Chapitre 12 : La voie de la lumière (2/2)

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La salle du trône acheva de l’atterrer. Non que le siège abondant de pierres précieuses le révulsât, du moins pas autant que la tyrane installée dessus, armée d’un sourire dédaigneux. De vastes ornementations de rapaces le surplombaient. Symboles de puissance et de liberté… Bennenike l’Impitoyable, vous n’incarnez que la plus sombre part de ce premier mot, vous qui avez privé tant d’innocents de leur vie. Vos valeurs de liberté ne s’appliquent pas qu’aux privilégiés. Et évidemment, le condor, oiseau favori des nomades, ne figure pas dans ces arts.

De telles pensées vagabondèrent dans son esprit au lieu d’être formulées. Il était à nouveau seul, au milieu d’une dizaine de miliciens acariâtres, un mari trop dévoue à leur tête. Parmi ces hommes et femmes surarmés gambadait curieusement un chat à poil roux. Lequel lui grogna dessus inopinément. Triste acharnement du sort. Les nomades ne les aiment pas trop… Des animaux pour sédentaires, affirmait Salagan.

La grande blonde poussa Horis du pied.

— Agenouille-toi devant ton impératrice ! somma-t-elle.

— C’est elle qui fléchira devant moi, riposta le mage. Quand elle me suppliera de l’épargner… Vous ne serez plus là pour la protéger !

L’agresseuse voulut le cogner davantage, mais Bennenike arrêta son geste d’un signe de la main. Après quoi elle se leva de son trône, dominant ses sujets d’une hauteur supplémentaire.

— Il suffit, Docini ! ordonna-t-elle. Tu t’es montrée assez brave. Je sais que l’inquisition s’y connait pour interroger ses prisonniers, mais je préfère m’occuper de lui à ma manière.

— Je connais enfin ton nom ! se réjouit Horis. Dois-je aussi te féliciter pour m’avoir vaincu ?

Docini ne réagit pas outre mesure. Elle préféra se mettre en retrait, conformément aux instructions de sa souveraine. Jamais sa main ne lâcha le fourreau de sa lame, ainsi imita-t-elle Badeni et chacun des miliciens présents dans cette salle. Eux n’incarnaient pourtant pas la plus grande menace. Celle-ci se dressait devant lui, triomphante, altière.

— Tu es arrogant et imbu de tes capacités, assena-t-elle. Beaucoup de mages se comportent ainsi d’ordinaire, mais la plupart tressaillent au moment où la sentence approche. Pas toi, visiblement. Quel est ton secret, Horis Saiden ?

— Je ne m’estime pas vaincu ! répliqua le mage.

— Alors tu es d’un optimisme effarant. Pour être honnête, au risque de te froisser, je n’ai entendu que de rares mentions de la famille Saiden. Peut-être était-elle importante, mais elle a été oubliée. Un avantage indéniable pour te cacher.

— Vous avez tout oublié. Associer un nom à tous ces visages susciterait de l’empathie.

Des yeux se plissèrent. Des doigts s’enserrèrent sur des manches d’armes. Des visages s’enflammèrent. La milice parlait pour l’impératrice, qui faillit ne pas être impactée, cillant à peine en réponse de cette remarque. Votre vulnérabilité est flagrante. N’essayez pas le dissimuler, Bennenike l’Impitoyable.

— Je me doute qu’avoir ordonné un génocide ne me vaut pas d’être appréciée de tous, reconnut-elle. C’était un moindre mal. Un sacrifice nécessaire pour sauver bien plus de vies.

— Vous vous enfoncez dans votre absurdité…, critiqua Horis. Les mages ne sont pas des meurtriers. Ils ne méritaient pas d’être exterminés en raison de leur nature même !

— Tous les miliciens que tu as massacrés témoignent du contraire.

— Ils méritaient leur sort, je ne regrette rien !

