Chapitre 3 : Nomades et exilés (2/2)

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Une agréable brise tutoyait les sommets, serpentait entre herbe et roches. Horis ne percevait guère davantage, claquemuré dans la contemplation de son environnement. Salagan l’abandonna dans solitude, jugeant judicieux de ne pas prolonger le dialogue outre mesure. Une moue chagrinée distordait sa figure pendant qu’il rebroussait en direction du campement.

La bonne volonté ne fait pas tout. Même lui ne veut pas comprendre.

D’abord Horis se vautra dans son immobilisme. Comme s’il avait guetté cet instant, à méditer présent et passé, à se questionner sur chacun de ses choix. Tout moment de détente se heurtait inévitablement à une fin.

Un cri incongru résonna. Le jeune mage bondit en sa provenance, guettant à vive allure.

Il repéra le danger, embusqué à quelques centaines de mètres. Près d’une roche anthracite geignait un malheureux lévrier… Le compagnon d’Igdan, fils de Salagan, aux prises avec des ennemis trop familiers. Il les identifia à leur lance ou hallebarde argentée. À leur étincelante broigne mêlée de rouge et de noir. Les serviteurs de la tyrannie. Je l’avais pressenti. Personne ne m’a écouté ! À eux de souffrir, maintenant.

Igdan faillit chuter sur la roche. Son cimeterre ensanglanté glissait entre ses doigts humides : le cadavre d’un de ses agresseurs gisait à ses pieds. Lui qui avait prôné la paix depuis qu’il l’avait connu était forcé d’affronter des inconnus. Un air juvénile transpirait en lui, cohérent avec la sueur sur son front, ce malgré sa blonde queue de cheval, supposé symbole de guerrier. Il n’est pas prêt. Je le suis.

Horis s’interposa entre ami et ennemis. Aussitôt des ondes magiques tournoyèrent autour de ses doigts, se transmirent dans l’air, bloquèrent la trajectoire de l’arme.

— C’est le mage que nous recherchions ! hurla une milicienne. Abattez-le !

Dès la paralysie de l’acier, piégée aux confins d’un flux grandissant, le mage sourit à la stupéfaction des miliciens. Il renvoya la lance vers l’envoyeuse et lui transperça la poitrine. Elle succomba dans les secondes à venir.

Des grognements s’amplifièrent. Parfait. Ils vont perdre leurs moyens. Les miliciens eurent beau s’échiner, une égide hyaline entravait leurs assauts répétés. Se déploya une seconde paume, vectrice d’une vibration circulaire, qui projeta un milicien le long de la pente. Il s’écrasa sur des rochers plus bas, victime de l’implacable gravité.

Vous êtes surpris, hein ? Vous vous croyez capables de vaincre les mages sans difficulté avec vos capacités ? Détrompez-vous !

Une ennemie manqua de lui couper le bras. Sitôt menacé que Horis pivota, désaxa sa hallebarde. Ce lui consuma le torse d’un incandescent rayon de lumière qui perça son équipement.

Si l’effectif se réduisait, si le mage se fondait à bon rythme, son ultime adversaire plongea sur lui, prêt à lui faucher la jambe. Horis était maintenu au sol, ralenti, ses bras écrasés par la pression de l’homme. D’haineux yeux se plissaient au-dessus de lui. Planait l’ombre de la hallebarde, luisant d’argent : d’or il dormait si dorénavant il cessait de lutter. Mais il puisa dans son environnement. Réveilla sa force. Et une fraction de secondes, il se libéra de l’étreinte. Un poing saturé de flux traversa le corps de son ennemi. Une preste roulade l’empêcha alors d’être écrasé.

Ainsi se releva-t-il par-devers son ami. Il était essoufflé, harassé, ensanglanté. Presque méconnaissable. Pourtant plus en forme que jamais.

— Merci de m’avoir protégé, dit Igdan, transit de tremblements rémanents.

— Tu les as bien entendus, rétorqua Horis. C’est moi qu’ils cherchaient. Ils m’ont trouvé, après toutes ces années. Et si je n’étais pas intervenu, tu aurais pu être tué. Jamais je n’aurais pu me le pardonner.

Igdan ne put simplement hocher. Car à ses pieds se trouvait la dépouille de son compagnon. Une entaille profonde marquait les côtes du pauvre animal. Son propriétaire ferma ses paupières et caressa sa tête une dernière fois. Des sanglots lancinèrent les tympans du mage.

— Ranuk était fidèle, jeune et vigoureux, se lamenta-t-il. Pourquoi des animaux innocents doivent-ils subir la folie des êtres humains ?

— Il a été vengé, assura Horis. Et pour que d’autres ne subissent pas le même sort, il faut que…

Un jeune homme mince, à la peau noire et au crâne rasé observa la scène d’un point plus élevé. Il haussa les sourcils en assistant à la débâcle. Ceci explique cela.

— Whalis ? s’étonna Igdan. Que fais-tu ici ?

— Je n’avais pas le choix ! se justifia Whalis. Ils ne devaient pas s’en prendre à toi, je te le promets !

— Tu ne les avais pas repérés lors de ta patrouille, ça peut arriver à tout le monde. Inutile de chercher un responsable.

— Tu n’as rien compris, Igdan. Whalis les avait bien repérés. Il les a amenés jusqu’ici.

