Chapitre 43 : Le dénouement (1/2)

8 minutes de lecture

HORIS


Une vision. Floue, indistincte. Il était dépourvu de repères. De guide.

J’ai besoin de quelqu’un. Pourquoi errer à l’infini ? Plus rien n’a de sens ici. Pas même ma présence.

Horis déglutit comme il bifurqua vers l’amoncellement. Tout son être le décourageait de s’orienter dans la grisaille suffocante et l’âpre vermeil. Un sifflement s’imposa malgré tout. Ailes battues contre les rafales, ainsi se manifesta le rapace de perçant regard. Il se posa sur l’épaule du jeune homme tiraillé entre écarquillement et halètements.

Le condor de Khanir. Dire que je l’avais oublié… Lui-même semble avoir abandonné. Comme s’il était assez lucide pour s’apercevoir combien Khanir a mal tourné. Il ne lui reste plus beaucoup de références.

L’envol se révéla aussi soudain que fascinant. Mais telle sensation s’amenuisa face à la densité des cendres et poussières virevoltant dans l’air. Horis suivit l’oiseau tant bien que mal, avant d’atteindre le lieu du désastre. Il se cala là où il n’aurait eu aucunement envie de se rendre dans d’autres circonstances.

Il ne savait dénombrer ni le nombre de dépouilles, ni l’ampleur des dégâts. C’est pire que tout. Oh, qu’avons-nous fait ? Pas un citoyen ne tenait debout dans les parages. Seulement une poignée de miliciens aussi essoufflés qu’amochés.

Lesquels le dévisagèrent de pleine hargne.

— Lui…, reconnut un milicien. C’est Horis Saiden !

— Impossible ! s’écria une de ses consœurs. Il est mort, Khanir l’a annoncé !

— Aucune honnêteté n’émanait de cet homme. Il s’est donc trompé. J’étais là quand Horis a attaqué notre bien-aimée impératrice ! C’est à cause de lui que tout a commencé !

Au milieu de l’adversité. J’aurais dû m’en douter. Et Khanir avait vraiment l’intention de me tuer… Parmi les guerriers aux grognements trop appuyés, une prit l’initiative de l’assaillir. Horis fut projeté au sol morcelé d’un coup de pied au torse. Maintenu ici-bas, la pointe d’une lame oscillante à ras de sa gorge, il reconnut son agresseuse.

Docini ne le lâchait pas des yeux. Aucune bave ne jaillissait de sa bouche, mais c’était tout comme, tant son visage s’était enflammé. De nombreuses plaies jalonnaient son corps meurtri tandis que ses mains moites trémulaient en enserrant sa poignée.

— Toi ! beugla-t-elle. Après tout ce temps… Je t’ai épargné, et pourquoi ? Tu te dresses devant moi, intact, intouché par cette foutue bataille !

— Ne le tue pas tout de suite ! plaida un milicien. Cela ne comblera pas ta frustration. Khanir est parti, et sûrement très loin !

— Donc quoi, Lehold ? Nous allons l’emprisonner et il s’enfuira de nouveau. Non ! Mieux vaut en finir ici et maintenant !

Mon existence va s’achever ainsi ? Délivré de tous les dangers, je me jette aux mains de mes ennemis ? Quelle honte… Le hasard, ou l’ironique destinée, l’avait ramené à l’inquisitrice. Celle qui l’avait défait. Qui avait contribué à sa rencontre avec Khanir. Il était coincé par-dessous son ombre, son jugement, ses râles. Comme vidé de tout substance magique. Incapable de riposter.

Peut-être subsistait-il un brin de volonté en lui. Pour empêcher l’acier de s’abattre sur lui. La cadette a l’air moins dangereuse que l’aînée, et pourtant…

— Nous avons un ennemi commun ! s’exclama Horis.

— Ah bon ? fit Docini en fronçant les sourcils.

— Tu l’as entendu comme moi. Khanir a essayé de me tuer. Nous avons peut-être l’avantage, car il nous croit mort !

— Il n’y a plus d’avantage. C’est terminé.

— Vous l’avez affaibli, non ? Je peux le rejoindre. Je vais l’achever, une bonne fois pour toutes !

— Je ne comprends plus rien… Vous êtes chacun des mages ! N’êtes-vous pas alliés ?

— Plus maintenant. Il a trahi tout ce en quoi je croyais. Je l’ai suivi dans sa lutte, imaginant qu’il était un héros. Je regrette. Tellement…

— Il a l’air de dire vrai, avança Lehold. Qu’avons-nous à perdre à l’écouter ?

— Sa vie, encore ! hurla Docini.

