Les questions (1.1.10)

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Tome 1 > chapitre 1 (prologue) > partie 10

Tintements de bracelets dans l’escalier, barre qu’on enleva, gonds qui s’ouvrirent sur un vieil homme au visage fatigué et terriblement amaigri comparé au début de la soirée. Pas une goutte d'eau, pas une éraflure sur sa robe. Il s’arrêta en voyant le mur éventré, la pièce dévastée, les soldats agenouillés ou inanimés autour de Minae et Natseli.

— Des morts ? demanda-t-il.

— Non, répondit Astheïa.

— Minae ?

— Ici, Archimage.

— As-tu besoin d’aide pour les blessés ?

— Ça ira à présent, merci Archimage.

Elle était redevenue la discrète jeune femme que tout le monde connaissait.

Il hocha la tête avec gravité, avant de remarquer une présence imprévue.

— Administrateur.

— Archimage, répondit ce dernier, l’air mauvais, dans ses habits trempés et déchirés.

— Je peux vous annoncer que tout s’est très bien passé, reprit le vieil homme.

Il étudia de nouveau les environs.

— Pour nous en tout cas.

Il resta silencieux quelques instants, indécis, avant de reprendre sa contenance et de déclarer d'une voix forte :

— La seconde étape de la Décision a été exécutée.

Les soldats passèrent de l'épuisement à la stupeur, parcourus de murmures. Les questions se bousculaient dans l'esprit d'Astheïa. Elle croisa les regards d'Andenos et Natseli, aussi surpris qu'elle. Aussi méfiants.

Sans leur donner plus d'explications, l'Archimage reprit.

— Aidez nos mages, certains là-haut n’ont plus la force de marcher. Il faut réunir l’assemblée des Décideurs, nous devons parler aux citoyens avant l’aube et le début des festivités du solstice.

Il termina ses paroles par un salut de la tête destiné aux hommes et femmes sous le commandement d'Astheïa.

* * *

Les soldats se mêlaient aux protecteurs pour panser les blessés et aider les mages. Ils avaient failli s’entre-tuer, mais cette nuit en avait fait des frères d'armes. Ceux aux os éclatés qui avaient ravagé les chairs, aux jambes fauchées, aux corps transpercés par des pierres aiguisées n’avaient plus de blessures fatales. Restaient des membres cassés, des muscles déchirés, des plaies ouvertes.

Minae regardait le protecteur à qui elle avait fendu l'avant-bras, partagée entre la honte et la colère.

Astheïa s'approcha d'elle.

— Tu as fait ce qu'il fallait. Personne n'avait compris que tu essayais de les sauver tous les deux. Pardonne-nous d'avoir douté de toi.

— Je n'ai fait qu'arrêter son corps pour qu'il n'ait plus besoin de respirer ni rien ! cria Minae. Il allait se noyer ! Tu pensais que l'avais tué ! Tu croyais que je prenais la vie d'Andenos pour la donner à Natseli ? Je n'aurai jamais pu faire ça !

Épuisée nerveusement, vidée physiquement et blessée moralement, elle se mit à sangloter.

Astheïa se pencha vers elle, la prit dans ses bras, l’entraînant pour se mettre à genoux. Elle posa sa tête contre ses longs cheveux trempés et murmura, la berçant lentement.

— Oui, j'ai cru ça. Je te supplie de m'excuser. Tu as été parfaite, tu nous as tous sauvés, Minae, tous. Tu as été merveilleuse, au-delà de tout ce que les gens pouvaient imaginer.

Minae pleurait à présent, sa voix à peine audible.

— C’était trop dur. Les blessures partout. Ils mouraient tous.

— Je sais. Je sais. C’est grâce à toi qu’ils sont encore là.

Astheïa irradia une chaleur croissante, réchauffant la jeune soigneuse, séchant ses habits, l’enveloppant de confiance et de sécurité, au point que Minae finit par s’endormir contre elle.

* * *

Astheïa n’arrivait pas à se réjouir malgré l’issue positive, trop de questions, trop de tensions, trop de morts évitées de justesse.

Andenos vint à ses côtés et posa un bras réconfortant sur ses épaules. Il avait nettoyé le sang de son visage, mais une partie de ses cheveux et de sa peau étaient vilainement arrachés. Il avait caché sa blessure à Minae en remettant un casque.

