Étrange... (1/2)

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Enfin l’heure de déjeuner. Je m’achète un sandwich et m’installe sur un banc.

Crudités… fait Lucas d’un air dédaigneux. Il faut vraiment être une fille pour manger ça dans du pain… De la salade dans de la baguette, franchement, il vous manque une case ?

J’avale une bouchée, un sourire aux lèvres. Je n’ai pas oublié l’évènement de ce matin : sa disparition imprévue qui ne peut me rendre que suspicieuse. Sauf que je ressens sa sincérité : il ne me veut aucun mal. À moins qu’il ne truque ses pensées ? Est-ce vraiment possible ?

Pas à ma connaissance… répond-il alors que je parlais seulement à moi-même.

Je soupire et réplique à sa provocation initiale :

– On a l’impression de manger du vert, expliqué-je. Et ça annule l’effet mayonnaise.

C’est aussi pour annuler l’effet Coca et muffin ? me taquine-t-il.

Je grogne.

Mollo chaton, ricane-t-il. J’énonce simplement les faits…

– Et toi, tu manges quoi ? demandé-je, pirouette pour lui faire croire que ça m’intéresse alors que je veux juste qu’il arrête de me culpabiliser.

Merci. Je note…

– De quoi mon chou ? dis-je avec un immense sourire.

Blasé, il répond :

Suprême de pommes de terre à l’eau avec haricots verts à l’huile. Et, je pense que ce qui flotte au-dessus, c’est du poisson.

– Blanc ?

Ouais.

– Beurk… Rien à faire, quand j’avale ce truc, ça me remonte toujours dans la gorge l’air de dire : « Pitié, non ! Pas du poisson blanc de cantine ! »

Lucas éclate de rire.

C’est alors que quelqu’un lui parle, et je perçois le dialogue.

« Lucas ! Ce n’est pas drôle ! Qu’est-ce qui te prend ? Je t’avoue qu’elle vient de me plaquer, et toi, tu te fous de ma gueule ? »

Merde… Je n’écoutais absolument pas. Qu’est-ce que je lui dis ? Heeelp !

– Oh là ! Je sèche… Débrouille-toi tout seul, pendant que je souris intérieurement. Mouahaha ! Vengeance !

Sympas… merci. Je retiens.

Je me mets à mastiquer tout en prêtant l'oreille au spectacle de ce pauvre Lucas qui ne sait plus où donner de la tête. En attendant, j’essaye de ne pas me moquer. Après tout, je n’ai pas encore vécu cette situation : tenir une conversation tout en ayant les commentaires de Lucas dans mon esprit. Commentaires que je finis toujours par m’approprier. Lorsqu’il pense avec moi, si je ne suis pas assez attentive, j’ai l’impression que ses réflexions sont miennes… ce qui est très perturbant. Pas simple.

Dis-moi. Je ne sais même pas où tu vis.

– Oh ! C’est vrai ! On n’en a jamais parlé ! m’écrié-je mentalement, choquée de notre négligence. Déjà, je suis française de métropole.

Idem. Vers où ?

– Le Centre-Ouest.

Sérieux ?

– Oui… ?

Moi aussi ! Quand j’étais petit, j’y habitais.

– Et plus maintenant ?

Si, si. Depuis peu, je suis de retour.

– Désolé, je reviens, lui dis-je tout en me concentrant intensément sur mon casque afin de cacher mes réelles pensées.

Je le porte à mes oreilles et soupire en entendant le rock qui s’en échappe. Enfin seule sans ses paroles dans ma tête. Même si lui doit toujours capter les miennes…

Quelle ville habite-t-il alors ? Si je le savais… en ai-je envie ? J'en ai l'impression, oui.

Après tout, ça ne changera pas grand-chose.

Est-ce que seulement, je connais un garçon de dix-sept ans ? Il ne peut pas être à la fac, il m’a assuré être en terminale. Et je ne fréquente aucun terminal. Alors, le problème est réglé sur ce point. C’est un inconnu. De plus, le seul Lucas que j'ai rencontré avait mon âge. Je n’ose pas imaginer la situation si finalement, Lucas et moi, on se connaissait… Que ce serait gênant !

Je me rappelle du Lucas de mon enfance. On s'était rencontrés en maternelle. Au bout d’une semaine, le trouvant très à mon goût et drôle, je lui avais dit qu’il serait mon amoureux. Il n’avait pas protesté. Après avoir caressé mes longs cheveux, les plus longs des filles de toute la classe, il avait acquiescé et m’avait pris par la main. Notre histoire s’était soudain terminée lorsque, en CP, un matin de semaine, il n’était pas venu en cours et avait quitté l’école sans nous avertir. Je ne l’avais plus jamais revu et m’étais promis que si je lui retombais dessus un jour, je lui écraserais le pied.

Tu sais, on n’est en rien obligé de se voir, me dit Lucas pendant que je remets mon casque à sa place nouvellement habituelle, sur ma nuque, avant de me rappeler que je dois le ranger dans mon sac pour la reprise des cours. Peu importe si on habite la même ville, poursuit Lucas, ce n'est pas une obligation. J’ai eu l’impression que ça te posait problème.

Certes.

– Une minute ! Tu n’utilises pas le conditionnel ? On… on habite dans la même ville ?

Tu veux vraiment le savoir ?

Malgré sa raillerie, en arrière-plan, je l’entends, sa réponse : Oui.

– Wouah. Mais, je ne t’ai même pas dit où je vis…

La ville flottait dans ta tête.

– Ah…

Ouaip.

– C’est incroyable, quand même. On habite au même endroit alors qu’on aurait pu vivre à des milliers de kilomètres. Tu imagines si tu étais chinois ? On ne se comprendrait pas ! Oh mon dieu ! Faites qu’un étranger ne se tape pas l’incruste dans ma tête, ce serait pire que tout.

Peut-être, peut-être pas. En attendant, il est possible que ce soit une condition à notre télépathie : vivre proche l’un de l’autre.

– Oui ! Et si on s’éloigne, c’est le silence complet ?

Sûrement. Il faudra essayer.

– J’aimerais bien comprendre comment ça marche, et pourquoi on a cette capacité.

Moi aussi, Poupée. Si une agence secrète devait me contacter, je préférerais y être préparé.

– Tu joues trop aux jeux vidéo ! ricané-je.

Ose dire que tu n’y as pas songé.

– Non !

Si…

Pas la peine de mentir, Pinocchio, je sais tout…

Je grommelle.

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