— Tu as envie de te venger, je comprends ! dit Horis. Je te demande juste de prendre un peu de recul. Oui, j’ai tué plusieurs miliciens, mais ce n’est rien en comparaison de ce que Khanir a commis ! Si je ne le rattrape pas maintenant, il disparaîtra à tout jamais !

— Tu souhaites que je me fie à toi, mon pire ennemi… Pour terrasser un adversaire bien pire encore ?

— Oui ! Et si cela te déplait tant… Transperce-moi, décapite-moi, mais de grâce, finissons-en !

Les traits de l’inquisitrice se plissèrent. Son regard s’adoucit. Dans un silence glaçant, elle consulta les miliciens qui acquiescèrent à l’unisson, quoiqu’à contrecœur. Après quoi Docini baissa sa lame et aida Horis à se relever.

— Comment comptes-tu le retrouver ? questionna-t-elle.

— En me téléportant vers lui, révéla Horis. Un sort qu’il m’a lui-même appris, même si c’est extrêmement dangereux. Je vais m’en servir contre lui. Il reste des parcelles de son flux agglutinés sur ta lame, n’est-ce pas ?

— Je sens que je vais le regretter.

Docini brandit sa lame à l’horizontale. Des spirales de particules lumineuses tourbillonnèrent entre elle et Horis. Alors ce dernier, en communion avec l’amas, esquissa une courbe, et une silhouette au lointain apparut tel un chiche éclat.

Horis se téléporta.

Il se réceptionna sur une matière bosselée, piquetée d’aspérités. Du sable, mais pas que. Khanir a choisi le milieu du désert comme refuge. Sa tête lui tournait, il pantelait, la nausée le submergea, toutefois Horis se reprit. Il put contempler ce nouvel environnement une fois redressé. Je survivrai… Il le faut. Mais j’éviterai ce sort autant que possible.

Les ombres le dominaient. D’énormes rochers le cernaient, de part et d’autre desquels couronnaient des cactus auréolés de brins herbeux. Mais c’était en face de lui que se situait son objectif. La convergence de sa haine, par-delà une volée de marches poussiéreuses. Quatre pieds sculptés triomphaient sur deux socles de grès ocre et vétuste. Pareille extension s’arrêtait aux chevilles : le dessus semblait avoir été arraché. À côté de quoi s’appuyait Khanir. Outre ses ahanements et ses grincements de dents, il échouait à endiguer le saignement issu d’une lacération sur sa jambe. J’ai peut-être une chance. Mieux vaut ne pas le mésestimer, quand même.

Sitôt repéré que Khanir se braqua sur son protégé. Tous deux se fixèrent avec insistance, dans un mutisme absolu, comme si le temps s’étirait. Chaque douleur passagère s’effaça derrière d’invisibles poignards plantés en chacun d’eux.

— Tu es donc vivant, constata Khanir. Je suis à peine surpris. Tes capacités n’ont jamais failli. Ta loyauté, en revanche…

— Je ne m’en suis pas tiré par miracle, clarifia Horis. Igdan m’a délivré.

— Oh, je vois. Un traître de plus donc.

— Il est mort… Un mage de notre refuge l’a assassiné froidement… Je n’ai pas pu le sauver. Juste le venger.

— Bon débarras. S’il ne s’était pas montré autant indécis, il serait sans doute encore en vie.

— Il était mon ami !

Horis crispa ses poings comme sa mine s’assombrit. Comment ose-t-il ? Se croit-il si puissant ? Pense-t-il que même provoquer avec les pires invectives le rend hors d’atteinte ? Peu à peu le flux coalisait en lui. Par-devers cependant, nul tremblement. Juste un mage qui toisait son opposant.

— Permets-moi de te raconter une histoire, déclara-t-il, pétri d’orgueil.

— Vous êtes sérieux ? s’irrita Horis. Vous êtes blessé, face à quelqu’un que vous avez dupé durant des mois ! Je pourrais vous occire sur-le-champ.

— Non, car je demeure le plus puissant de nous deux. Alors sois sage et écoute l’histoire de Doroniak.

Peu retint Horis de ne pas décharger l’ensemble de son flux. Mais il arqua un sourcil lorsque Khanir désigna les reliquats de sculpture.

— Enyalu Vassar et Artuk Ponlid, présenta-t-il solennellement. La première, dite l’Audacieuse, dirigeait un clan nomade issu de l’est. Joviale et dynamique, comme le décrit la légende : certains l’admiraient et d’autres la jugeaient irresponsable. Le deuxième, froid et impitoyable, venu du nord de l’actuel empire, chef d’une autre tribu. Les deux clans étaient en rivalité perpétuelle, jusqu’au jour où, face à la rudesse du climat, ils décidèrent de conclure une trêve. De s’unir. Leurs chefs se sont même entichés l’un de l’autre.