Le fils du chef se figea, bouche bée, bras ballants. Si quelques doutes flottaient sur la figure de Whalis, Horis n’en ressentait aucun. Il serra les poings tout en foudroyant férocement l’éclaireur du regard.

— Il reste à savoir pourquoi, enchaîna le mage. Tu as intérêt à avoir une explication valable. Je me demande comment Salagan aurait réagi s’il avait dû enterrer son propre fils.

— Tu me juges, maintenant ? répliqua Whalis. Qu’as-tu fait pour être le protégé de la tribu ? J’en ai assez de risquer ma vie !

— Alors tu mets en danger celles des autres ?

— Je n’avais pas le choix ! Maintenant que les miliciens ont massacré les mages à l’est et l’ouest, ils vont les traquer dans les montagnes centrales ! Ils étaient aux pieds des monts, j’ai négocié avec eux. Ta vie en échange de la survie de la tribu… Tu aurais fait le même choix à ma place !

— Un groupe de miliciens… L’impératrice est donc informée de ma présence en Ordubie ?

— Je l’ignore, il s’agissait d’un groupe isolé.

— Peu importe, pauvre idiot ! N’as-tu jamais écouté Salagan ? L’empire hait autant les nomades que les mages ! Ils auraient aussi attaqué la tribu !

— Avec leur nombre incroyable de cinq soldats ?

— Ils auraient appelé des renforts !

Impavide, résolu, Whalis se plaça à hauteur du mage, pour mieux l’affronter du plus profond de ses yeux. Des rafales d’intensité croissante firent onduler leurs vêtements, sans ternir quelque intention en eux.

— Ça suffit ! tonna Whalis. Mages et nomades ne sont pas égaux face à la tyrannie. Jamais, de toute mon existence, je n’avais croisé de milicien, avant ceux-là ! Ils sont venus pour toi. Si Salagan, par excès de générosité, ne t’avait pas recueilli, nous n’en serions pas là aujourd’hui !

— Ne parle pas ainsi de mon père ! défendit Igdan, ne s’interposant qu’à moitié.

— Je vois ce que tu insinues, dit Horis. Ma famille venait d’être exterminée. Ma ville natale brûlée. J’ai erré dans le désert des heures durant, esseulé, tout espoir perdu. Je serais sans doute mort si Salagan ne m’avait pas recueilli. Il m’a redonné le goût de vivre malgré lui. Il m’a offert un nouveau foyer.

— Il n’aurait pas dû. Au moins la plupart des mages survivants ont eu la décence de quitter le pays. Ils ont compris que le danger qu’ils représentaient.

— Tu as bien dissimulé tes opinions durant toutes ces années. Il existe des mages dans d’autres tribus, et aussi dans la nôtre ! Aurais-tu oublié Yuma ?

— Yuma est différente, et puis, il ne fallait pas décevoir le chef ! Oui, Horis, je ne t’ai jamais considéré comme un des nôtres. Peut-être qu’il y a des mages dans les autres tribus, mais je m’en fous ! Les nomades sont des meilleurs citoyens que les mages ne le seront jamais. Nous, au moins, ne sommes pas capables de tuer en un claquement de doigts.

— Tu es en train de justifier le massacre des mages ?

— Entre eux et les nomades, j’ai fait mon choix ! Je les protègerai jusqu’à la…

Des puissantes flammes enveloppèrent l’éclaireur. Whalis brûla dans le sourire de l’un et le cri effaré de l’autre. Une dépouille noirâtre fut extraite de l’amas incandescent, au-dessus de laquelle s’exhalèrent des volutes de fumée.

— Tu l’as assassiné ! s’indigna Igdan. De sang-froid ! Digne d’un membre de la tribu Lanata !

— Il avait confessé son crime, se disculpa Horis. Tu l’as entendu comme moi. Il s’est vendu à l’ennemi, lequel a ensuite essayé de nous tuer.

— La tribu l’aurait jugé autrement. Nous valons mieux que l’empire, nous ne tuons pas les nôtres, même les traîtres ! Surtout pas en les brûlant vif.

— Alors je suis banni. Préviens ton père.

— Pardon ?

— Raconte ce qu’il s’est passé. Enterre ton chien, le seul mort ici qui mérite une cérémonie. D’ici là, je serai loin.

Une lueur persistante rayonnait. Par-delà les voûtes pointues, Ordubie triomphante, s’étendait un monde qu’il avait abandonné voici des années. Il contempla son œuvre : cadavres transpercés ou calcinés, il les avait tous occis. J’assume ce choix. Ce n’était qu’un début.

— J’y songeais depuis un moment, murmura Horis. Je savais que ce jour arriverait, il a juste été retardé.

— Tu appartiens à cette tribu depuis huit ans ! protesta Igdan. Nous t’avons accueilli à bras ouverts.

— Huit ans de trop. Whalis avait raison. Je vous mets en danger, juste parce que je me cache parmi vous. Je me suis entraîné. Je suis devenu plus fort. Ma décision est prise.

— Quelle décision ?

— L’empire craint les mages ? Je vais leur donner raison. Transmets mes remerciements à Salagan et Yuma. Ce que j’aurais dû faire depuis longtemps.

Horis s’orienta vers sa destinée. Sans provision, ni préparation, il enjamba les cadavres, paré à en semer une pléthore d’autres sur son passage. Il est plus que temps de me venger.

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