Chapitre 19 : Nécessité d'accalmie (1/2)

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DOCINI


Même en temps de paix, il faut parfois rétablir l’accalmie.

Résister à la pression. Assumer ses responsabilités. Embrasser devoirs et exigence de paraître, pour mieux se définir, entre sa nature et son image. Aujourd’hui, on requérait une aide dont elle ne pouvait pas se détourner. L’inquisitrice de Belurdie s’avère donc indispensable en Amberadie.

— Sommes-nous bientôt arrivés ? s’impatienta-t-elle.

Un sourire incongru naquit sur les traits de Lehold, éphémère compagnon de route, avant de s’amenuiser en raison du contexte.

— Ils ont été découverts en plein centre-ville, rapporta-t-il. Certains miliciens sont déjà sur place. Et pas qu’eux, d’ailleurs. Donc autant vite régler ce problème.

— Je n’aime pas trop ce qui est sous-entendu… Pourquoi cette responsabilité m’incombe-t-elle ?

— Quelle réponse te conviendrait le mieux ?

— Toute vérité n’est pas bonne à entendre, je présume.

Tandis qu’elle déglutit, le milicien la guida vers la prochaine rue à leur droite. Alors l’inquisitrice s’aperçut pleinement de l’ampleur de la situation. Une affluence sans pareille dégorgeait dans l’allée. D’abord Docini et Lehold peinèrent à s’imposer dans une telle densité. Pourtant, malgré la clameur, malgré les mouvements désordonnés, ils n’avisèrent aucune violence. Pas la moindre pierre lancée ni de citadins se ruant à corps perdu. Si c’est une manifestation, elle paraît trop calme, dénuée de violence. Lances et hallebardes émergeaient au cœur de la multitude, portées par des âmes dévouées, déparés de traits plissés. Gardes et miliciens assurent leur rôle. Peut-être un peu trop bien ?

— Il vaut mieux tirer ton épée seulement si c’est indispensable, suggéra Lehold.

— Ce n’est pas pour ma dextérité avec ma lame qu’on m’a appelée, je me trompe ? demanda Docini.

— En effet. Disons que tu dois te montrer polyvalente.

L’inquisitrice se mordilla les lèvres inférieures, quitte à mal paraître. Or comparaissait un jeune couple désemparé, devant lequel se coalisaient un plus grand nombre de miliciens. Ils les toisaient avec une haine à peine dissimulée. La force de l’habitude, peut-être.

Un homme trop guilleret bondissait entre les deux groupes. Par-delà le flot de paroles inintelligibles résonnaient ses réclamations.

— Où est ma récompense ? Vous me l’aviez promise ! Savez-vous combien de risques j’ai pris ?

Une milicienne musclée s’imposa alors, une épaisse tresse noire longeant son dos par-dessous son heaume en bronze. Elle l’éjecta d’une baffe bien placée.

— Dégage ! s’écria-t-elle. Tu l’auras après, quand ce sera réglé ici. Tu ne vois pas que tu gênes ?

À terre, jeté avec fracas, l’agressé se perdit en grognements, bientôt confondu dans la foule. Nulle attention ne convergeait vers lui, sinon une poignée de regards contempteurs. Tout l’intérêt était focalisé sur le couple prisonnier, poignets ligotés, répandus dans les mêmes supplications que leur dizaine de soutiens derrière eux.

L’arrivée de Docini n’apaisa aucunement les tensions. Au moins appréhenda-t-elle un tant fût peu les circonstances. Chaque voix étranglée. Chaque teint plombé. Chaque silhouette agitée. Deux jeunes tressaillaient sous la proximité des armes. Des citoyens de toute âge et catégorie sociale les invectivaient alors qu’une minorité protestait en leur faveur, eux aussi insultés.

— Que se passe-t-il ? s’enquit Docini.

— On ne vous a rien dit ? fit un milicien. Ces deux tourtereaux sont des mages, cachés juste sous notre nez ! Et vous savez quel est le pire ? Beaucoup étaient au courant, ils les ont couverts toutes ces années ! Si vous les cherchez, c’est simple, ils sont juste derrière eux !

— Il faut les buter ! lança sa consœur agressive. Les cramer, eux et leurs collaborateurs ? Combien d’enfants, de vieillards, d’innocents en général ont été menacés sans se douter de rien ?

— Doucement, tempéra Lehold. Cette affaire fait débat. Notre glorieuse impératrice a décidé que Docini était la plus à même de trancher.

— Ça y est, l’étrangère est meilleure que nous ? Même pas deux mois qu’elle est là et on repose déjà sur elle ! Elle ne connait pas notre pays, ses problèmes, son peuple ! Elle a sauvé Bennenike, donc son avis a plus de valeur que le nôtre ?

