée comme un pair. Le temps lui sembla ralentir, encore et encore, à mesure qu'elle vidait ses verres, ce jusqu'à ce que le soleil disparaisse tout à fait, remplacé par les éclatants feux nocturnes de Paris.

Alors la joyeuse bande quitta le repaire de l'après-midi, pour se diriger vers un autre bar où ils étaient des habitués. Sur le chemin, Annick prit son bras, et elles conversèrent à bâtons rompus, à mi-voix. La Mertingelle mentionna son rendez-vous avec Jerôme, et Annick, des étoiles dans les yeux, la pressa de questions jusqu'à ce que leur gorge soit brûlée de paroles. La nuit fila à un rythme effrené, celui d'une ville qui a mieux à faire que dormir. Ils burent, dansèrent, rirent ; rirent, dansèrent et burent encore.

Au petit matin, elle se trouvait dans un lit étranger, les membres mêlés à ceux de Quentin, un de ses amis de promotion. Un nuage cotonneux l'enveloppait encore, réminiscence de l'alcool et des plaisirs de la nuit. Dehors, le soleil brillait aveuglément, signalant à qui l'ignorait que midi était passé depuis longtemps.

La Mertingelle s'étira, se libéra de l'étreinte et quitta l'appartement, non sans avoir dit au revoir à Quentin. Ce n'était pas la première fois qu'ils se trouvaient dans cette situation. Alors qu'elle poussait la porte de sa chambre de bonne, elle laissa échapper le sempiternel soupir que lui arrachait toujours son triste petit appartement.

Elle se glissa sous la douche, non sans avoir consulté son répondeur : Jérôme avait appelé, ainsi que le secrétariat du directeur de l'école. C'était la troisième fois depuis le début de la semaine : elle le rappellerait plus tard, sans faute. Indifférente au monde, elle se noya sous l'eau tiède, laissant glisser loin d'elle l'ivresse de la nuit.

Deux heures plus tard, elle était vêtue de pied en cap. Le rose à ses joues, les ondulations brunes de sa chevelure, ses lèvres carmines et l'extravagant ensemble en jean qu'elle s'était offert après les derniers examens, lui seyaient mieux que jamais.

Installée près de la fenêtre, dans le métro, elle admirait le paysage défilant sous ses yeux : la Seine, les immeubles fièrement dressés, Notre-Dame, au loin. Elle pressa doucement sa tempe contre la vitre fraîche. En descendant du métro, elle songea qu'elle avait oublié de rappeler le secrétariat : demain serait un autre jour ! Elle rejoignit le bar où elle avait ses habitudes, et fut accueillie avec le même enthousiasme que la veille. Et celui de l'avant-veille. Et indéniablement celui du lendemain.

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