Euh... oui. Qui d’autre ? (2/2)
– Je suis Rachel. Et toi ?
– Ça ne me dit pas qui tu es, remarque-t-il, toujours de sa voix calme, mais un brin arrogante.
– Que veux-tu savoir, au juste ? demandé-je, instantanément agacée.
– Quel genre de vie mènes-tu ?
– Hein ? Eh bien… Je suis étudiante, commencé-je avant de m’interrompre.
Je secoue la tête, hésitante.
– Écoute… je ne te connais pas. Je n’ai pas à te révéler ce genre de détails. Pourquoi es-tu dans ma tête, toi aussi ? Pourquoi est-ce que je n’entends pas toutes tes pensées ? Nous faisons partie d’un programme spécial, c’est ça ? Que nous soyons deux, encore, ça passe. Mais, trois ? Combien sommes-nous en tout ? Pourquoi ?
Pendant tout mon monologue, il ne dit rien, pas plus qu’après que j’aie terminé d’ailleurs. Franchement énervée et affolée, je grogne.
– Alors ? Une réponse en magasin ?
– Nous sommes trois, finit-il par dire. Même si je me demande si ta présence est utile. J’en jugerai moi-même.
Trois ? Je ne m’attendais à rien, néanmoins sa réponse me surprend.
– Que veux-tu dire par là ? Et en quoi pourrais-je être utile ?
– Nous n’aurons peut-être pas besoin de toi.
– Et si je suis finalement nécessaire ? demandé-je avec défi, piquée à vif.
– Je verrais à ce moment-là.
Sa voix, si calme, a des reflets glacials et me fait froid dans le dos.
– J’oubliais. Ne lui parle plus de son passé. Tu vas tout faire foirer.
– Le passé de qui ?
– De Lucas, imbécile.
J’accuse le coup sans broncher. Visiblement, ce type-là n’est pas commode !
– Mais… retenté-je. Pourquoi nous entendons-nous ? Qu’est-ce que je risque de faire rater ?
– Ta gueule. Tu me fais chier avec tes questions… m’assène-t-il d’une voix lasse.
Cette fois, j’en reste abasourdie. J’ai l’impression de m’être pris une claque.
Non, mais quel connard ! D’où ose-t-il me parler avec si peu de respect ?
Avant que je n’aie eu d’autres réponses, il soupire et sa présence s’estompe comme s’il n’avait jamais été là.
— Oh, non… gémis-je, en colère et terrifiée.
Je vais devoir cohabiter avec ce type aussi ? Avec un abruti pareil ? Pas moyen ! Il doit y avoir une solution. Il faut que je trouve comment l’écarter de mon esprit. Ce doit bien être possible… Ils n’ont vraiment pas mis de bouton marche-arrêt lors de notre mutation expérimentale ? Je me tape la tête comme sur une télévision brouillée. Juste au cas où…
Avec Lucas, la cohabitation est facile, mais avec lui ? Tout bonnement impossible. Même s’il ne fait que nous observer, sa présence est trop glauque. Il fout les jetons, ce type ! À l’opposé de mon Lucas. En effet, pas de comparaison possible. Mais pourquoi est-il là ? Pour… m’observer ? Pourquoi moi ? En quoi pourrais-je me montrer utile ? Est-ce que je pourrais aider Lucas ?
Eh merde ! Une voix suffisait amplement ! Ce n’était déjà pas évident de saisir notre don à deux, mais maintenant, je suis complètement perdue. Je ne comprends plus rien. Et ce type, qui a l’air de détenir des réponses, ne veut même pas m’en parler ? Il ne connaît donc pas la solidarité ?
Trois. Voyons le bon côté des choses. Ça aurait pu être bien pire ! Autopersuasion, quand tu nous tiens…
– Rachel ? m’appelle une voix familière.
– Lucas ? sursauté-je. C’est toi ?
– Euh... oui. Qui d’autre ? demande-t-il, perplexe.
Brusquement, je me mets à pleurer. Une partie de la pression retombe. Je suis soulagée de l’entendre de nouveau et qu’il soit là pour que nous subissions ensemble l’intrusion. Mais aussi terriblement confuse. Ne devrais-je pas être agacée contre lui pour m’avoir quittée au cinéma ? Se moque-t-il de moi ? Est-ce que notre relation n’est finalement qu’une farce ?
Ma vie commence vraiment à prendre un tournant étrange, et j’ai la désagréable sensation de ne plus la maîtriser.
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