Chapitre 36 : Vers l'évasion (2/2)

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Ils arrivèrent au quartier Daïmekis, à l’ouest de la cité. Des bâtiments identiques se déroulaient dans des rues plus étroites, bariolant bien moins qu’ailleurs à Doroniak. Brillait un ocre lassant au milieu duquel ils essayèrent de s’orienter, entre palmiers et figuiers qui surplombaient les venelles.

Ledit établissement, en partie enfoui sous terre, ne brillait pas de pleine singularité. La deuxième vision conforte toujours la première. Jizo et Nwelli constatèrent alors qu’aucun garde ne surveillait l’entrée. Un sourire en coin germa sur le visage de Nafda, aussi se doutèrent-ils de ses intentions. Adossé contre un mur, un œil bien avisé dans la bonne direction, les anciens esclaves cogitèrent quant à l’approche à adopter.

— Les gardes sont occupés ailleurs, dit Nafda. Profitons-en !

— Comme ça ? se tâta Jizo. Je pensais que nous serions plus subtils.

— Prudence n’est pas toujours discrétion. Disons que ma patience a atteint ses limites.

Une telle impulsion inspira l’assassin à proximité de l’entrée. Elle essaya de tirer la poignée, sans succès. C’aurait été trop beau. Un grognement d’instinct précéda donc le coup de pied qui fracassa la porte. Nafda s’engouffra avec prestesse, ce qui exhorta Jizo à lui-même défourailler.

— Ça c’est mon Jizo ! complimenta Vouma. Combien d’autres périront de ta lame ? J’étais ta première victime, sûrement pas ta dernière.

Les paupières de Jizo fermèrent comme ses doigts glissèrent le long du manche. Nous voilà des criminels, maintenant. Au moins à l’échelle de cette ville. Personne ne nous blâme pour tuer des mercenaires. Des gardes, en revanche… C’est une autre histoire. Il déglutit, proche de dégobiller, mais se précipita vers l’entrée malgré tout.

Nafda l’avait bien devancé. Au moment où Nwelli et lui mirent pied dans le bâtiment, deux gardes gisaient déjà à terre. Poitrine percée, yeux écarquillés. Leur meurtrière débordait toujours d’assurance.

— Était-ce vraiment nécessaire ? demanda Nwelli, presque nauséeuse.

— Des obstacles à éliminer, affirma Nafda.

— Ce sont des êtres humains. Ils ont juste prêté une allégeance différente ! Comment peux-tu les considérer ainsi ?

— Par habitude, je présume. Assez perdu de temps.

Nafda poursuivit sur son élan, ce malgré le pincement de lèvres de Nwelli. Jizo ignorait comment réagir au milieu de leur débat. Facile pour une assassin de tuer. Pas pour nous. Il fit signe à son amie de s’accorder à ses pas, faute de disposer d’autres choix.

Tous trois s’enfoncèrent sur un couloir étroit. Des briques les cernaient de part et d’autre tandis qu’ils descendaient au fur et à mesure. Seules des rares torches leur dévoilaient la voie. Là où de faibles voix perçaient par-delà l’épaisseur des murs. Là où l’appel de l’évasion retentissait de plus belle.

L’assassin s’accroupit une fois parvenue dans une grande salle. Ils retiennent donc les prisonniers ! Sous la terre, à l’abri des regards. Grâce aux chandeliers suspendus aux plafonds, Jizo distinguait la structure des lieux. Étrange comme disposition de prison. Une rampe circulaire surplombait un escalier pierré, qui conduisait au centre d’un cercle. Au-dessus d’un enchevêtrement de motifs anthracite et mordoré trônait une poutre d’où oscillaient deux cordes. Elles ne sont pas assez déployées pour tuer. À quoi servent-elles, dans ce cas ? Des dizaines de cellules se répartissaient sur deux étages. Tant d’incarcérés, comment repérer Larno et Irzine ? Ses yeux s’écarquillèrent de révulsion lorsqu’il constata que, dans certains cas, les prisonniers étaient plus nombreux que les lits calés sur les alcôves.

Il perçut un égorgement à proximité. Nafda enchaîne les gardes avec une aisance déconcertante. Par-delà le jaillissement de fluide vital s’étendit l’ombre de l’assassin. À peine l’autre garde l’eut-elle repéré qu’elle para la dague avec maladresse. La seconde traversa ses défenses tout comme son flanc : elle s’étouffa dans son propre échec.

— Des intrus ! alerta un garde.

Le dernier se situait à sa droite. De suite il abattit son épée. S’accrochant à la rampe, anhélant, Jizo l’évita de justesse. Pourquoi attaque-t-il alors qu’il est seul ? Qu’il se rende ! De la bave écumeuse giclait de sa bouche comme il s’acharnait sur Jizo. En l’absence d’alternatives, à contrecœur, ce dernier se jeta sur lui. Des étincelles fusèrent des lames. À chaque entrechoquement ployaient les deux combattants. À chaque tintement s’intensifiaient leurs tremblements.