— Eh bien, tu n’as pas peur des représailles. Je comprends ce que tu ressens, Horis. Vraiment. Tu as accumulé beaucoup de frustration et tu libères ta colère. En ce sens, tu me ressembles. Parce que j’ai procédé comme toi quand l’heure était venue de purifier l’empire. J’ai ordonné leur mise à mort pour les générations futures, quitte à salir à jamais ma réputation.

Plus Bennenike palabrait, plus Horis peinait à rester immobile. Les liens favorisaient déjà cet état, et lorsque s’assombrit drastiquement son regard, l’ombre d’une hallebarde plana sur son corps meurtri.

— Achevons-le ! suggéra Badeni. Il ne nous apportera plus rien.

— Patience, conseilla la tyrane. Lui qui tenait tant à me rencontrer, je lui rends service.

— Je veux surtout vous voir morte, méprisa Horis.

— La réalité est plus nuancée que tes opinions. Tu ne peux pas résumer mes importantes décisions à la purge des mages. J’ai aboli l’esclavagisme pour offrir une nouvelle vie à tous ces exploités. J’ai augmenté les patrouilles sur les routes, pour que voyageurs et marchands soient moins attaqués par des bandits. J’ai investi dans l’agriculture, pour que les cultures de riz et de maïs à l’est au sud de l’empire puissent nourrir la totalité des citoyens. J’ai fait construire des logements dans les quartiers défavorisés d’Amberadie pour aider les pauvres.

— Entre ces mesures et la réalité, il y a un monde. Votre ignorance ne me surprend pas. Les mages appartenaient à toutes les catégories sociales ! Ils étaient des esclaves, des marchands, des voyageurs, des agriculteurs, des démunis ! Et vous n’avez pas eu la moindre once de pitié !

Badeni lui flanqua un coup de poing en pleine figure, ce contre quoi Docini se renfrogna. L’inquisitrice aimerait me tabasser une fois encore, je suppose ! Tandis qu’il crachait une gerbe de sang, tandis qu’une douleur lui vrillait le tympan, Horis aperçut le mari de l’impératrice gagner sa hauteur. Ils ont le même regard. Ils vont bien ensemble, en fait.

— Badeni a raison, accorda-t-il. On ne peut rien apprendre de lui.

— Ne renonçons pas si facilement, Koulad, contredit Bennenike. N’étais-tu pas le premier à dire qu’il avait des alliés ?

— Il s’est vanté d’avoir tué un autre milicien sur son chemin, rapporta Badeni.

— Ah oui ? Et il n’a pas dévoilé qui, je suppose ? C’est vrai que certains miliciens ont disparu à l’ouest…

— Si je puis me permettre, chef, c’est assez vague. Amberadie se situe plus à l’est qu’à l’ouest du territoire, après tout.

Ils vont faire le lien… Je dois impérativement fermer ma langue. Sinon mon clan sera en danger ! Pourvu qu’ils soient loin, réfugiés dans les hauteurs, là où personne n’irait les rechercher… Ces craintes obscurcirent la vision du mage. À chaque seconde s’amplifiaient ses frissons. Un constat apte à faire poindre des sourires sur plus d’un faciès.

— Quand la langue se ferme, le corps se révèle, dit Bennenike. Réfléchissons ensemble. Peu d’exilés seraient assez désespérés pour retourner dans l’Empire Myrrhéen. Ce qui signifie qu’il s’est terré pendant huit ans à l’intérieur. Qu’il a eu un endroit où se dissimuler, à l’abri des lois et de ma milice. Des gens, devenus des criminels, l’ont donc couvert durant tout ce temps.

Igdan, Salagan, Yuma, tous les autres... Pardonnez-moi. Même les montagnes d’Ordubie ne sont plus sûres. Une réponse brûlait indubitablement dans les lèvres de l’impératrice. Mais ce fut pourtant Koulad qui s’imposa :

— J’y repensais…, songea-t-il. Je connais ce nom, Saiden. Ce Horis a peut-être un lien avec Olni et Kardus Saiden. Ils étaient très influents parmi les mages d’Ilhazaos. L’une des premières cités dans laquelle mon oncle est allé…

— Attendez…, releva Horis. Comment s’appelle votre oncle ?

