Chapitre 30 : Le groupe salvateur (1/2)

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HORIS


— C’est risqué, admit Khanir. Pire : il s’agit d’une des tentatives les plus suicidaires de chacune de nos existences. Mais avons-nous vraiment le choix ? Non ! Il faut s’y plonger, sinon nos efforts auront été futiles.

Sommes-nous si désespérés ? Piégé au sein d’une telle autorité, Horis n’avait d’autre choix que d’obtempérer. Il se joignit au reste du groupe qui s’agglomérait en cercle. De là il ressentait les tremblements qui courbaient chacun de ses compagnons, il discernait l’inquiétude parmi Milak, Sembi, et tant d’autres confrères et consœurs. Un regard assuré de Khanir le conforta cependant dans son geste au moment où il prit la main de ses deux voisins.

— Je sais que vous êtes effrayés, décela le meneur. Je le suis aussi. Mais je ne peux compromettre notre survie dans un trop long voyage. Des centaines de kilomètres nous séparent encore de Doroniak. Combien de miliciens pourrions-nous encore croiser sur notre route ? Nous ne devons plus perdre personne !

De sombres rictus peignaient le visage du chef. Réprime-t-il ses émotions ? Ce n’est jamais la solution. D’abord un doux flux s’écoula d’un corps à l’autre, ensuite de quoi émanèrent des vibrations. Là où la circulation se voulait laminaire s’intensifièrent les turbulences.

— Ne lâchez surtout pas ! avertit Khanir. Si tout se passe bien, ce sera juste un mauvais moment à passer.

Si tout se passe bien… Voilà qui ne met guère à l’aise. Si les répercussions de la téléportation étaient négligeables, les mages auraient facilement échappé à la purge. Alors une téléportation d’un groupe entier… J’ai confiance en Khanir, mais il exige beaucoup de nous.

Des spirales bleuâtres tourbillonnèrent autour du rassemblement. Si vive, si scintillante, la lumière capturait l’énergie des alentours pour mieux la transmettre. Or se déplaçait-elle à haute vélocité, de quoi éblouir chacun des mages, pourtant arrimés dans les premières profondeurs du sable.

Tout leur environnement sembla alors se courber. Se plier à une autre réalité, où les perceptions différaient, où les fondations visuelles chutaient. Avons-nous disparu ? Sommes-nous hors de l’espace et du temps ? Même éphémère, quand les durées se diluaient, une cage de flux magique s’ouvrait vers les possibilités infinies. Peu était reconnaissable : Horis paraissait esseulé et isolé dans cette immensité. Des mouvements d’ampleur couplés à de puissantes ondes déformaient ce milieu dans lequel les mages n’exerçaient nul contrôle. Ils se contentèrent d’endurer, de se laisser porter par ce grand bond austral.

Tout se conclut cependant en une fraction de secondes. En un flash lumineux.

Horis chuta sur un nouvel amas de sables. Plus dur, moins profond. D’emblée des nausées le tenaillèrent, et de la bile remonta à sa gorge. Il dut se cogner les côtes pour se redresser correctement. Ne pas vomir… Surtout pas ! D’autres n’eurent pas cette chance et dégobillèrent sur les grains. Par-dessus le fluide verdâtre se pelotonnaient des mages en état maladif.

— Qu’est-ce que c’était ? cria une femme.

— Notre issue de secours, dévoila Khanir. Et une totale réussite. Oui, une…

Il tomba à genoux et cracha une gerbe de sang. Hoquetant, suffoquant, Sembi et Milak accoururent vers lui. D’autres s’enquirent de lui, voulurent le rejoindre, mais ils étaient si peu à s’en être sorti indemnes. Médis soutenait qui se tordait de douleur, usant de la magie pour l’apaiser. Aux pieds de Horis, Ghanima était secouée de spasmes, et une lividité toute relative s’étendait sur son visage. Le jeune homme lui tendit donc sa main qu’elle agrippa avec fermeté.