— Cela devient long, coupa Horis. Où voulez-vous en venir ?

— Les belles histoires d’amour ne t’intéressent pas ?

— Vous avez brûlée vive celle que vous prétendiez aimer.

— Je regrette, mais c’était une autre traîtresse. Elle m’a brisé le cœur.

— Pardon ? C’est ainsi que vous vous souvenez d’elle ? Après toutes ces années à ses côtés ? Où es votre cœur, Khanir ?

— Cette histoire que j’évoque s’est déroulé autrement. Tu imagines bien qu’une telle union ne plairait pas à tout le monde. Ce pourquoi des assassins ont tenté de les tuer à leur mariage. Mais ce couple savait se défendre. Le bain de sang fut celui des assassins. Un sang bien séché au moment où Enyalu et Artuk fondèrent Doroniak, avec l’aide de brillants architectes. Tout ceci s’est déroulé il y a mille quatre cents ans. Une histoire que l’impératrice actuelle a tout fait pour effacer.

— Et vous avez détruit cette cité que vous prétendiez défendre ! En une seule journée.

Khanir se renfrogna, ponctuant son débit d’un soupir.

— Tu ne comprends pas, répliqua-t-il. Et tu ne comprendras jamais. Une cité peut être reconstruite. Ses souvenirs demeurent.

— Et quelle leçon extraire de cette histoire ? demanda désespérément Horis.

— Songes-y ! Enyalu et Artuk ont connu un pouvoir prospère. En aurait-il été autant s’ils n’avaient pas tué les assassins ?

— Vous utilisez des événements historiques pour servir votre idéologie.

— On ne gagnera pas sans concessions, Horis ! Il n’y a pas de place pour les modérés dans notre lutte ! Aucune révolution, aucun brusque changement de société ne s’obtient par la voie de la paix et de la négociation !

— Vous justifiez l’impensable. Bien sûr que la violence est nécessaire pour renverser une tyrannie, pour regagner notre liberté, mais elle doit être orientée vers les responsables ! Êtes-vous vraiment en train de comparer quelques assassins à des milliers d’innocents ? Des familles arrachées, des enfants tués ! Bakaden, Bérédine, Igdan ne représentent que la surface émergée de cette folie…

— Personne n’est innocent, Horis.

Un discours intolérant. Des actes impardonnables. Khanir est devenu ce qu’il combattait. Les particules de flux achevèrent leur regroupement. Alors Horis libéra tout. Et un amas de sable se souleva avec une intensité phénoménale. Ce contre quoi Khanir déploya un bouclier hyalin, se préservant de la masse jaunâtre.

— Vous avez trahi vos principes ! accusa Horis.

— Je me bats pour la cause des mages, affirma son mentor. Un tel combat exige des méthodes radicales, quoi qu’il en coûte.

— Je hais Bennenike car elle a déclaré un génocide contre les mages. Je hais Nerben car il a massacré ma famille et une bonne partie de ma ville. Jamais je n’aurais cru pouvoir haïr un mage avec un degré comparable.

— Et jamais je n’aurais cru devoir t’affronter, Horis.

— Vous ne réalisez pas, hein ? La chasse contre les mages va s’accroître. En agissant de la sorte, en massacrant autant de pauvres gens, vous avez donné raison à tous nos détracteurs ! Vous incarnerez leur peur dans les livres d’histoire. Vous serez la justification de leur haine. Nous avions progressé… À présent, c’est fini. Il faudra des efforts considérables pour remporter ce combat.

— Ils n’avaient pas besoin de moi pour exécrer et nous tuer ! Si j’élimine chaque opposant à la magie, je créerai enfin un monde meilleur !

— Mais vous n’avez pas éliminé que des opposants à la magie, Khanir. Vous avez massacré vos propres alliés. Votre parcours s’arrête ici et tout de suite.

— Qu’il en soit ainsi. Si tu restes autant campé sur ta position, je ne vois pas pourquoi nous devrions palabrer plus longtemps. Affronte-moi, Horis. J’ai défié des dizaines de miliciens en même temps. Toi, tu es seul, et pas au meilleur de ta forme.

— J’essaierai. Et je dois avouer que votre fils et vos amis tués par la milice ont eu une certaine chance. Ils n’ont pas assez vécu pour assister à ce que vous êtes devenu.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Saidor C ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0