Avec la grâce d’un hippopotame (2/2)

3 minutes de lecture

Je ne peux m’empêcher de sourire. Il a beau s’être passé douze ans depuis notre séparation, je revois très bien ce qui m’a poussée à le vouloir comme amoureux à cette époque. Il a toujours ce charme qui m’avait poussé à le désirer pour moi seule.

Je baisse le nez, ayant peur un instant qu’il entende mes pensées, puis je me souviens que dans nos têtes, nous sommes seuls.

— Et si on se promenait ? propose-t-il d’une voix douce tout en empoignant mes sacs que j’ai regroupés en deux dans le train.

J’opine timidement du chef, et c’est, ma main toujours dans la sienne, que nous sortons du hall de gare.

Nous marchons sans but en évoquant nos souvenirs de maternelle qui remontent à la surface rien qu’en nous dévisageant. Je décris notre rencontre, il me fait part de sa version de l’histoire — version un peu plus macho que la mienne — et je lève les yeux au ciel. Puis nous parlons de nos professeurs, nos amis, nos ennemis.

Nous n'abordons pas son soudain éloignement ni tous ses problèmes actuels. C’est comme si nous n’en avions plus. Nous sommes tout simplement hors du temps.

Nous nous baladons dans un joli petit parc, puis nous faisons quelques boutiques où il essaye un chapeau melon, et moi, un nœud papillon ainsi qu’une moustache. Face au miroir, Lucas dans mon dos, nous faisons les imbéciles, alternant entre grimaces et sourires complices. Je prends conscience de son souffle qui effleure mon cou et je sens des frissons me parcourir le long de l'échine. Une mèche de cheveux entre les doigts, il l’entortille sous mon regard fébrile que lui rend mon reflet dans la psyché. Il s’arrête et s’écarte. Bien qu’il détourne les yeux, je crois apercevoir quelques rougeurs sur ses joues… Je souris avant de me rendre compte que j’ai les mêmes.

Nous sortons et il m’invite dans un salon de thé à boire un chocolat chaud que j’accepte avec enthousiasme. Il fait tellement froid. Malgré le radiateur à côté de notre table, je tremble un peu. Il le remarque et passe un bras autour de mes épaules.

Je m’empourpre un instant, puis me cache derrière la tasse fumante que j’agrippe à deux mains, jusqu’à ce qu’elles deviennent chaudes à leur tour.

En fin de journée, malgré mes protestations, il me raccompagne chez moi, tel un gentleman. Nous prenons le bus et descendons à l’arrêt habituel.

— Il fallait bien que je sache où tu habites, prétexte-t-il en riant. Pour que je puisse te voir en pleine nuit.

Je lui sers un sourire de chat.

— Comme si on avait besoin de si peu… On se retrouve en rêve, je te rappelle !

— C’est vrai, concède-t-il. Mais, pas tous les soirs.

Nous marchons côte à côte sur le trottoir, jusqu’au portail de mon jardin. Je lui fais face, gênée. J’aurais aimé que notre moment ne s’arrête jamais.

— En fait, dit-il. Merci… de ne pas m’avoir écrasé le pied.

Je me remémore la promesse d’enfant que je m’étais faite. Lui, qui était parti sans me dire au revoir, se prendrait la vengeance de mon pied mécontent si je le revoyais.

— Ne me remercie pas. On ne sait jamais, demain je pourrais changer d’avis… rétorqué-je tout sourire, trop heureuse de pouvoir retarder son départ.

Les lampadaires s’allument dans la rue, et je le vois sourire plus distinctement.

— Finalement, dit-il. On n’habite pas si loin l’un de l’autre.

— En effet, la même ville…

Je ne dis plus rien. Lui non plus.

On se regarde, tout simplement.

Puis j’entends mon chien qui aboie de la maison. Sûrement a-t-il senti ma présence ou reconnu ma voix.

— À toute à l’heure, dit-il, prêt à partir.

— Je suis contente de t’avoir revue, dis-je, souhaitant le garder avec moi un dernier instant encore.

Il me sourit avec chaleur.

— Moi aussi, Poupée. Si tu savais…

À ces mots, il prend mon menton du bout de ses doigts froids et dépose un baiser furtif à la commissure de mes lèvres.

Mon cœur rate un battement. Serait-ce une erreur ?

Puis il se détourne. J’aperçois néanmoins son sourire en coin. De dos, il me salut de la main, certain que je le regarde partir.

— À toute à l’heure, murmuré-je en réponse.

Je l’espère.

Annotations

Vous aimez lire Accroz ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0