Pire était le mot. La magie n’est pas sans risque. Mes parents m’avaient prévenu…

— Une totale réussite ? imputa Bérédine. Regarde-les ! Nous, nous sommes habitués, mais eux… Ils ont l’air en forme ? La téléportation est déjà dangereuse, alors en groupe et sur de longues distances…

— Un risque qui en valait la peine, dit Khanir. Nausées et vomissements sont les effets secondaires les moins douloureux de la téléportation.

— Ça aurait pu leur arriver aussi !

— Non ! Crois-moi, Médis, je contrôlais la situation ! La mort ne survient que si la téléportation est mal préparée, ou employée à trop forte dose. Comme certains ayant tenté de fuir les miliciens.

Mais les traits de sa compagne ne se détendirent guère. Au contraire, retroussant les manches, ses nerfs se durcirent et du sang monta à son faciès. Je suis donc arrivé au moment où les tensions étaient les plus exacerbées. Un trio brisé, si je puis dire. Seule Bérédine, triomphant de ses maux, eut l’audace de s’interposer contre sa jumelle, forçant Milak et Sembi à reculer.

— Aurais-tu perdu confiance en lui ? critiqua-t-elle. Nous sommes là, vivants, entiers ! Khanir n’aurait pas pris cette décision si la récompense n’en valait pas la peine.

— Et quoi ? rétorqua Médis. Doroniak sera notre salvation ?

— Oui ! affirma Khanir. La peur n’a plus raison d’être. Nous avons erré, nous nous sommes cachés, maintenant c’est fini. Notre nouveau départ se présente juste derrière.

— Pourquoi nous rendre ici seulement maintenant ? demanda Horis, hébété.

— Le monde n’était pas prêt avant. Notre temps est venu. Contemplez les fondations de notre avenir !

Ils étaient si occupés à vaincre leurs indispositions qu’ils en avaient omis le décor. Rarement Horis ne s’était-il heurté à d’aussi hautes murailles surmontées de tours, même en Amberadie où la situation était distincte. Des éparses entrées émergèrent alors un groupe d’homme et de femmes armés. Les mages se consultèrent de prime abord, transis de frissons, puis le meneur aux bras déjà déployés leur adresse un signe. Aussitôt les gardes baissèrent leur bras, et la circonspection de tout un chacun s’était avérée excessive.

— Nous pensons savoir qui vous êtes, déclara une garde. Mais au cas où nous nous trompions, dites-nous qui vous êtes. Moi, c’est Zelid. Ce n’est pas la première fois que nous avons d’étranges visiteurs récemment…

— Khanir Nédret, se présenta le meneur. Bakaden et Jounabie nous attendent pour aujourd’hui, il me semble.

— En effet, comme il nous l’a communiqué. Nous allons vous conduire jusqu’à eux. Ils sauront où vous loger. Restez discrets quand même : la transition se fait lentement.

Khanir grinça des dents puis enjoignit les siens à le suivre. Qui est cette personne mentionnée ? Bon gré mal gré Horis s’adapta à la cadence de ses pairs. Des mages vivraient déjà à Doroniak, en toute légalité ? Décidément, cette cité est particulière.

Immergé dans ses réflexions, cheminant machinalement, Horis prêta peu attention à ce déploiement de bâtiments aux multiples dimensions et nuances. Depuis qu’il avait quitté les nomades, il s’était déjà fondu dans la masse à la capitale, mais guère dans de pareilles circonstances. L’impératrice respire encore, car l’opportunité ne se représentera pas de sitôt. Ses battements s’intensifièrent à mesure qu’ils s’immiscèrent parmi les citadins. Des dirigeants alliés ? Je peine encore à me l’imaginer. Je n’ai donc plus à douter de Khanir.

