Chapitre 16 : Vers l'obscurité (1/2)

7 minutes de lecture

HORIS


Nuit sans rêve. Rêve sans teneur. Teneur sans lueur. Lueur sans espoir. Espoir sans vie.

N’était l’éclat de la torche, Horis goûtait à la pénombre. Si accoutumé et pourtant prompt à la rejeter. Quel autre choix lui était proposé ? Ankylose et soif le guettaient à l’apogée des tourments.

Il n’épuiserait pas davantage sa salive, ni n’effleurerait le froid métal des barreaux. À quoi bon s’échiner ? Jour après jour courtisait l’abandon, tentatrice et vicieuse, insinuée à même son être. Le temps s’écoulait avec tant de lenteur que la lassitude le guettait. Ils traînent vraiment ! Autant mourir au plus vite… Si seulement c’était possible.

Disparus, les tourbillons dévastateurs. Éclipsés, les condors élancés. Horis sombrait dans l’immobilisme avec pour unique compagnie une grêle prisonnière. La condamnation résonnait de sarcasme. La pire peine n’est pas la potence, mais bien la perpétuité. L’isolation a de quoi rendre fou.

Il manqua de bondir au moment où des bruits de pas vrillèrent ses tympans. Nul nécessité d’être fin observateur pour identifier cette silhouette. Apte à faire trémuler quiconque déjà traumatisé. Où pouvait se replier Ghanima, sinon dans le misérable réconfort des murs humides ? Elle n’était même pas la cible directe.

Badeni inséra sa clé dans la serrure. Horis ne put savourer l’odeur de la liberté, puisqu’elle le plaqua à terre. Ses doigts se serrèrent sur sa nuque comme elle le dévisagea âprement, à l’instar des cinq autres miliciens.

— On a trouvé une meilleure place pour les déchets de ton type, assena-t-elle. Ordre de l’impératrice.

— Incapable de prendre une initiative vous-mêmes, miliciens ! provoqua Horis.

Aucune réplique ne surgit. Au lieu de quoi Badeni affûta son regard en direction de Ghanima, tournant la clé au passage.

— Je ne t’ai pas oubliée non plus, lâcha-t-elle. Il est temps d’innover dans la façon de te torturer.

La captive eut beau se recroqueviller, presque en position fœtale, elle retardait juste la géhenne à venir. Badeni l’empoigna avec force et fracas pour la jeter sur ses collègues. Ils la saisirent comme un objet, désireux de poursuivre l’intention, sans relâcher leur attention du principal concerné.

— Emmenons-les maintenant, décréta Badeni. Plus nous nous dépêchons et plus vite nous serons rentrés.

Ainsi s’entama la plus hâtive escorte que le mage avait vécue.

Démonstration inutile de force ! Qu’ils s’amusent s’ils le souhaitent. Je vais regagner l’air libre, au moins temporairement. Ma destinée n’est pas encore tracée, il suffit d’un peu de chance, d’une opportunité à saisir.

Tout ce qu’il ourdissait restait enfoui en lui. Atermoyé, mûrement réfléchi, pour une apothéose imminente. En attendant, ses ennemis le traînaient. Au mieux ils se gaussaient de lui à intervalles réguliers, au pire ils lui dardaient des regards de dédain. Même Badeni se focalisait davantage sur lui que sur Ghanima. Peut-être qu’à force d’acharnement, ils ont besoin d’une nouvelle victime… Mais je n’en suis pas une. Je vis. Et j’ai la force de résister.

Horis laissait derrière lui un palais inconquis. S’éteignait la lumière d’un espoir, abimée par l’amertume de la précipitation. Il n’avait guère profité des lieux, ni de son architecture flamboyante, ni sur son histoire gravée sur ses murs. Ses connaissances se limitaient à l’empyreume et l’humidité des geôles. Impossible de déterminer quand il reverrait les fondations du pouvoir myrrhéen… si tant était qu’il s’y heurterait de nouveau un jour.

L’escorte se dirigeait au septentrional. Point dans les routes principales, où la menace magique serait repérée et dévisagée. Plutôt au milieu du désert. À un nombre imprécis de kilomètres à parcourir pour guetter à nouveau l’obscurité.

Ils pensent m’avoir à l’usure ? Malgré le temps passé dans le froid et l’opacité, le mage ne craignait nullement les assauts de l’étoile diurne, au contraire de Ghanima. Tant de clopinements suscitaient l’hilarité chez chacun des miliciens, pour qui le prétexte de l’amusement semblait offert. Il s’agissait d’être inventifs quant à la manière d’humilier la prisonnière. Croche-pieds et crachats abondaient quand ils étaient cléments, rappelant non sans admonition son passé d’esclavagiste. Horis assistait avec impuissance à chaque lynchage. Ils reviendront bientôt vers moi. Amusez-vous tant que vous le pouvez. Bientôt, vos rires se transformeront en larmes.

Ils arrivèrent incessamment dans un biome moins familial. Le captif domptait les étendues de sable et était endurci aux montagnes. Mais il n’avait jamais foulé les plaines arides de l’empire, transition vers les frontières tempérées du nord. Cette ampleur d’herbe jaunâtre, touffes épaisses entrecoupées de terres nues, avait de quoi raviver d’anciennes couleurs coulant de sécheur. Des rochers mordorés alternaient avec des baobabs et des acacias. C’était sous ce dernier arbre qu’ils choisirent de s’établir pour une pause supplémentaire.

