Le dôme (1.1.8)

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Tome 1 > chapitre 1 (prologue) > partie 8

Minae posa sa main sur celle d'Astheïa. Elle y tenait son hybre, irradiant un vert vif.

Aussitôt, la foudre entourant la tour vint frapper les sphères entre leurs paumes. Astheïa se vit déjà morte, pourtant, elle ne sentit ni douleur ni brûlure. Minae la soignait et l’empêchait de s’embraser en même temps qu’elle appelait la force à elles. Elle comprit alors qu’elle ne se rassurait pas en se tenant contre elle mais assurait sa position. De même que sa magie n’était pas inutile mais servait à attirer l’énergie prodigieuse des mages de la terrasse.

Astheïa hurla et utilisa toute la violence de l’éclair pour renforcer son dôme. Il oscilla longtemps entre une fragilité inutile et un état presque intègre. Puis elle parvint à lui donner une force suffisante : il devint miraculeusement stable et lumineux. Aussitôt les vents n’y soufflèrent plus qu'en brise, l’eau assaillait de toutes parts mais goûtait à peine à l’intérieur, les pierres y rebondissaient comme sur une muraille. Les ombres reculaient. Elle demeura inflexible, entourant de sa force les hommes à ses pieds. Un grand calme régnait à l’intérieur, silence effrayant comparé au déchaînement d’alors. Les soldats se redressèrent pleinement, leurs regards emplis de gratitude et d’adoration.

Andenos émergea de l’escalier empli d’eau, voûté, le crâne en sang, tenant dans une main la sphère qu’Astheïa lui avait lancée pour s’éclairer. De l’autre, il traînait un Natseli inerte par le bras. Il avait dans le regard quelque chose de bestial, comme un taureau blessé qui n’en tire que plus de rage pour combattre. L’un des protecteurs se précipita pour les aider mais butta contre la barrière. Si les éléments ne pouvaient pas la traverser, les hommes non plus.

Andenos s’arrêta, il regarda l’éclair qui filait directement sur le dôme sans perdre un fragment d’énergie dans l’air ou l’eau. Il leur fit signe que non : il refusait de risquer la vie de tous pour en sauver deux. Astheïa ne devrait pas relâcher sa protection pour les laisser entrer. Il marcha jusqu’à l’arbre, y attacha Natseli puis lui-même avec des lambeaux d’uniformes.

Toujours en tenant sa main sur celle d’Astheïa et leurs hybres, Minae dirigea sa perception vers Natseli. Son cri de détresse résonna sous le dôme silencieux. Elle perdit sa concentration, l’éclair vacilla et le bouclier faiblit.

D'une voix brisée, Astheïa lui murmura :

— Minae, concentre-toi sur Andenos s'il te plaît, il est encore en vie.

Minae hurla de rage cette fois, l’eau à l’extérieur de la barrière se changea un instant en glace, elle tendit sa main libre vers Andenos. Il s'effondra aussitôt.

Une vision d’horreur traversa l’esprit d'Astheïa.

Transmettre la vie d'un corps à l'autre, pensa-t-elle.

— Minae, non ! Ne fais pas ça ! Arrête !

Un protecteur s’emporta et tenta de bloquer le bras libre de la soigneuse, pensant qu’ainsi elle ne pourrait plus s’en prendre à Andenos. À peine eut-il posé une main sur Minae qu’elle fit un petit geste désinvolte comme elle aurait chassé un insecte. Le protecteur entendit son avant-bras se casser.

Tous les hommes s’écartèrent d’elle comme d’une démone. Minae grogna bassement telle une bête menaçante, d’une voix grave que personne ne lui connaissait. Elle restait main tendue vers Andenos, tandis que l’eau à proximité oscillait toujours entre liquide et glace.

L’extérieur devint soudainement un seul et unique éclair nimbant la tour. Il fut bien trop puissant pour que Minae puisse encore l'appeler sans être consumée. À regret elle retira sa main déjà brûlée de celle d’Astheïa. L’instant d’après, l’eau monta en une colonne dépassant la tour et noya intégralement la pièce. Elle submergea le dôme qu’Astheïa peinait à maintenir seule. Les courants ballottaient les corps d’Andenos et de Natseli, faiblement rattachés aux dernières branches de l’arbre.

Astheïa forçait pour tenir, mais la barrière de lumière se lézardait et l’eau s’y engouffrait. Le flot qui lui coulait sur le visage depuis le haut du bouclier fendu montait déjà jusqu’à la taille. Juste au-delà de la fine défense lumineuse, d'autres tonnes d’eau l’attendaient.

Le désespoir l'envahit, son corps irradia une lumière comme jamais auparavant, pour tenir les ombres à distance une dernière fois, rester droite et forte, se protéger de la peine et de la douleur. Le bouclier se renforça un instant pour devenir aussi brillant qu’elle, puis, sans pouvoir être alimenté par une source d’énergie suffisante, faiblit peu à peu, irrémédiablement.

Je n'aurai pas réussi à les protéger, admit-elle à regret.

Bien au-delà du poids moral de cet échec, elle ressentait un poids physique qui l’accablait de plus en plus. Il faisait crisser les pierres et plaquait tous les débris au sol, peu importaient les courants déchaînés dans lesquels ils se trouvaient. La tour se compressa comme si un dragon s’était posé à son sommet. Astheïa garda les bras levés vers le dôme dans un dernier espoir, muscles des jambes tendus, poitrine immobile tant la force descendant de la terrasse l’empêchait de respirer. Elle rentra la tête dans les épaules comme si quelqu’un appuyait dessus.

Un son de plus en plus fort et aigu assourdit les hommes. La puissance du vaste éclair extérieur culmina jusqu’à les aveugler. Ils furent écrasés par la pression et brûlés par l’embrasement alentour tandis que l’eau infiltrée sous la protection leur arrivait au cou. Certains voulurent fuir, quitte à périr broyés et noyés au bas de la tour, mais restèrent bloqués par la barrière d’Astheïa. D’autres cherchèrent un souffle salvateur tout au sommet du dôme dans les dernières goulées d’air, mais la majorité resta immobile, résignée face à l’inévitable.

Puis un moment hors du temps : l’eau s’arrêta soudainement de tourbillonner, l’éclair cessa ses ondulations, son crépitement devint murmure. Un instant tout devint immobile et silencieux. Puis brusquement un bruit d'explosion retentit, comme si toute la pression avait été violemment libérée. L’environnement hors de la tour fut soufflé. La foudre disparut dans un dernier fracas faisant trembler jusqu’aux cœurs. L’eau de la pièce comme l’océan arrivés jusqu’à eux disparurent en une pluie fine. Les arbres déracinés, ceux qui précédemment tournoyaient dans le ciel, furent éjectés à des centaines de mètres pour atterrir dans les champs. Jusqu’aux nuages alentours, instantanément dispersés, révélant les étoiles et la comète. Au loin, les bateaux de Calistrie, de nouveau discernables par leurs lanternes, tanguaient comme des feuilles dans un ruisseau. Les objets, les branches, les pierres, les hommes s’envolèrent et restèrent en lévitation un instant avant de retomber lourdement. Seule Astheïa n’avait pas bougé, maintenant la protection jusqu’au bout. La scène fut semblable à une peinture centrée sur la guerrière et sa lumière, le bouclier s’effaçant lentement, les hommes à ses pieds.

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