— Tu les aurais combattus ? demanda-t-il.

Astheïa comprit qu’il faisait référence aux soldats de la garde lorsqu’ils avaient essayé de passer la porte.

— Tu m’aurais soutenu ? demanda-t-elle en retour.

— Jusqu’au bout.

Elle prit un instant pour repenser à la situation.

— S’ils avaient tenté de nous maîtriser ou de vraiment forcer le passage, je sais que oui. Pas parce que je me serai laissée emporter par les événements. Non, mais par devoir.

— Nous n’aurions très certainement pas pu lutter.

— Je sais.

Natseli fouillait les rares décombres restants dans le mince espoir de trouver sa longue-vue.

— Hé ! Regardez ! Incroyable !

Il brandit son trophée.

— J'ai trouvé un pain fourré de haricots ! Il est… trempé. Quelqu'un le veut ?

— Tu ne vas pas le manger, c’est plein de plantes soporifiques !

— À peine un peu, pour mieux dormir après une nuit pareille. À moins que Minae ne souhaite me veiller pendant mon sommeil, des fois que ce soit vraiment dangereux. Je vous rappelle que j’étais mort y’a même pas une heure.

— Laisse notre Colibri en paix, elle l’a mérité.

Andenos l'avait emmenée, endormie, dans l'observatoire intact au sommet de la tour et couchée dans l'un des lits.

Natseli s'approcha d'eux. Il était réellement en train de manger le pain farci.

— Astheïa, tu peux le réchauffer pour moi ?

Elle le regarda, interloquée, avant de comprendre qu'il faisait son possible pour adoucir la situation.

— Je ne suis ni une lanterne ni un feu ! répondit-elle en lançant un clin d'œil.

Tous trois se regardèrent, attendant que l'un d'eux ne se décide à en parler. Ce fut Natseli, naturellement.

— La Décision.

— La seconde étape, pensa Astheïa tout haut.

La raison d'être de leur île, depuis près de quatre-cent ans. Prendre la Décision, un jour, et l'appliquer. Une décision pour qu'aucune guerre aussi destructrice que celle menée par Arksana Forgemonde, impératrice de Solamance, ne se reproduisit jamais.

— On n'a pas vu la première étape, et on ne sait pas même en quoi consiste la Décision qu'ils ont prise, murmura Andenos.

Ils restèrent pensifs un long moment.

— Je crois que l'Administrateur a essayé de l'empêcher, il faudra être plus vigilants, intervint Astheïa avec dureté.

Elle désigna aussi le pain empoisonné que tenait Natseli.

Mais leur ignorance ne leur permit pas de poursuivre sur le sujet. Ils restèrent silencieux un temps.

— Quand la jolie archiviste saura que j'ai permis la réalisation de la Décision, elle ne pourra plus me résister ! fanfaronnait Nasteli entre deux bouchées. Alors, il s’est passé quoi sur la terrasse ?

— Je ne sais pas ce qu’ils ont fait, dit Astheïa avant de laisser une pause. Tu l’as vu, une puissance capable de déplacer les brumes, déraciner les arbres, les faire voler comme des blés, briser la roche, et même attirer la mer jusqu’ici. Elle est si loin de nouveau. Un flot de magie comme jamais je n’en aurai cru possible. Quoique, dans des livres mentionnant l'ancienne Impératrice peut-être.

Elle s’approcha d’une fenêtre arrachée, peinant à y croire.

— Les champs ont beaucoup souffert, on devait bientôt récolter… Les environs sont dévastés, regarde. Je comprends mieux pourquoi les embarcations avaient été déplacées, les cabanes de pêcheur ont été emportées, et les pontons aussi, il va falloir tout reconstruire…

Ils contemplèrent longtemps la désolation.

— Mais nous sommes en vie. Et nous avons réussi. Et demain, c’est le solstice, et les fêtes, et les feux, et les lumières, dit-elle.

Son sourire s’entendait à ces mots.

Astheïa descendit la tour et sortit sur la terre détrempée. Elle respira l’air humide, savoura la fraîcheur nouvelle, écouta les oiseaux nocturnes revenus.

Je n’ai pas cédé, je les ai protégés, pensa-t-elle avec fierté.

Son regard se porta sur la ville haute et monta jusqu’au ciel, à la comète.

Elle avait perdu son sillage d’or.

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