Vents et brumes (1.1.3)

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Tome 1 > chapitre 1 (prologue) > partie 3

Un brusque tremblement la ramena au monde physique, toute la structure fut ébranlée comme si un animal antique avait percuté le bâtiment. Natseli glissa de sa poutre, Minae laissa échapper ses sphères, Andenos jura et les lucioles entreprirent de fuir. Astheïa eut à peine le temps de voir la poussière être brusquement attirée au plafond tandis qu'elle se dirigeait à une fenêtre. Elle resta alerte mais ne distingua rien, les soldats en contrebas se portaient bien.

— C’était quoi ? demanda Natseli.

— Je ne sais pas, répondit Astheïa.

Le temps passa, rien d'autre n'advint. Ils allumèrent quelques lanternes pour conjurer l’obscurité malgré la lune et la comète.

Minae éternua une fois, puis une autre, d’un geste calme elle se frotta les yeux, puis reprit sa concentration.

— C’est Andenos qui te fait cet effet-là ? ironisa Natseli en reprenant sa longue-vue près de la fenêtre.

— J'ai dû attirer tout le pollen de la pièce, ça va aller.

— Étrange, il n’y a pas de vent et nous sommes en haut d’une tour. Tu es sûre que ce n’est pas Andenos ?

— Laisse-la tranquille... intervint ce dernier.

Astheïa écoutait distraitement ces enfantillages, puis un doute lui vint.

— Natseli a raison. Andenos, viens voir s’il te plaît, dit-elle.

Il laissa un instant Minae pour la rejoindre.

— Là-bas, fit Astheïa en désignant les champs.

Le guerrier plissa les yeux, cherchant ce qu’elle lui montrait.

— Les blés penchent tous vers ici. Et... les terres en jachère, c’est bien du pollen dans l’air, étrange qu’il arrive jusqu’ici.

— Non, ça, c’est étrange, intervint Natseli d’une voix amusée. Vous pardonnerez mes maigres connaissances marines, mais pour autant que je sache, les brumes sont plutôt stagnantes. Or celle-ci se dirige tranquillement mais sûrement vers nous.

Ils le rejoignirent puis restèrent à regarder le brouillard océanique qu'éclairait la comète, tandis qu'il avançait de plusieurs centaines de mètres sur le sable, attaquant la légère déclivité dans leur direction, recouvrant peu à peu les terres.

Absorbée par le spectacle, Astheïa sursauta en sentant une onde de chaleur provenir de la terrasse. Pas même une seconde plus tard toute la structure tremblait à nouveau, plus fortement que la fois précédente.

Des groupes d’oiseaux s’envolèrent hâtivement des environs. Le vent se leva, les brumes avancèrent bien plus rapidement et atteignirent le bas de l’éminence sur laquelle était bâtie la tour. Le sifflement d'un protecteur posté à l’extérieur l’appela. Astheïa se pencha à la fenêtre opposée pour constater l’afflux de brouillard venant du sous-bois.

Elle observa quelques minutes, mais la situation n'évolua pas plus.

— Que les hommes du bas allument les torches, ordonna-t-elle.

— Dangereux ? demanda Andenos.

— Non. La magie doit attirer la brume.

Elle ressortit cependant l’une des trois sphères d’hybre de sa bourse pour constater avec surprise qu’elle brillait déjà légèrement de son aura blanche. Une idée lui vint, si la nuit lui laissait le temps de l’explorer. Elle la rangea.

— Natseli, tiens-moi mon hybre, je voudrais essayer quelque chose. Tu m’avertis s’il se passe quoi que ce soit dehors. Andenos, tu peux retourner auprès de Minae.

Ses deux compagnons s’exécutèrent : Natseli prit avec soin la bourse d’Astheïa tandis qu'Andenos réprimait un bâillement.

S’éloignant, elle tendit les mains devant elle et se concentra. Yeux fermés, plongée dans l’obscurité, elle chercha une lumière. Lorsqu’elle utilisait son hybre, tout lui venait naturellement, mais en cet instant, elle souhaitait arriver à saisir cette faible énergie interne sans ses sphères. De longues minutes durant, elle resta immobile, guettant un courant. Sa respiration devint plus rapide, la sueur commença à perler. Elle flairait la piste de l’énergie sans arriver à la suivre, comme la senteur d’un animal passé dans un sous-bois. Tout concourrait à lui faire perdre sa concentration : un bruit de pas, un souffle de vent, un insecte la frôlant.

Elle se sentit incapable de canaliser le moindre pouvoir, aussi ignorante qu'à ses débuts et naturellement son esprit dériva jusqu’aux périodes d’apprentissage. C’avait été une époque merveilleuse, depuis les premières perceptions jusqu’à l’éclat rudimentaire de lumière, tant de petites victoires moralement considérables. Là où Minae avait appris à sentir la vie, Astheïa avait choisi la lumière, ce domaine lui était apparu comme une évidence : absolu, pur, salutaire.

