De quand date la photo ? (2/2)

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Ils s’assoient à la grande table à manger et mettent leur veste sur le dossier de leur chaise. Elle revient rapidement avec trois tasses et les sert. Puis elle s’assoit et soupire.

— Ils m’ont expliqué ce qu’il t’est arrivé. Est-ce que ça va ?

Question de pure courtoisie. Pourtant, au pli soucieux entre ses sourcils, il suppose qu’elle s’inquiète vraiment.

— Je m’en remets, la rassure-t-il.

— Je me rappelle du primaire. Je n’avais pas compris ton départ. Maintenant, c’est plus clair. Je suis désolé pour toi.

Il la remercie d’un hochement de tête.

— Mais… j’ai l’impression de t’avoir vu il y a peu.

Il relève violemment la tête, surpris par sa révélation. Elle le dévisage, les sourcils froncés, puis elle recule d’un coup dans sa chaise.

— Je sais !

Elle sort de table et revient avec son téléphone portable.

— Je crois que je t’ai en photo.

Lucas fait les gros yeux. En photo ?

Elle lui montre son fond d’écran. Sur le cliché, trois filles dont elle posent, assises à une table d’un petit café. Lucas est en arrière-plan, assis également avec son meilleur ami Christophe. Elle cherche la photo dans son album des favoris et zoom. Il n’y a pas de doute. C’est bien lui, il a dû l’apercevoir ce jour-là.

Ses yeux partent dans le vague.

— De quand date la photo ? lui demande-t-il.

Elle l’en informe et la main enfouie nerveusement dans ses cheveux se crispe. Il s’agit du jour où, pour la première fois, il a entendu les pensées de Rachel dans sa tête.

— Que fais-tu en ce moment ? Tu es étudiante ? lui demande-t-il.

— Oui. Je suis en droit.

En droit… Et non en sciences comme sa Rachel.

— Tu es bien de 1997 ?

— Oui.

— Tu n’as pas de chien ?

— Non.

Ses réponses sont douces et elle les donne avec patience.

— Quels métiers exercent tes parents ?

— Ma mère est professeur de maths au collège, et mon père est commercial.

Lucas déglutit péniblement.

Cette Rachel est physiquement la copie conforme de la sienne, mais le reste ne suit pas.

Il ne sait pas si c’est une bonne chose ou une mauvaise. Pour l’instant, il a encore un mince espoir que sa Rachel l’attende quelque part. Peut-être parle-t-il à sa jumelle ?

— As-tu une sœur ?

— Oui, elle a dix ans.

— D’accord. Je suis désolé pour le dérangement, dit-il en se levant.

— Il n’y a pas de mal, lui répond-elle, surprise par ce départ soudain.

Le père suit son fils et elle les suit jusqu’à la porte. Ils sortent de la maison, quand soudain, elle retient Lucas par le bras.

Il se retourne, surpris, et elle lui écrase le pied.

Il la regarde sans comprendre, abasourdi.

— J’allais oublier. Ça, c’est pour m’avoir abandonnée du jour au lendemain sans m’avoir prévenue. Je ne savais pas à l’époque et je m’étais promis de me venger, dit-elle, un petit sourire aux lèvres. Bon, j’y suis peut-être allé un peu fort, mais mon pied a parlé tout seul, s’esclaffe-t-elle. Désolée.

La gorge de Lucas se serre, si fort qu’il doit se dépêcher de partir s’il ne veut pas qu’elle le voie pleurer.

Il prend sa main toujours posée sur son bras, pose l’autre dessus, et, après, l’avoir étreint dans les siennes, il se détourne.

— Merci, Rachel. Au revoir.

La voix du jeune homme n’est plus qu’un souffle. Elle lui répond :

— À une prochaine fois, Lucas.

Et c’en est trop. Il baisse la tête, déchiré entre l’envie de la prendre dans ses bras et l’horreur de la situation.

Elles sont trop proches. Trop semblables. Il ne comprend plus ce qui se passe. Mais la pensée qui tourne en boucle dans sa tête est qu’il ne reverra peut-être plus jamais sa Rachel.

Les larmes dévalent le long de ses joues, et son père qui s’était fait discret jusqu’à maintenant, pose une main réconfortante sur son épaule. À ce geste, les sanglots de Lucas redoublent d’intensité.

Ils s'éloignent de la jeune fille et retournent dans la rue, le pas lourd. Cette fois, il n’a plus rien à voir. Il est l’heure de rentrer à la maison.

Il s’installe maladroitement dans la voiture et pose sa tête contre la vitre. Lorsque son père fait demi-tour, la jeune fille les salue soucieusement de la main.

— Papa… gémit Lucas.

— Je suis désolé mon garçon. Crois-moi, je suis vraiment désolé.

Ils roulent dans le sens inverse et, lorsqu’ils se garent le long du trottoir devant chez eux, Lucas soupire. Son père tourne la tête vers lui, interrogateur.

— Je veux consulter. Vous aviez raison, je pense que c’est une bonne idée. Et je veux comprendre ce qu’il m’arrive. Je me demande si, finalement, je ne suis pas fou. Il y a trop d’éléments improbables, plus rien n’a de sens.

— Je pense que ça te fera du bien, confirme son père. Rentrons, nous allons prendre rendez-vous.

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