Moiteur et essoufflement coalisèrent contre Jizo. Quand son sabre tomba de ses mains, un spectre pernicieux entreprenait de le faucher. C’était sans compter l’intervention de Nafda qui, glissant entre les opposants, se fraya un passage. La voix du garde eut beau s’étrangler, il eut beau soulever son épée dans une ultime tentative, une lame glacée se planta dans sa gorge.

Il voulait me tuer. Pourtant, il n’accomplissait que son travail… Des borborygmes hantèrent Jizo et Nwelli à l’agonie d’un homme décédé pour son devoir. Nafda se contenta d’en sourciller : dès que le souffle de sa victime cessa, elle s’empara d’un trousseau de clés et le lança à ses compagnons.

— Fouillez les autres gardes, dit Nafda. Ils possèdent les autres clés.

— Il n’y en avait que cinq ? s’étonna Jizo.

— La majorité doit être occupé ailleurs, sans doute. Nous n’allons pas nous en plaindre. Ce sera plus difficile pour la sortie.

Dubitatif, indécis, Jizo s’extirpa de sa torpeur afin de ramasser les autres trousseaux. Il ignorait laquelle ouvrait quelle serrure. Au-delà des réclamations de liberté perçaient des voix aigües. Un enfant. Larno ! Sitôt reconnues que Jizo se précipita devant ladite cellule.

De la poussière s’était agglomérée sur la figure du garçon. Pas la moindre plaie ne l’entachait néanmoins, ce pourquoi les anciens esclaves, à hauteur des barreaux, expirèrent un soupir.

— Vous êtes venus ! s’écria Irzine, bondissant de son lit. Vous vous êtes mis en danger pour nous !

— C’était la moindre des choses, dit Jizo. Après tout ce que vous avez fait pour nous.

— Pas de fausse modestie, l’ami ! Ça veut aussi dire… que nous ne pouvons plus reculer.

— Oui, concéda Nwelli. Nous sommes des criminels, désormais.

— Aux yeux de la loi de Doroniak, peut-être. La plupart d’entre nous ont été enfermés par opposition au régime. Entassés dans d’étroites cellules, à peine nourris. Et si on protestait, on était pendu par les pieds au milieu. Ça m’est arrivé.

Le sang de Jizo se glaça à cette évocation. Voici donc son utilité… Nous arrivons à temps. Il se retourna de nouveau vers les prisonniers dont les cris de joie s’apparentaient à une mélodie.

— Qui est cette femme ? demanda Larno en désignant l’assassin.

— Nafda, révéla Jizo. Elle nous a délivrés la première fois. Son retour est un miracle, mais nous n’allons pas nous en plaindre.

— Une coïncidence ? envisagea Irzine. Ou bien Doroniak attire ironiquement les âmes dissidentes au sein de ses murailles ?

La concernée se dressait de plus belle. Toute son attention se focalisait sur une unique prisonnière, les poignets liés par une corde brillante. Si l’architecture de la salle rendait égaux chacun des occupants, la femme dévisagée demeurait particulière, au moins aux yeux de l’assassin.

— Médis, reconnut-elle.

Des vibrations se transmirent dans l’ensemble des cellules. Serait-ce une mage ? C’est insensé ! Jizo se garda de commentaire, en retrait face à la raide posture de Nafda.

— On ne fuit pas à son destin, ironisa Médis. Achève-moi donc.

— Pourquoi je te tuerais ? demanda Nafda.

— Tel est ton but. Te soumettre à Bennenike. Tuer chacun des mages.

— Je n’assassine pas aveuglément. Avant toute chose, j’aimerais savoir ce qui t’a conduite dans cette cage, alors que les mages sont vénérés ici.

Un rire nerveux s’empara de Médis avant son approche des barreaux. Les deux femmes, supposées rivales, se fixèrent avec insistance.

— Voilà que tu emploies encore des termes excessifs, persiffla Médis. Les émeutes ont prouvé que la question des mages divisait même dans une soi-disant cité indépendante. Sans doute ce qui t’a attirée à Doroniak. De la chair fraîche pour toi.

— Cesse de te moquer et réponds à mes questions ! Comment t’es-tu retrouvée ici ?

— La mort de Bakaden Yanoum a été annoncée publiquement. Peut-être que son épouse s’est gardée de révéler qu’elle lui avait planté son poignard en cœur. Pour sa simple opposition envers la façon dont le régime traitait ses opposants.

— En fait, elle l’a annoncée fièrement dans un discours public. Juste avant de poignarder un prêtre pour son soutien envers l’impératrice. Bennenike a de la concurrence, il semblerait !

Un nouveau ricanement exhorta Jizo à détourner le regard. Comment peut-on ironiser sur de pareils drames ? L’humour est-il un remède contre la tristesse ?

— Vraiment ? fit Médis. Elle n’a honte de rien. Là où je voulais en venir, c’est que ma sœur Bérédine a été la première à s’indigner de cet assassinat. Elle était si énervée qu’elle a révélé être responsable de ton évasion. La pire erreur de sa vie… Khanir l’a brûlée vive. Et Horis aurait subi un sort similaire s’il ne s’était pas soumis à eux.