— Nerben Tioumen, dévoila Koulad. Ancien chef de la milice. J’ai hérité de son titre lorsqu’il a pris sa retraite.

Un rire nerveux s’empara subitement du mage. Il se tordit tant et si bien qu’il faillit basculer à terre, sous la perplexité de tout un chacun. C’était semblable à un son strident, répandu tel un écho, qui emplissait jusqu’à chaque coin de la salle. De quoi glacer les veines de ses occupants.

— Votre sinistre destinée est-elle si drôle que cela ? ironisa Bennenike.

— Croyez-vous aux coïncidences, impératrice ? fit Horis, hystérique. Votre nouveau mari, Koulad Tioumen, est le neveu de l’homme qui a massacré toute ma famille !

— L’un a résisté, déplora Koulad. Un peu décevant pour quelqu’un qui se vantait d’éliminer efficacement la vermine mage.

— Oh oui, je me souviens bien de lui… Ses yeux gris, son crâne brillant, sa cape rouge vif… Son mépris pour la vie humaine. J’étais là quand il a décapité mes parents. Je l’ai vu aussi incendier les maisons, dont celle où mon frère a été brûlé vif. Et ma petite sœur, alors… Elle n’était qu’une enfant, elle n’était même pas mage ! Pourtant il souriait au moment où il l’a égorgée. Souvent, dans mes rêves, son visage me hante encore. Le seul moyen de chasser cette vision est de massacrer cet homme. Peut-être est-il plus accessible que je ne le pensais. J’avais perdu espoir. Amenez-le moi, que je lui arrache sa tête !

— Tu es sourd ou quoi ? Je t’ai dit que Nerben prend sa retraite loin de tout. Il n’a plus l’âge d’éliminer les parasites comme toi. Et puis…

Aussitôt l’impératrice agrippa son époux par le cou. Ses traits se durcirent comme elle le dévisagea avec acrimonie.

— Ton oncle a égorgé une enfant ? accusa-t-elle.

— C’était un dommage collatéral…, justifia Koulad. Elle serait devenue mage si elle était restée en vie !

— Un dommage collatéral, c’est ainsi que tu qualifies la vie d’une innocente ? Son destin n’était pas tracé d’avance. Certains perçoivent les miliciens comme des monstres à cause de ce genre d’actions ! Envoie une lettre à Nerben. Je vais devoir m’entretenir avec lui.

— De grâce, votre excellence, arrêtez ! implora Badeni. Horis sème le trouble parmi vous, c’est sa stratégie !

Bennenike libéra Koulad de son emprise, non sans lui couler un coup d’œil contempteur. Celui qu’elle jeta à son prisonnier s’avéra de la même teneur.

— Je ne t’ai pas oublié, Horis Saiden, affirma-t-elle. Ta petite sœur était sûrement innocente, auquel cas je suis désolée pour elle. En revanche, pour avoir tenté de m’assassiner, pour avoir tué une dizaine de mes miliciens, tu mérites de souffrir. Et je connais un alchimiste qui dispose des outils pour te faire avouer… Badeni, reconduis-le à sa cellule ! Qu’il pourrisse dans sa solitude une bonne semaine avant de goûter au supplice. Si jamais tu as envie tu pourras aussi emmener Ghanima là-bas.

Badeni s’exécuta si vite que le mage n’eut pas l’opportunité d’examiner une dernière fois ses adversaires. Avait-il raté son unique chance ? Avant de sombrer dans pareille négativité, il s’inclina dans l’escorte de la garde du corps, quittant cette lumière qu’il avait tout de même réussi à imprégner.

Ce n’est pas fini. Je trouverai un moyen de sortir. Je serai plus prudent quand viendra l’heure de ma véritable vengeance.

Je me libèrerai de mes chaînes.

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