Chapitre 33 : Passé révolu (2/2)

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Docini ne pouvait déplorer davantage la situation : le devoir l’appelait, et ne patienterait pas outre mesure.

Derrière la grande porte émergea l’impératrice de pleine stature. Un tel grondement entraîna la fuite de Nerben, qui ne manqua pas de bousculer Docini sur son passage. Il ne valait aucun commentaire ni jugement, aussi s’avança-t-elle davantage, aussi sourit-elle à l’incarnation du pouvoir. Mais pour le moment, Bennenike s’intéressait plutôt à son mari.

— Ce pleutre prend les jambes à son cou ? se gaussa-t-elle. Tant mieux, je ne veux pas le voir dans les parages. Et s’il pouvait mourir à Doroniak, ce serait encore mieux. Mais ce vieillard est tenace.

— Bennenike…, souffla Koulad. Suis-je encore un milicien ?

D’un pas lent, quoique rassurant, la dirigeante se rapprocha de Koulad. Ses lèvres s’étirèrent, et ce fut d’un doux regard que ses doigts effleurèrent ses tresses. Elle caressa ses joues avec tendresse, de chacune de ses mains, avant de l’embrasser langoureusement. Voilà l’amour, le vrai ! Je suis persuadée qu’il revêt une meilleure valeur que la soi-disant bienveillance familiale. Au moins, dans ce cas-ci, il y a une notion de choix.

— Bien sûr, confirma l’impératrice. Koulad… Je sais que tu es fort. Que tu es un grand guerrier. Mais je ne veux pas te perdre. J’ai besoin de toi ici, mon amour. Pas pour tes fonctions de procréation comme l’affirme si méchamment Nerben. Pour me protéger. Pour te chérir.

— Les miliciens n’ont auront-ils pas besoin de moi sur le champ de bataille ? argüa Koulad.

— Ils se débrouilleront, j’en suis persuadée. Il faut que des miliciens restent pour défendre la capitale, au cas où les choses tournent mal. Toi à mes côtés, rien ne peut nous arrêter.

Du dos de la main, toujours avec fluidité, Bennenike chérit le contact de l’être aimé. Ils se séparèrent doucement, et seulement après elle coula un regard en direction de l’inquisitrice. Elle m’a bel et bien vu. Malgré mon retrait. Malgré mon statut d’observatrice silencieuse. Docini entreprit donc la héler.

— Votre grandeur ! fit-elle. Vous vouliez me voir ?

— Xeniak n’a pas traîné, je vois ! se réjouit-elle. Nous avons en effet des sujets importants à aborder. Koulad, peux-tu te retirer ? Le départ de Docini est proche, et quand ce sera le cas, tu seras tout à moi.

Koulad s’en fut à bonne allure, comme trépignant face à cette imminence, ses nerfs finalement détendus. Il disparut dans un autre couloir en une fraction de secondes, ainsi Bennenike et Docini se retrouvèrent-elles à deux. Or l’impératrice cheminait à l’opposé de son trône, ce pourquoi sa protégée en écarquilla les yeux.

— Nous n’allons pas sur votre trône ? s’étonna Docini.

— Non, dit Bennenike. Nous nous rendons dans un lieu plus propice à notre dialogue.

Docini s’accorda à la volonté de son impératrice en dépit de son froncement de sourcils. Toutes deux parcoururent alors allées après allées, sereines dans cette succession d’allers et retours, remarques parmi tous ces anonymes. Bien vite la jeune femme s’avisa que leur conversation se déroulerait hors du palais impérial. Ce chemin, elle l’avait déjà emprunté auparavant. Lorsque, récemment intégrée en Amberadie, elle assistait à l’union des âmes protectrices des âmes de l’Empire Myrrhéen.

La démarche de Bennenike suscitait l’admiration de Docini. Tête relevée, foulées résolues, regard franc, rien ne trahissait un défaut de maintien. Un désir d’imitation naquit en l’inquisitrice, toutefois elle souffrirait de la comparaison, et n’en fit donc rien. À preste cadence, côte à côte, Docini s’apparentait à sa garde du corps. Un statut que jamais elle ne déroberait à Badeni. Pourtant elle devait reconnaître que le regard d’autrui ressemblait à de l’adoration.

Désormais, je suis plus jugée par mes compatriotes que par les myrrhéens. Ironie du sort…

Elles atteignirent le Mur de la Lignée. Vidée de public mais points de substance. D’emblée Bennenike effleura les sillons serpentant les arcs voûtés. Elle contempla par-dessus tout la goutte surmontant la vague, allégorie de son pouvoir, symbole de sa nation.