— Oh… La seule mage pour laquelle j’éprouvais un semblant de compassion. Je suppose que cela ne t’a pas plu.

— Bel euphémisme. Pour le moment, ma haine envers Khanir est à son paroxysme. Comment ai-je pu aimer un tel monstre ? Il m’a devancée dans mes intentions et m’a enfermée ici.

— Je vois. Et si je te libérais ?

— Quoi ? Tu libèrerais une mage ?

— Bien sûr. Nous avons un ennemi commun, après tout. À condition que tu ne te venges pas sur moi, comme une ingrate.

— Autrefois, je brûlais de cette envie. Tu as tué trois des nôtres, sans compter ton interminable liste. Mais je connais quelqu’un de bien pire, tout autant persuadé de faire le bien. Khanir Nédret.

— Très bien, je te fais confiance. Ne me déçois pas.

Une aura de fort éclat luit sur le faciès de la prisonnière. Médis tendit ses poignets entre les barreaux, et bientôt les liens furent rompus. D’un acquiescement, d’un sourire assuré, elle recula de deux pas avant de rassembler ses paumes. Aussitôt elle disparut.

— Une téléportation en guise de bonne volonté ? fit Nafda. Enfin une qui tient ses promesses. Son corps risque d’en pâtir, par contre.

Ce disant, l’assassin s’orienta vers le reste des prisonniers et haussa la voix :

— Je vais être franche avec vous. Je me suis rendue ici par intérêt. Mais l’évidence me frappe : aucun d’entre vous ne mérite d’être enfermé ici. Que vous souhaitiez juste recommencer une nouvelle existence ou que vous vouliez vous venger de Jounabie, peu importe ! Je vous offre votre liberté !

Un tonnerre d’ovations succéda au discours de Nafda. Oh ! Cela ne va pas un peu trop loin ? Elle allia le geste à la parole en demandant à Jizo et Nwelli de déverrouiller les cellules. Des opposants au régime ne sont pas dangereux. Ils méritent tous de goûter au soleil, pas seulement nos amis. Enfin, tout dépend de leur alignement réel… Les anciens esclaves obtempérèrent alors et ouvrirent les cellules une à une. Plus d’une dizaine de minutes leur fut nécessaire pour délivrer chacun des captifs. Lesquels les accueillirent avec force gratitude, quand bien même Jizo et Nwelli n’en désiraient pas tant. Ils chérirent plutôt le retour d’Irzine et Larno qu’ils enlacèrent pleinement.

— Merci, dit le garçon.

— Ce n’est pas fini…, avertit Jizo. Tous les bateaux ont levé l’ancre. Impossible de partir d’ici.

— Je m’en doutais que ce serait compromis, se confia Irzine. Tant pis. Le plus urgent est de quitter cette ville !

Jizo hocha du chef et s’avisa que les prisonniers se hâtaient déjà vers la sortie. Ils se réjouissent de fuir ou combattre l’injustice. Ce fut une véritable déferlante qui enjamba les dépouilles des gardes et regagna massivement l’extérieur. Bientôt les évadés se disperseraient partout dans la ville. Seuls Irzine et Larno réalisèrent un détour afin de récupérer leurs armes.

Ils savaient où elles se trouvaient ? Peu importe. Le chaos va s’accroître davantage. Mais au moins nous sommes réunis.

Nafda interpella les anciens esclaves, quand elle les repéra par-delà la multitude.

— Nos chemins se séparent maintenant, déclara-t-elle.

— Nous te remercions de nouveau, dit Nwelli.

— Ne vous attendez pas à des adieux larmoyants. Je sais bien que vous ne m’aimez pas. J’avais aussi à gagner dans cette histoire.

— Un intérêt commun pour tous…, jugea Jizo. Alors maintenant, tu vas retrouver Jounabie ?

— Bien sûr. Hors de question qu’un de ses nombreux opposants lui arrache sa tête à ma place. Je suppose que nous ne nous reverrons jamais, à moins d’une autre incroyable coïncidence. Adieu, donc.

Armée de ses deux dagues, la résolution inscrite sur ses traits, Nafda courut dans la même direction que les prisonniers. Elle disparut après un passage éphémère. Une aide temporaire. Exactement comme lors de leur première rencontre.

Que faire, à présent ? Jizo força un sourire vers ses compagnons. Incongru ou inapproprié, il ne savait le définir. Toujours était-il qu’une incroyable secousse ébranla la cité toute entière.

Alors que des haut-le-cœur nouèrent Larno et Nwelli, alors que Jizo s’accrocha au peu de support à proximité, Irzine s’avança et redressa la tête.

— Je me disais bien que c’était trop facile, dit-elle.

— D’où venait ce tremblement ? s’inquiéta son cadet.

— Une seule source possible. Nous nous sommes évadés pour mieux subir le début de la guerre.

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