La chance pointait droit sur l’inaccessible ciel. Peu de tours égalaient autant de hauteur et de largeur. Des moellons de couleur ocre, tantôt agrémentés de plâtre, tantôt incrustés de pierres irisées, s’assemblaient jusqu’au sommet en forme de voûte dorée. Balcons et vitres teintées étaient disposés parallèlement, à chaque étage, accentuant davantage l’étendue du bâtiment. Quelques replis brisaient sa symétrie sans altérer sa grandeur. Cela ne vaut pas le palais impérial, mais quand même !

Une volée de marches les conduisit à la salle d’accueil. Beaucoup de mages durent rester à l’extérieur du fait du manque de place pour l’accueil de l’ensemble de leur groupe. D’emblée s’immergèrent-ils dans cette lumière tamisée, aux murs orangées, aux rideaux mordorés, et aux pavés luisant de saphir. Des fauteuils rembourrés, ornés de lisses accoudoirs, prodiguaient l’envie de s’y affaler. Outre les lustres en métal ciselé trônaient des bougies sur des guéridons lambrissés ou des tables en verre. Il régnait un parfum envoûtant par surcroît, grâce aux pavots et lys qu’un servant arrosait méticuleusement. Ils ne manquent pas de confort et ont le sens de l’accueil ! Je n’avais plus vu ça depuis… Depuis plus de huit ans, en fait.

Un homme et une femme patientaient par-dessous une arcade voûtée qui cerclait les vitres. Tous deux les accueillirent d’un sourire au moment où les exilés foulèrent leur tapis en laine. Khanir devança cette troupe pour enlacer successivement les deux dirigeants. Alors ils se connaissent aussi bien ? Il n’exagérait pas quand il parlait d’alliés de confiance !

— Je suis si contente de te voir, Khanir ! s’égaya Jounabie. Malgré les circonstances… Surtout que la responsable de votre fuite est encore en liberté.

— Inutile de me le rappeler, déplora le meneur. Les temps sont difficiles, il faut se serrer les coudes. Vous savez ce que cela signifie ? Nos plans doivent s’accélérer.

Chacun adressa un regard lourd de sens comme les mages s’adaptaient à leur environnement, observant la scène d’un œil distant. On les impliqua bientôt dans ces problématiques : Bakaden s’approcha d’eux d’un pas décidé.

— Bienvenue ! accueillit-il. Voilà bien longtemps que nous n’avions pas reçu autant de mages. Rassurez-vous, aucun milicien aux armes vibrantes n’arpente cette magnifique cité. Doroniak constitue le refuge d’une communauté maltraitée, et ce depuis le début de cette purge. Je ne peux imaginer combien il a été pénible de vous cacher. Vos sacrifices n’auront pas été vains : l’influence de l’impératrice s’affaiblit peu à peu. Cette ville ne sera bientôt plus l’exception de l’empire ! Nos gardes vont vous conduire vers des logements appropriés. Dans la lumière vous vous assumerez. Votre place n’appartient plus à l’ombre ! Vous êtes le groupe salvateur, l’espoir pour notre avenir !

Un tonnerre d’applaudissements s’ensuivit en dépit des effets persistants de la téléportation. Un discours bien rôdé, qui sent pourtant l’improvisation. Est-ce que cela contribue à son authenticité ? Tandis que les gardes émergèrent comme guides, tandis que Horis cherchait sa voie parmi eux, une main amène le retint là. Ai-je acquis trop d’importance parmi ce groupe ? Il demeura dans la pièce, accompagnant Khanir, Bérédine et Médis, prêts à mieux connaître les dirigeants de Doroniak.

— Asseyez-vous donc, proposa Bakaden. Désirez-vous un rafraîchissement ? Vous avez accompli un long voyage.

Horis hocha la tête, conscient de la sécheur assaillant sa gorge. Comme les autres invités l’imitèrent, Bakaden ordonna à son servant de réaliser sa tâche. Lequel revint lesté d’une cruche argentée de tasses en porcelaine, et les versa d’un rictus un brin forcé. De l’eau fraîche ! Cela faisait longtemps. Installé sur un fauteuil, Horis s’interrogeait sur la manière de filtrer l’eau, avant de réaliser les autres priorités.

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