La sente (1.1.2)

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Tome 1 > chapitre 1 (prologue) > partie 2

— Astheïa, deux femmes, par le chemin de la ville, dit soudainement Andenos.

Il avait toujours eu une bonne vue. Astheïa les distinguait à présent : démarche lente sur la sente de terre, lanternes à la main, paniers aux bras.

— Oh, c’est ma femme et sa sœur, ajouta-t-il après les avoir observées plus longuement.

— Reste ici, sois quand même vigilant, je reviens, lui ordonna Astheïa.

Elle descendit les étages d’un pas rapide. Les hommes se tendirent à son passage. Bientôt, les deux femmes arrivèrent.

— Nous apportons de quoi passer le temps, l’assemblée des Décideurs vous envoie de la nourriture chaude et de la bière, dirent-elles.

— C’est très aimable à vous, répondit Astheïa tandis qu’un soldat emportait les victuailles en haut. Comment se passe la nuit en ville ?

— Les gens profitent de ce contretemps pour finir les préparatifs du solstice, d’autres attendent dans les tavernes ou chez des parents avant de pouvoir rentrer chez eux.

La conversation se poursuivit sur les festivités avant de se finir d'elle-même. Les deux femmes remontèrent alors le chemin.

— De la nourriture chaude ? Laisse-moi en un peu Astheïa ! dit l'un des protecteurs.

— Bien sûr ! Je te fais bientôt relever.

Elle avait répondu d’un ton enjoué, un peu plus fort que nécessaire. En réalité, ses yeux scrutaient les environs.

Elle remonta au pas de course pour découvrir Andenos regardant sa femme s’éloigner. Il mangeait un pain fourré de haricots.

— Ne touchez pas à cette nourriture. Ni à la bière. Andenos, qu’as-tu vu ?

— Rien de particulier, elles étaient seules, répondit-il.

Elle ne répondit pas. Ce silence le mit mal à l’aise.

— Tu ne penses pas à un piège ? C’est ma femme quand même !

S'il se voulait assuré, il reposa tout de même son repas.

— Je t’avais bien dit de ne pas manger ça…

Un jeune homme au sourire gentiment moqueur émergea d’un recoin sombre, cheveux légèrement bouclés et totalement en bataille.

— Oui oui Natseli, tu as toujours raison, je sais, répondit Andenos.

— Ta femme, je ne doute pas de ses intentions, mais qui lui a donné à manger ? Nous en avions suffisamment pour toute la nuit, personne n’avait de raison de nous en apporter, dit Natseli.

— Juste une attention des Décideurs à notre égard par cette nuit ennuyeuse ?

Astheïa reprit :

— Non, les Décideurs sont autant dans l’observatoire au-dessus de nous que dans la ville haute en ce moment, et les premiers ne m’ont rien dit. Minae ! Je veux que tu fasses attention à Andenos.

Une fine jeune femme aux longs cheveux noirs s’approcha silencieusement, démarche gracieuse, gestes mesurés et regard baissé. Non par hasard, elle avait hérité au sein du groupe du surnom affectueux de Colibri. De la bourse à ceinture, elle sortit deux sphères vertes semblables à de grosses billes transparentes et se mit à les faire tourner dans la paume de sa main.

Une lueur pâle s’invita dans la pièce. Le centre des sphères s’anima peu à peu, tournoyant sur lui-même, se différenciant de la matière uniforme initiale. Il devint cristallin, puis fluide et enfin gazeux, parcouru de courants de toutes nuances de verts, semblable à ces planètes lointaines que les très-longues-vues offraient à voir. Minae les contemplait pendant qu’elle les éveillait, elles étaient ses outils, ses alliées, ses trésors. Deux parfaites sphères d’hybre pour lui faire ressentir la profondeur de la vie et la modifier.

— Minae, tu saurais dire s’il y a quelque chose dans la nourriture ? demanda Astheïa.

— Difficile, je le sentirai mieux sur Andenos, dit-elle d'une voix douce, légère et calme.

— J’ai un peu mal au bas-ventre, tu saurais sentir par un massage de ce dont je souffre ? intervint Natseli.

— Tu ne souffres que d’une langue trop pendue, jeune homme, répondit Andenos en s'asseyant face à Minae.

Il découvrit son poignet, elle y posa sa main libre. Minae ferma les yeux, concentrée, percevant peu à peu la vie autour d’elle : les légères chaleurs des corps, le rythme des cœurs, le bruissement des esprits.

Grâce à sa connaissance, sa sensibilité et ses sphères, elle avait appris à calmer une respiration, détendre des muscles, refermer une plaie. Le résultat dépendait du sacrifice offert. Le vent des cimes, le courant d’une rivière, un feu pouvaient suffire : capter l’énergie des environs afin de la transmettre à un corps. Pour les blessures plus graves, de la nourriture, des végétaux, parfois même un animal s’avéraient nécessaires : prendre la vie d’un être pour l’offrir à un autre.

Attrapant une longue-vue sur une étagère, Natseli s’éloigna jusqu’à une fenêtre et regarda le rivage sous la clarté de la comète.

— Il y a beaucoup de brume ce soir, elle s’est levée rapidement. Je ne vois même plus les vaisseaux de la Calistrie. La soirée va être humide.

— Il y a aussi beaucoup de brouillard au sous-bois. Mais on ne fera pas de feu ici, dit Astheïa.

Natseli émit un petit râle.

— Encore percé à jour, et aucune jouvencelle se baignant nue dans les vagues à observer, quel ennui ce va être…

La nuit était tombée. En ce dernier jour du mois d’omidos, veille du solstice d'été, la température ne baissait que peu, si bien que les insectes restaient à voleter au nez des soldats.

— Astheïa, je le sens.

Andenos blêmit, pensant à la découverte d’un poison.

— Oui, c’est agréable hein ?

Minae lui sourit et retourna à sa concentration.

— Vous sentez quoi les filles ? demanda Natseli.

— Une sensation qui te sera à jamais inconnue, comme la peau de la belle archiviste. Les mages au dessus de nous ont commencé, on perçoit leur force.

— Oh. Je vais rester avec mon charme naturel et mon esprit affûté alors, je vous laisse les magies. Et figure-toi que je suis en très bon chemin pour ce dont tu parles, d’abord.

Astheïa avait elle aussi une conscience diffuse de l'énergie provenant de la terrasse, comme une pensée trop rapide pour savoir d’où elle venait, enfuie avant d’avoir été aperçue, laissant une vague intuition.

— Natseli, regarde briller les lucioles, lui indiqua Astheïa.

Il fut surpris de les retrouver toutes à hauteur de plafond. Sautant sur une chaise, il s’accrocha d’un bond agile à une poutre et se tira dessus d’une traction fluide. Ainsi installé, il les étudia, les chassant et les faisant descendre d’un geste de la main.

— Elles remontent toutes seules, c’est étrange. On dirait qu’elles sont poussées vers le haut, dit-il, intrigué.

— Et maintenant, admire !

Astheïa ramassa une poignée de poussière et la jeta en l’air. Elle contempla la lenteur inhabituelle de sa chute. Natseli resta d'abord ébahi, puis réfléchit un moment.

— Ils attirent les choses à eux ?

— Oui, toutes nos magies génèrent un peu de gravité, plus elles sont puissantes plus le phénomène est important. En général ça reste très léger, le plus souvent imperceptible. Ils sont vingt-deux là-haut, leur force suffit déjà à porter des insectes et des grains de poussière.

L’enchantement transparaissait dans la voix d'Astheïa, ses yeux grands ouverts brillaient en admirant le phénomène.

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