L'océan (1.1.4)

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Tome 1 > chapitre 1 (prologue) > partie 4

Natseli s'arrêta net dans sa phrase tant soudainement les meubles de bois craquèrent de toutes parts. Les plus petits objets s’élevèrent dans les airs, les pages d’un livre ouvert se dressent à la verticale.

— Minae, j’aime bien tes cheveux longs, mais je dois dire que je les préfère tombants, pas flottant vers le haut, reprit-il, amusé, comme si finalement rien de grave ne se passait.

Il rendit avec précaution sa bourse à Astheïa.

Les protecteurs en poste au pied de la tour remontèrent.

— On n’y voit plus rien en bas, lui révèlent-ils avec sang-froid.

— Ce n’est que du brouillard, répondit-elle. Les mages de l’Assemblée utilisent beaucoup de puissance, cela l’attire, il n’y a rien à craindre. Vous pouvez rester dans l’entrée à l’intérieur.

— Hum, ils ne pourront peut-être pas, intervint Natseli en l’invitant à venir regarder par elle-même.

Astheïa fut frappée de ne plus voir ni la plage ni les pontons du petit port de pêche : l’eau les recouvrait et avançait vers eux.

Ils n'attirent plus que le brouillard, mais aussi la mer ! Ils sont donc puissants à ce point ? se demanda-t-elle.

L’océan montait régulièrement, des ondulations et des vagues l’amenaient presque au bas de la tour mais il n’y demeurait pas, redescendant comme sur un rivage. On le sentait pourtant avide de les atteindre. Une fois, deux fois, l’eau lécha les pierres des fondations. La brume arrivait à mi-hauteur sans plus bouger, semblant isoler la tour du reste du monde.

A l’extérieur les cailloux volaient sans jamais retomber au sol, se disputant l’air avec les épis de blé et les colonnes de poussière. Certains avaient brisé les fenêtres si bien que le vent s'y engouffrant hurlait sinistrement à leurs oreilles.

Les nuages avaient recouvert les cieux, convergeant de toutes les directions vers la tour. Seule la lueur de la comète au-dessus du voile obscur se distinguait encore.

— Le vent ne devrait souffler que dans une seule direction, pas converger ici. Saurai-je un jour attirer les femmes ainsi ? demanda Natseli.

Personne ne lui prêta attention, tous sentaient la situation se tendre. Insatisfait de son auditoire, il reprit et déclama avec emphase :

— Voilà que les vagues nous prennent pour un phare, je les entends venir nous chercher. Malédiction, l’océan se déchaîne. Quelqu’un ici n’aura pas fait ses offrandes aux dieux ! Voici une tempête comme il y a longtemps que je n’en ai pas connu, et j’ai déjà vingt-six ans, croyez-en un vieux loup de mer comme moi.

— Tu n’as jamais mis les pieds sur un bateau ! Et n’avais-tu pas dit à la lavandière que tu n’avais que vingt ans, à peine plus qu’elle ? fit remarquer Andenos.

Mettre les pieds sur un bateau ? Pour aller où de toute façon ? pensa distraitement Astheïa.

— J’ai dû me tromper, son corsage m’aura tourné la tête, concéda Natseli.

Andenos rejoignit Astheïa.

— Les hommes ne sont pas rassurés, chuchota-t-il.

— Ils iront bien, mais Minae s’est écartée. Je ne veux pas qu’elle craigne des manifestations mineures de magie, amène-là à une fenêtre, montre-lui, calme-là.

Astheïa s'adressa ensuite à son groupe, dix protecteurs regroupés autour d'elle, tendus mais maîtres d'eux.

— Écoutez-moi ! Les mages au-dessus de nous attirent les éléments à eux, que ce soit des brumes, des vents, ou l’océan comme pendant une marée. Il n’y a rien à craindre. La brume n’a jamais tué personne, le vent ne soufflera pas la tour, et l’eau ne montera pas les cent mètres qui nous séparent d'elle pour nous engloutir !