Elle se souvint d’une leçon reçue toute jeune par son grand-père, déjà Archimage à l'époque.

Ne force pas, ne coure pas, ne cherche pas à enfermer ce pouvoir, au contraire. Si tu le sens, déplace-toi avec lui, sinon, continue d’être ouverte et calme. Même plus tard, quand tu seras familière avec l’utilisation de l’hybre, il te faudra continuer à travailler en harmonie avec elle, et non à la contraindre. Suis le souffle, nage avec le courant, marche dans le bon sens de la pente.

Imagine un oiseau en cage et un en liberté, quel pépiement t’apportera le plus de plaisir ?

D’un geste, son grand-père avait alors fait apparaître un moineau de fumée bleue aux reflets rose venu voleter autour d’elle. Elle avait essayé de l’attraper, mais à chaque fois l’oiseau de brume s'échapait d'entre ses doigts pour se reformer un peu plus loin. Elle l'avait poursuivi longtemps de son rire cristallin puis, essoufflée et frustrée, s’était arrêtée. Réfléchissant à un moyen de le saisir, elle avait compris ce que son grand-père essayait de lui enseigner. Elle avait tendu lentement la main et au bout d’un long moment l’oiseau était venu s’y poser, s’ébrouer, reprendre son envol, tournoyer en spirale autour d’elle. Il se nichait sur son épaule, parfois il partait au loin, parfois il revenait, et ensemble ils avaient avancé.

Elle sourit en repensant à cette petite fille avide de comprendre, assise dans le champ de fleurs, sous la voix rassurante de son grand-père. Respirant profondément, elle s’imagina être là-bas en cet instant. Au bout d’un temps, les battements de son cœur et le flot de son sang demeurèrent les seuls bruits environnants. L’odeur de son corps, la caresse de sa chevelure, le poids de l’armure lui devinrent naturelles au lieu de distractions. Elle se perdit dans le ressenti de ses membres, du métal sur ses bras, jusqu’à ses doigts.

Là ! Précisément où devait être la paume de sa main, semblait briller une infime clarté blanche. Réelle, ou illusion due à ses attentes ?

Elle ouvrit les yeux par réflexe pour vérifier, rompant instantanément sa concentration. À peine eut-elle le temps de voir le minuscule grain de lumière disparaître. Mais pour elle, cela valait toute la brillance du soleil.

— C'était leur énergie ? demanda-t-elle à voix haute. J'ai attiré l'énergie qu'ils utilisent sur la terrasse ?

Elle aurait tant des questions à poser à son grand-père une fois cette nuit passée.

Il était déjà connu dans les temps anciens que des personnes pouvaient canaliser leurs pouvoirs en ayant leur hybre à proximité et non sur eux, comme son grand-père savait le faire. Des légendes à propos de très rares mages et l’ancienne Impératrice prétendaient qu’ils savaient utiliser l’énergie sans sphère, uniquement à partir de leur environnement immédiat. Les mythes sur l’Impératrice étaient nombreux, ils relevaient plutôt du fantasme humain en quête de demi-dieux et d’immense puissance domptée.

Andenos et Natseli la regardaient. Elle se douta qu’ils n’avaient rien vu de son prodige et devaient se demander d’où lui venait son sourire radieux. Au contraire, une certaine inquiétude se lisait sur leurs visages. Ils paraissaient lui parler, mais elle ne les entendait pas. A mesure qu’elle reprenait contact avec la réalité, elle perçut un bruit régulier, comme des chocs.

Il grêle ?

Puis elle se rendit compte que cela provenait des murs. Le vent soufflait fort, portant des dizaines de cailloux qui frappaient la tour.

Ce fut au tour de Minae d’ouvrir les yeux, elle aussi inquiète, mais pour d'autres raisons.

— Andenos, comment te sens-tu ? demanda-t-elle.

— Ça devient animé mais je pourrai presque dormir un peu si tu veux tout savoir.

— Tu as sommeil ?

— Plutôt oui.

— Ce sont des plantes soporifiques, il n’y en a pas assez pour endormir quelqu’un, c’est pour ça que je ne l’ai pas senti plus tôt.

Astheïa acquiesça et sourit à Minae pour la rassurer sur ses capacités.

— Andenos tu aurais dû nous dire que tu étais fatigué.

— Et passer pour un vieillard ? Je ne voyais pas le lien…

Il se releva, s’étirant d’être resté trop longtemps assis.

— Ça ira. Je m’inquiète plus de savoir que quelqu’un cherche à nous affaiblir juste assez pour qu’on ne se doute de rien. Mais vous auriez dû m’appeler lorsque les vents ont augmenté.

— Nous l’avons fait, mais tu ne rép…

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