— Plus de cent-cinquante jours se sont écoulés depuis ton arrivée, énonça-t-elle. Tu n’es pas passée inaperçue, c’est peu de l’affirmer. De grands événements se sont mis en branle. Et ce n’est pas près de s’achever.

— J’ai l’impression d’avoir peu accompli depuis mon combat contre Horis…, se dévalorisa Docini.

— L’avoir vaincu était déjà un exploit en soi ! D’étrangère, tu es devenue une héroïne, respectée de beaucoup, jalousée de quelques-uns. Tu m’as permis de découvrir de nouvelles perspectives. Des meilleures manières de se battre pour son pays, de chasser les mages, de prospérer. Tu n’es plus l’unique représentante de ton ordre sur nos terres, mais tu as amorcé l’alliance mieux que quiconque. T’envoyer ici était probablement une des meilleures idées de Godéra.

— Vous trouvez ? Elle ne me tient guère en haute estime…

— Les querelles familiales sont des freins à notre épanouissement. Mais ils ne sont que temporaires : une fois débarrassés de ces contraintes, nous sommes libres.

Une forte insistance se lisait dans l’expression de Bennenike. N’a-t-elle pas massacré ses frères et sa sœur pour accéder au pouvoir, comme l’exige la tradition ? Facile à dire pour elle. Docini se garda néanmoins de formuler cette pensée à haute voix.

— Vous avez sans doute raison, concéda-t-elle. C’est juste que la pression familiale m’incombe au pire moment. Pour être honnête, je suis plutôt angoissée à l’idée d’aller à Doroniak. Je n’ai pas peur de me battre, d’ordinaire. Mais là… Une bataille dans une cité, d’ampleur inimaginable, où de nombreux citoyens seront perdus entre le conflit de deux camps. Je peine à me le représenter.

— C’est normal, rassura Bennenike. La peur est un sentiment naturel, qui peut servir d’adrénaline lors de moments critiques. Moi-même, bien que je feigne le contraire, je suis souvent effrayée. Évidemment, une impératrice et une inquisitrice n’ont pas des responsabilités identiques, et leurs décisions ont des impacts d’échelle différente.

Mue dans sa réflexion, claquemurée dans un bref mutisme, la dirigeante contempla d’abord le mur avant de porter son regard vers l’immensité de la cité. Amberadie résiste, fière cité millénaire. En sera-t-il autant pour Doroniak ?

— Trente-deux impératrices et empereurs m’ont précédée dans cette dynastie Teos, rapporta Bennenike. Je n’en ai connu aucun, hormis mon père, bien sûr. Je me demande ce que mes ancêtres penseraient de moi.

— Le jugement des morts est-il plus important que celui des vivants ? songea Docini.

Bennenike eut un sourire éphémère.

— Non, confirma-t-elle. Surtout que, parmi tous ces dirigeants, j’en admire certains mais méprisent d’autres. Je ne suis pas dupe, Docini : je connais ma réputation. Émissaires et espions affirment que l’Empire Myrrhéen est la seule nation du continent où la magie est totalement interdite. Il est facile d’en déduire ma réputation…

— Notre image…, murmura Docini. On a beau rejeter cette idée, nous sommes tous sensibles à ce que les autres pensent de nous.

— J’ignore à quel degré j’en suis affectée. Toujours est-il que, à demi-mot dans l’empire, et partout ailleurs, je suis considérée comme une tyrane. J’ai beau m’évertuer, on ne retiendra que ma première décision, celle d’annihiler chacun des mages. Ainsi apparaîtrai-je à travers l’histoire. Tant pis pour ma réputation. Je ne regrette rien, et les récents événements me convainquent sur la dangerosité des mages. Je crains pour mon peuple, Docini. Leur éveil, causé par ces lâches collaborateurs, risque de faire des dégâts irréversibles.

Bennenike ne cessait de fixer sa protégée. D’où vient cette obstination à mon égard ? Certes, je lui ai sauvé la vie, mais quand même ! Elle peut se confier à Koulad, à Badeni, ou Clédi ! Elle l’a sans doute fait, mais je suis différente. Moins que je ne l’imagine, apparemment… Comme Docini déglutit, comme un poids invisible écrasait ses épaules, elle se fondit dans la détermination de son impératrice.

— Va à Doroniak, ordonna-t-elle. Affronte les mages rebelles. Triomphe de Horis Saiden, définitivement cette fois. Élimine les traitres, même celles et ceux qui ne maîtrisent pas la magie. Et surtout, reviens en vie. Victorieuse.

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