Pourtant, lorsqu'un premier éclair illumina brièvement les environs, tous purent prendre la pleine mesure de la tempête enragée sévissant au dehors : nuages noirs oppressants, vagues et brûmes affluant vers eux, air saturé de débris tournoyants en tous sens. S'ensuivit aussitôt un deuxième éclair qui tomba tout proche d’eux, fendant un arbre sur toute sa hauteur avant de l’enflammer. Sans avoir le temps de toucher le sol, l’une de ses branches fut attirée droit vers la tour et vint s’y écraser.

Depuis leur fenêtre, Minae poussa un cri en se couvrant les yeux et Andenos eut à peine le temps de se placer devant elle. Le bois déchiré lui cingla le visage avant de repartir dans la tempête. Il grogna sous la douleur. Minae ressortit ses sphères avant de poser une main sur la joue ensanglantée.

Peu après, la pluie arriva, rapide, dense, violente.

— Ils doivent souffrir là-haut, dit Natseli.

— Je pense qu’ils se sont protégés, répondit Astheïa.

— Comment ?

— Ils ont dû incanter un dôme, à eux tous ils ont la puissance nécessaire. Nous, on est protégés par les murs, eux, ils n’avaient rien de tel.

— Ils ne pourraient pas juste chasser le vent et la pluie ? Ça éviterait de faire voler tout ce bazar dehors.

Astheïa fronça les sourcils.

— Ils font le vent et la pluie. Ce ne sont pas les rafales qui entraînent ce que tu vois voler, c’est eux qui les attirent. La gravité générée, tu te souviens ?

— Bien sûr, suis-je bête, dit-il ironiquement. Ce doit être beau, voir de l’extérieur les éléments déchaînés, au calme sous sa barrière transparente. Tu saurais en faire un de dôme, toi ?

Elle eut un petit rire amer.

— Toute seule je n’ai pas la puissance.

— C’est bon, j’ai fini.

La voix était si légère qu’Andenos faillit ne pas l’entendre dans le bruit ambiant.

— Merci Minae.

Il toucha sa joue chauffée, aucune douleur, nulle trace de coupure, pas même une goutte de sang restante.

Lentement, la brume s’était remise à monter, le bruit des vagues s’amplifiait, de l’écume s’envolait parfois jusqu’à eux.

C’est comme dans un phare, Natseli avait raison, les vagues nous frappent et montent presque jusqu’ici. Si elles continuent, elles passeront notre étage, pensa Astheïa.

Les hommes gardaient jusque-là une façade impassible, mais ils lançaient fréquemment des regards à Astheïa. Ils perdirent toute contenance lorsqu’un long déchirement retentit comme si la terre s’ouvrait en contrebas. Des éclairs disparates montèrent lentement du sol vers d'autres descendants du ciel, cherchant maladroitement à se rejoindre, tailladant l’air comme une vitre frappée d'une pierre se fissure, striant l’horizon dans toutes les directions. La tour toute entière se retrouva drapée d’un voile de lumière vive et du bruit ininterrompu de cette centaine d’éclairs. Cela leur sembla durer une éternité, ils sentaient résonner jusqu'en eux ce cri de violence des éléments ; fermer les yeux ne les protégeait nullement, plusieurs tombèrent à genoux en se couvrant les oreilles et le visage.

Tout aussi soudainement, les éclairs disparurent, la pluie cessa, le vent tomba, les vagues se firent silencieuses. À mesure que les protecteurs voyaient et entendaient de nouveau, ils se regardèrent, intrigués, perdus. Le bruit des pierres et celui des branches retombant sur le sol furent les seuls à troubler la quiétude. Les secondes passèrent, personne ne bougea. Avant que l’un ne demande si les mages étaient morts, foudroyés par l’énergie qu’ils avaient invoquée, ils entendirent un ordre venant au-dessus d’eux.

— Ne cédez pas ! Reprenons ! Allez !

En un instant, les vents revinrent avec les pierres au son de grêle et les vagues immenses. Des arbres furent déracinés et se traînèrent lentement, l’on vit des rochers se disloquer, rouler et gravir des pentes.

Les protecteurs en restèrent sidérés. La crainte se lisait dans leurs yeux, la peur pointerait sous peu, avant que la terreur ne les emporte si la situation empirait encore. Astheïa elle-même sentit son ventre se nouer, un frisson la parcourut, ses jambes faiblirent un instant.

Non, il reste toujours la lumière, se dit-elle pour garder courage.

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