Comme de juste, les miliciens se rassasièrent de leur côté. Ils partageaient pain plat garni de tapenade d’olives noires sous l’intérêt affamé de Ghanima et de Horis. Ils savourent chaque bouchée… C’est ainsi qu’ils espèrent nous narguer ? Ou nous affaiblir progressivement ? Il me faut bien plus que ça !

Le mage bifurqua vers son homologue après un bref coup d’œil. Ils nous voient sans forcément nous entendre. Ghanima n’est pas au meilleur de sa forme… Mais je ne risque rien de pire si je tente.

— Enfuyons-nous, proposa-t-il à voix basse.

Ghanima sursauta, peu anticipatrice vis-à-vis d’une telle interpellation.

— Impossible…, chuchota-t-elle. Nos cordes nous serrent trop.

— Nous sommes deux contre six. Emparons-nous d’une lame, coupons nos liens.

— Parce que tu crois qu’en huit ans, je n’ai jamais essayé ? La matière de cette corde est extrêmement solide. Elle annihile notre magie, tu te rends compte ? Même une arme tranchante ne suffit pas, ou alors il faut être très fort… Ce qui n’est pas mon cas.

Des trépidations l’envahirent encore, comme si elle ne s’en lassait jamais. Une fragilité si secouée attira le regard de Badeni qui s’arma aussitôt de sa hallebarde et se ligua contre la coalition.

— Qu’avez-vous de si intéressant à raconter ? ironisa-t-elle. Parlez plus fort, que nous puissions tous s’esclaffer dans vos histoires ?

— Je me demandais quel goût devait avoir votre pain, répliqua Horis. Il doit être succulent, vu comment vous nous narguez.

— Oh, tu es triste pour ça ? Ne serais-tu pas une âme sensible ? Tu n’es pas digne de manger le même pain que nous.

— Comme si vous étiez dignes de quoi que ce soit…

D’intenses sillons entretinrent soudain la colère des miliciens. L’un d’eux se leva et, lance au poing, assena à Horis un regard saturé de hargne.

— Donne-moi une seule raison de pas te buter maintenant ! s’écria-t-il. Je n’en reviens pas que tu sois encore indemne. Combien de nos potes tu as tué, hein ?

— Calme-toi, suggéra Badeni. Il se moque de nous pour mieux nous irriter. C’est la fourberie des mages à laquelle il ne faut pas succomber.

— Comment résister ?

— Avec Ghanima, je suis habituée. On apprend à s’adapter, à lutter. Et à les faire souffrir quand on ne peut pas les égorger directement.

— Excellente suggestion. Rien n’oblige à ce qu’il soit intact en arrivant là-bas. Quelques coups ne vont pas le tuer, juste l’amocher. Il comprendra quelle erreur de la nature il est !

Sitôt effréné dans un discours suranné qu’il saisit le bras de Horis et le jeta à terre, à la manière de sa propre capitaine. Il commença à le marteler de coups de pieds. Bientôt se joignirent les autre miliciens, assaillant chaque partie du corps, glaviotant sur le jeune homme de temps en temps. Lequel ne poussa ni cri ni gémissement. Il se limita à attendre, impassible, comme si la douleur ne l’impactait pas. Frappez donc ! C’est parce que vous ne savez pas répliquer. Parce que vous devez vous mettre à plusieurs sur moi ! La lâcheté de cette milice ne cesse jamais de surprendre.

Badeni se délectait du spectacle avec les bras croisés. Elle n’omit ni de le contempler selon chaque angle possible, ni de toiser Ghanima de temps à autre. Cependant, elle héla ses camarades au bout d’une minute de justice sommaire.

— Ça suffit ! exigea-t-elle. Il a eu son compte… et puis nous connaissons tous quelqu’un qui s’occupera mieux de lui. Oui, il paiera, soyez-en garantis.

Les miliciens arrêtèrent de le tabasser, toutefois le mage dut se relever lui-même. Un camp était redressé sous l’empressement de ses agresseurs qui continuaient de le dédaigner, tandis que ses os et muscles semblaient gémir. Ce n’est que partie remise, vous verrez !

Encore fallait-il se prémunir de patience.

La route vers l’abîme était pavée de sécheresse. Si les miliciens ne s’y adonnaient pas de pleine alacrité, ils abreuvaient leurs prisonniers par nécessité. S’assurer que la soif ne les tuerait pas leur permettrait de prolonger leurs supplices. Aucune torgnole ni estocade n’entravait leur route : les miliciens les emmenaient à présent selon le protocole.

Quelques jours s’écoulèrent donc dans la monotonie et le semblant de sérénité. Par-delà le relief tristement plat s’étendaient des arbustes accrochés à même un sol fissuré. Des pierres étaient aussi disséminées au hasard, sauf en direction de l’ouest. Ce fut une milicienne qui le remarqua pendant qu’elle scrutait l’horizon.

— Pourquoi des pierres sont alignées ? s’étonna-t-elle. Ça n’a aucun sens !

— Quelqu’un est passé par là, suggéra Badeni. Peu surprenant : il y a quelques ménils dans les environs. Allons voir.

— Mais ne tardons pas ! C’est quand même bizarre.

Sur instruction de la capitaine, les miliciens et les prisonniers suivirent le tracé des pierres. D’abord des lignes les cornaquèrent, ensuite un cercle de cailloux orange et gris constitua une autre délimitation. L’inclinaison des rayons solaires favorisait leur visibilité. C’est tout sauf une coïncidence. Nous avons été suivis. Par qui ?

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Saidor C ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0