Comme s’il ne s’était rien passé (1/1)

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Je sens poindre la colère dans la voix de Lucas. Et l’incompréhension : pourquoi n’est-il au courant de rien ? Pourquoi ses parents laissent-ils planer le mystère ?

Pourtant, c’est un autre sentiment qui domine le plus en lui : la peur.

Qu’y a-t-il, mon chéri ? demande Christine, sa mère, tout à l’écoute de son fils.

Lucas les regarde sévèrement avant de leur tendre la lettre. Hésitant, son père, Lionel, la prend. Ils la lisent. De ses yeux acérés, Lucas les observe, au diapason de leur moindre réaction. Ces derniers se serrent la main un peu trop fort, et l’angoisse envahit leurs yeux.

Non…, dit sa mère dans un souffle.

J’ai besoin de comprendre ! s’emporte Lucas, et il commence à perdre son sang-froid. Dites-moi ce que vous me cachez !

J’ai beau m’inciter au calme, mon humeur devient de plus en plus noire. Et je m’insurge à mon tour. J’occulte le monde autour de moi pour ne vivre que dans son esprit à lui.

Moi aussi, j’aimerais comprendre. Comment peut-on garder des secrets pour son enfant s’ils le mettent en danger !

Lionel et Christine lui demandent de se détendre et ils s’installent à l’intérieur de la maison, à la table du salon.

Le père s’assoit, et, après un gros soupir, prend la parole, tandis que Lucas s’impatiente, serrant et desserrant les poings qu’il a envie d’abattre sur la table.

Nous ne savons pas grand-chose, commence-t-il. Mais… j’ai peur que te souvenir ne te fasse plus de mal que de bien.

Ignorer la vérité fait pourtant plus de mal que de bien, pensons-nous à l’unisson.

Lucas s’apprête à répliquer, mais sa mère poursuit, prenant de court ses objections :

Je crois que tu ne te rappelles pas, mais tu as eu un suivi psychologique lourd. Nous ne devons pas te révéler des éléments du passé à la légère. On nous a conseillé, si cela devait se produire, de te faire accompagner de nouveau. Je pense que nous devrions consulter, suggère-t-elle.

Un psy ? sursauté-je.

Un psy ? Vous voulez que j’aille voir un psy ? explose Lucas. Je n’en ai jamais eu besoin ! Et ce n’est pas maintenant…

Puis, nous nous rendons compte.

Comment ça, un lourd suivi ? les questionne-t-il, hésitant.

Les deux parents se regardent, inquiets, mais néanmoins décidés à nous éclairer un peu.

Après que tu as été retrouvé, on nous a fortement recommandé de t’emmener voir un spécialiste, déclare Christine en posant une main sur la sienne.

Surpris, nous la laissons faire.

De quoi parlent-ils ? me demandé-je, en harmonie aux pensées de Lucas.

C’était plus que nécessaire, renchérit le père tandis que ses yeux commencent à devenir brillants.

Retrouvé ? murmure Lucas.

Tant d’informations… nous sentons le mal de tête poindre.

Oui…, murmurent-ils, la voix brisée.

Que s’est-il passé ? demande-t-on.

La vérité…, répond Lionel. C’est que, malheureusement, nous ne savons presque rien.

Je suis désolé, mon chéri, s’excuse la mère d’une voix tremblante. Si nous étions sûrs de ce qu’il t’est arrivé, nous pourrions t’en dire plus. Mais, tu ne nous l’as jamais avoué. Ni aux spécialistes.

Cependant…, ajoute son père. Nous nous sommes rendu compte que tu avais oublié des évènements antérieurs, et même postérieurs à nos retrouvailles. Par exemple, nous sommes allés à Disneyland, juste avant…

Sa voix se brise et il semble avoir de plus en plus de mal à parler.

Quant à nous, notre mal de tête se fait entêtant et j’ai l’impression que j’ai le cerveau en ébullition.

Lionel déglutit, puis reprend :

Et après, nous sommes partis dans la maison de campagne de tes grands-parents. Nous y avons passé les deux semaines des vacances de février.

Il baisse la tête, les yeux rouges. Christine décide de poursuivre à sa place.

Des mois plus tard, nous avions prévu d’y retourner. Mais, tu ne te rappelais plus de la maison ni des vacances. Rien. Nous avons fini par comprendre que…

J’avais perdu la mémoire, murmure Lucas pour la première fois depuis le début des révélations.

Oui, acquiesce-t-elle. Près d’un an.

Comme s’il ne s’était rien passé…, conclut son père.

Comme s’il ne s’était rien passé, me répété-je en boucle. Tout comme l’année de sa disparition, de cette année de CP, d’avoir disparu du jour au lendemain. Et 1997.

Ce ne sont plus ses mots, que je perçois, mais des sensations. Un profond malaise. J’ai l’impression que son sang a quitté son visage, et que s’il n’était pas assis, ses jambes n’auraient plus réussi à le porter.

Que m’est-il arrivé ? souffle Lucas. Comment une telle chose est-elle possible ?

Il serre les poings, vaine tentative pour apaiser ses tremblements.

Nous ne savons pas, soupire le Lionel. Simplement que tu as été enl…, poursuit-il, sans que nous puissions comprendre la fin de sa phrase.

Car, à ces mots, notre migraine reprend, beaucoup plus forte. Si intense que mes oreilles commencent à bourdonner. J’agrippe mon crâne à deux mains, et nous nous mettons à hurler à l’unisson, la tête proche de l’explosion.

Absorbée par notre connexion, je ne discerne plus la réalité qui m’entoure. Des personnes s’agglutinent autour de moi, sans que je comprenne ce qu’ils leur prennent. Ma vision se floute, et alors que je me sens proche de l'évanouissement, tout s’arrête.

Oui. Tout.

Je viens juste de monter dans le train, je suis loin de chez moi, loin de la frontière qu’il y a entre nous. Et pourtant, la connexion se rompt.

– Mademoiselle ! Tout va bien ? Mademoiselle ! me demande un homme.

– Écartez-vous, laissez-la respirer ! s’exclame un autre.

Mes mains lâchent mes cheveux et je me redresse lentement. Je regarde un instant autour de moi, déboussolée.

– Tout va bien, m’entends-je dire d’une voix cassée, mais calme. Tout va bien. C’est passé.

J’ai juste brisé ma promesse. Maintenant, tout comme moi, il est seul.

Je l’ai abandonné.

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