« Ne me quitte pas » (1/2)

3 minutes de lecture

La nuit tombe et nous restons sans réponses. Tout se bouscule à l’unisson dans nos esprits. Je lui explique vaguement ce dont je me rappelle : un matin, en pleine semaine scolaire, il ne s'était pas rendu à l’école alors qu’il était présent la veille. Comme d’habitude, il était sorti de l'établissement pour rejoindre sa grand-mère qui venait le chercher. Le lendemain, plus rien. La maîtresse nous a dit qu’il suivrait dorénavant une formation à domicile. Était-ce la vérité ? Maintenant, je me demande si c’était un mensonge pour ne pas inquiéter les enfants que nous étions. Que lui était-il arrivé qui mérite de nous cacher la vérité ?

À vrai dire, vu notre jeune âge, il y avait beaucoup de raisons envisageables qui nécessitaient un mensonge. Plein de pistes, ce qui ne facilite pas notre recherche actuelle.

C’est alors que les parents de Lucas arrivent. Il leur bondit dessus et les assène de questions, mais ils éludent. Finalement, sous les assauts de leur fils, ils finissent par lui donner une réponse inattendue :

« Tu sais, nous avons peu d’argent, et dire que tu avais un an de moins permettait de garder des réductions une année de plus. Une année, c’est énorme. Bien sûr, nous n’avons pas menti à l’administration pour les papiers officiels. »

Il leur réplique que l’affirmer aux caissiers est une chose, mais le faire croire à leur fils en est une autre. Et les bougies sur les gâteaux d’anniversaire ?

Sa mère fait les gros yeux, désemparée, avant de murmurer : « Depuis le temps, on pensait que tu étais au courant et que tu marchais avec nous. »

Nos cœurs sursautent. Lucas part en colère dans sa chambre. Mais en vérité, il est surtout horriblement honteux.

Comment ai-je pu rater une telle information ? Il s’agit de ma propre identité quand même ! me demande-t-il, à vif.

Interdite, je ne réponds rien. Je ne comprends même pas comment ça a pu se produire. C’est vraiment trop étrange.

La semaine passe, Lucas reste tendu. De ce fait, moi aussi.

Le vendredi soir, pour la deuxième fois, nous faisons un rêve commun. Je suis allongée dans un lit, blotti contre un torse. Le nez dans son cou, je reconnais là l’aura de mon ami.

— Salut, Poupée.

— Salut, Lucas.

— Je crois que demain est le grand jour.

— Oui. Réveil à 6h30.

— Oh… dur, dit-il.

Je soupire.

— Oui.

J’essaye de le regarder, mais il me tient trop près. Si je levais le nez, je risquerais de lui heurter le menton.

— J’étouffe un peu…

— Désolé, dit-il, ne desserrant néanmoins pas pour autant son étreinte.

— Lucas ?

— Humm.

— Tu peux me donner un peu de mou ?

— … Pourquoi ? ronchonne-t-il.

— Parce que, répété-je. Je suis un peu trop à l’étroit.

Mais aussi, car je me sens gênée, pas habituée à ce qu’on me tienne comme une chose précieuse.

— Lucas…, dis-je, troublée

— Attends encore quelques instants. S’il te plaît.

Étonnée, j’abandonne et décide de me laisser faire, sa voix suppliante noyant mes ridicules objections. Alors, comme il me l’a demandé, je patiente. Il faut aussi m’avouer que ce n’est pas désagréable.

Je ne sais pas combien de temps nous restons ainsi, mais il finit par briser le silence paisible qui nous entoure.

— Rien… rien ne nous dit que si tu t’éloignes et t’en vas, tu seras de retour demain soir, dit-il d’une voix rauque.

— Que… lâché-je, surprise. Tu crois que ça peut définitivement nous déconnecter ?

— Je n’en sais rien. J’ai juste pensé à cette éventualité.

Il semble si triste.

— Oh…

— Alors, reprend-il, peiné. S’il te plaît, laisse-moi profiter encore un peu.

Ce que, bien sûr, je fais.

Après de telles paroles, comment pourrait-il en être autrement ?

Les minutes passent, et je finis par murmurer :

— Tu sais, si ça arrivait réellement, je te retrouverais. J’ai ton nom, et je sais que tu n’habites pas loin.

— Peut-être… mais tu vas me manquer. Ne plus être seul n’est pas un fardeau. Je l’avais imaginé, au début, mais, malgré quelques passages délicats chaque jour, je trouve qu’on s’en sort très bien.

— Oui. C’est vrai, acquiescé-je avec bonne humeur.

Sa main dans mon dos me colle un peu plus contre lui et, si ce n’était pas un rêve, j’entendrais sûrement les battements de son cœur sous mes doigts, le souffle de sa respiration contre mes cheveux…

— J’ai mis mon réveil aussi, murmure-t-il. Pour vivre ensemble cette séparation, et voir ce qu’il en est. Je ne savais plus exactement l’heure, mais je serai debout pas trop tard.

Je souris, soulagée.

— Merci Lucas. En plus, on va pouvoir délimiter la distance.

— Ouais. Évite juste de t’endormir pendant le voyage.

— Bah, tu vas me tenir la conversation, non ? Je ne m’ennuierai pas.

— Bien sûr, dit-il avec douceur.

Puis nous ne disons plus rien. Nous restons simplement collés l’un à l’autre, à nous écouter respirer.

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