— Elle est inquisitrice ! Le premier principe de son ordre est de juger. On ne va pas juste massacrer aveuglément parce qu’ils ont été dans l’illégalité. Quoi de mieux qu’un avis extérieur, surtout d’une femme considérée par beaucoup comme héroïne ?

Trop de pression… Trop de louanges. Des minutes durant, comme suspendue dans le temps, Docini se perdit à observer ses ennemis. Au nom de quoi menacent-ils la sécurité de cette cité ? Ni le couple, ni les dénommés collaborateurs ne lui firent effleurer l’idée de dégainer. Au lieu de cela, l’inquisitrice sombra dans cet amalgame de sanglots et de braillements. Là non plus n’émergea aucune parole distincte… Tous s’immobilisaient dans l’attente du verdict. À l’imminente sentence de l’inquisitrice. À une décision apte à bouleverser bien des destinées.

— La magie est un crime dans l’Empire Myrrhéen, dit Docini. Pour cela, ce couple doit être enfermé. Rien n’oblige la justice à les exécuter, ni même à les garder à perpétuité, mais cela doit être fait. Quant aux collaborateurs… Ils ont agi par peur, par attachement envers eux. Regardez-les : ont-ils l’air méchants ? Nous n’allons pas leur infliger un autre supplice, car ils ne sont pas à blâmer.

Enfin s’obtint un apaisement devant elle. Si le couple manqua de s’effondrer à l’entente de la sentence, les collaborateurs soupirèrent de soulagement. Sans doute la destinée des protégés ne les enchantait guère. Un moindre mal. Des vies doivent être sauvées autant que possible. Là où la foule s’était tue, loin d’être folâtre ni morne, des désapprobations fusaient de derrière elle. La violente milicienne, manches retroussées, faciès sillonné de plis maussades, était là leur tête.

— C’est une blague ? s’offusqua-t-elle. Pauvre idiote, pourquoi es-tu celle qui juge alors que tu ne connais même pas nos lois ? La pratique de la magie n’est pas seulement interdite, elle est punie de mort !

— Je me suis renseignée sur la loi myrrhéenne, répliqua Docini. Elle est plus flexible que cela.

— Tu t’empares de notre gloire, et maintenant tu cherches à réécrire nos lois ? La milice se débrouillait très bien avant ton arrivée. Si j’avais été là, j’aurais arrêté Horis Saiden moi-même !

Mais la milicienne ne put se rapprocher davantage : Lehold s’intercala entre eux deux.

— Il suffit, Djerna ! somma-t-il. La décision a été prise. Assurons-nous qu’elle soit appliquée.

— Tu étais témoin de Koulad, rétorqua Djerna. Ne me dis pas que tu t’es affaibli, toi aussi !

— Je soutiens le choix de Docini. Notre but est de protéger notre peuple, pas d’exercer une répression sur eux. On ne peut pas juste enfermer quiconque cache la présence de mages.

— Et pourquoi pas ? Qui sait combien d’autres mages ils ont couvert ?

— Ils sont effrayés ! Par les possibles répercussions, par les décisions politiques qui le dépassent ! L’attaque au mariage de l’impératrice a dû rappeler à beaucoup de quoi certains mages sont capables…

— C’est ce que tu promeus, Lehold ? La division au sein de nos rangs ? Je passe juste pour une froide meurtrière, comme si je ne défendais pas les mêmes idéaux que les tiens… Emmenez donc le couple et laissez les autres en liberté. Après tout, je ne suis qu’une citoyenne armée d’une lance, qu’est-ce que mon avis vaut ?

Djerna s’effaça d’un soupir et ses partisans l’imitèrent. Ce fut donc dans un silence cérémonieux que les miliciens escortèrent le couple coupable dans une cellule. Une telle supervision impliquait aussi de disperser la foule. D’aucuns pointèrent des armes, là où subsistaient des bribes de protestations, qu’elles dénonçassent la clémence ou la sévérité du jugement. Docini remarqua pourtant une approbation majeure de leur part, à mesure que cette population échappait de son regard.

Des réactions extrêmes auraient été déclenchées quel que soit mon choix. Pourtant… Est-il si surprenant ? Sont-ils si peu habitués à ce qu’un représentant de la justice prenne pareille position ? L’exécution est la décision la plus radicale, elle ne devrait être utilisée qu’en dernier recours.

Quoi qu’il en soit, j’ai suscité la colère d’une autre personne. Je me demande si Djerna est rancunière…

Docini devait rendre son rapport à Bennenike. D’autres idées l’effleurèrent toutefois sur le chemin du retour. À proximité du palais, alors que les miliciens s’éparpillèrent un à un, Lehold lui proposa de se détendre dans sa chambre. Une offre à laquelle l’inquisitrice hésita, mais en découvrant ses fauteuils finement brodés de part et d’autre d’une petite table en verre, elle comprit que le cadre était idéal. Il y a des avantages à être proche de Koulad.

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