Avec la grâce d’un hippopotame (1/2)

3 minutes de lecture

Tandis que le train entre en gare, je me lève, obnubilée par la plus préoccupante des questions : que dois-je faire ?

Il sait que je rentre pour le retrouver. Mais, depuis tout à l’heure, impossible de savoir ce qu’il lui arrive.

Je ne sais même pas s’il est encore chez lui. Et ses parents, sont-ils toujours là ? Est-ce que je peux me permettre de débarquer ainsi chez des personnes que je ne connais pas ? D’autant qu’il est possible qu’ils soient encore en pleine discussion sur leur passé.

Pourquoi est-ce que cette fois, je ne l’entends plus ? La situation semble différente, anormale.

Je gémis.

Et si j’arrive chez lui, que je toque, et que seuls ses parents m’ouvrent ? Je leur dis quoi ?

« Bonjour, je suis une amie de Lucas. Comment nous sommes-nous rencontrés, me demandez-vous ? Très simplement. Nous communiquons par télépathie. Sauf maintenant. J’aurais bien dit que c’est parce qu’il est dans les parages, mais vous savez ce que c’est… L’exception qui confirme la règle. Et nous vivons en ce moment notre première exception depuis que nous avons échafaudé notre théorie. Voilà donc la raison de ma présence ici. Je m’inquiète alors, pourriez-vous m’indiquer où il se trouve s’il vous plaît ? Ce serait gentil. Merci. »

Je soupire.

J’espère seulement qu’il va bien et qu’il ne m’en voudra pas. Certes, ce n’est pas de ma faute ! Mais… je lui avais promis.

Le train s’arrête et les portes s’ouvrent. Devant elles, dehors, dans le froid, une petite foule agglutinée nous empêche de sortir sans jouer des coudes et qui, par peur de ne pas avoir le temps de monter dans le wagon, attend le moment où on mettrait la seconde de trop à descendre pour s’engouffrer à l’intérieur.

J’essaye de ne pas me casser la figure à cause de ces marches trop hautes et descends du train avec la grâce d’un hippopotame.

Mon téléphone à la main, les sacs dans l’autre, j’affiche difficilement sur l’écran l’itinéraire que j’ai cherché plus tôt, menant jusqu’à chez lui.

Je sors du quai et pénètre dans le hall. Instinctivement, je lève les yeux. Mon cœur sursaute. Et moi avec.

Il est là. Lucas. Devant moi. Et lui aussi me regarde. De ses yeux intenses, il capture les miens.

Que fait-il ici ? Ne devait-il pas être avec ses parents ?

Je range mon téléphone dans ma poche revolver sans briser le contact, de peur qu’il ne disparaisse. Il se lève, et en quelques enjambées, me rejoint. Ses bras se referment tendrement contre moi. Sans que je ne m’y attende, les bras ballants, je me laisse aller, soulagée, et pose mon nez froid dans son cou. Il frissonne un instant et resserre sa prise.

Je ne sais pas comment je l’ai reconnu, mais c’était comme une évidence. J’ai tout simplement su que c’était lui.

Mon Lucas.

J’aime l’odeur de sa peau, douce. Je l’entends rire contre moi, et je souris. Ce son, pour la première fois, je l’entends de sa bouche. J’ai l’impression qu’il est plus réel encore que dans ma tête. Et je ris aussi, tout simplement heureuse.

— Merci d’être revenue, dit-il en me libérant de ses bras.

— Je ne m’attendais pas à te voir ici, avoué-je en déposant mes sacs par terre. Je comptais venir chez toi, mais il faut croire que tu étais impatient, le charrié-je en lui donnant un petit coup de poing maladroit à l’épaule.

Il sourit, dans ses pensées. Pensées que je ne capte toujours pas. Serait-ce à cause de notre proximité ? Ou bien de la coupure d’il y a deux heures ?

Ses yeux se posent sur mon visage et j’ai l’impression qu’il inspecte avec précision chaque centimètre de ma peau. Cependant, je ne suis pas gênée par le poids de son regard. Bien au contraire, je l’imite.

Le petit garçon que j’ai connu a bien grandi. Ses cheveux bruns sont plus ondulés, peut-être car plus longs que dans mon souvenir. Ses pommettes sont légèrement saillantes et je remarque tandis qu’il me sourit qu’il a des fossettes au coin des lèvres, comme autrefois, constaté-je alors que les souvenirs affluent.

De nouveau, je ne sais pas ce qui me pousse à agir ainsi, mais ma main se lève toute seule pour se poser sur sa joue. Ni lui ni moi ne brisons le contact. Il ferme même un instant les yeux et quand il les rouvre, ses pupilles grises me regardent avec malice. Du pouce, je teste la douceur de sa peau fraîchement rasée, puis avec regret, la retire. Avant que je ne sache où la mettre, il la prend dans la sienne.

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