Chapitre 2 : Assassin de l'impératrice (1/2)

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NAFDA


Le sang. C’est ce que tous réclament.

Installée à mi-hauteur, elle disposait d’une vue globale sur l’événement. Ses yeux émeraude étincelaient sous sa capuche brune, en-dessous de laquelle s’effaçait son visage. Par son teint ébène de peau, par sa chevelure noire et lisse attachée en chignon, par son nez busqué et ses traits fermes, par sa sveltesse, Nafda se distinguait peu de la masse. Même sa tunique souple et légère, renforcée de protections en cuir jusqu’à ses guêtres à boucles, ne reflétait pas son rôle. Là se situait précisément son objectif.

Invisible pour gagner en efficacité.

Nafda sourit. Non parce qu’elle ne constituait point le centre de l’attention, mais parce que son modèle pénétrait dans l’arène. Des oriflammes dansaient au sommet de la dizaine de poutres cerclant l’amas de sable. Tous les yeux étaient rivés vers la seule, l’unique, la plus puissante personne de ce territoire. L’impératrice Bennenike Teos, dite l’Impitoyable.

Un silence cérémonial l’accueillit. Elle marchait sans hésiter vers son but. Droite, déterminée, décidée. Jamais elle ne se courba sous l’astre diurne au zénith. Jamais elle ne se détourna face à la teneur de sa mission. La dirigeante générait sa lumière quand tant d’autres se tapissaient dans l’ombre. D’une soie ocre brillait sa tunique finement cousue, boutonnés à ras le cou. D’un doré majestueux scintillaient ses anneaux attachés à ses bras ainsi que ses sandales. D’écarlate luisait sa cape qui soutenait ses pas. D’écru rayonnaient son pantalon comme son collier sur lequel des petites lames étaient incrustées. De grande taille, de gabarit mince, son assurance extériorisait son aura, sa posture exprimait sa force. D’épais cheveux noirs, aux mèches bouclées, cascadaient jusqu’au bas de son dos, s’accordant à sa carnation sombre et à l’intensité de ses yeux bruns. Face à la cheffe suprême, nombreux furent les spectateurs à s’incliner, à scander son nom. Et surtout à souhaiter qu’elle exécutât la sentence.

Sa cible patientait devant elle. Cette femme hâlée et d’âge moyen ne frissonnait pas, ce alors que son impératrice s’approchait à chaque instant. Moult cloques et plaies dégoulinant sur ses haillons grisâtres rappelaient pourtant sa condition. Courageuse ou téméraire ? Personne ne défie Bennenike. Elle doit inspirer la peur… La preuve ultime de sa puissance.

Bennenike s’arrêta à hauteur de sa prisonnière. Toutes deux se fixèrent sous l’action du vent modéré. Alors la despote sortit une lame ciselée, à la pointe affûtée, aussi incapable d’arracher un tressaillement à la prisonnière.

— Dioumekai Ouné, lança-t-elle d’une voix souveraine. Tu as été reconnue coupable de pratique de la magie et de trafic d’enfants. Ton jugement a déjà été scellé. Rien de ce que tu affirmeras ne pourra te soustraire à ta condamnation. Néanmoins, as-tu quelque chose à ajouter ?

— Je les protégeais de vous ! hurla Dioumekai.

— Malgré toutes tes lacérations, tu parviens encore à crier ? Voilà qui est impressionnant. Tes crimes n’en demeurent pas moins ignobles.

— Les enfants de mages… Oh, bien sûr, votre purge ne désirait pas les tuer, quoique certains aient été victimes de dommages collatéraux… Mais l’empire leur a tournés le dos.

Le public hua massivement Dioumekai, laquelle ne se courba guère face à ce lynchage. Elle foudroya même les spectateurs du peu d’intensité subsistant dans son regard.

— Parce que tu dirigeais un orphelinat, tu t’en estimais digne ? vitupéra Bennenike. Je connais la nature des mages. Épurateurs, esclavagistes, au sang contaminé par ce flux malfaisant. Je me montre encore plus intransigeante quand des enfants sont impliqués. Ils sont la pureté incarnée et doivent être protégés de leurs maléfices, je m’en porte garante.

L’impératrice s’orienta quelques instants vers les spectateurs impatiens :

— Les prisonniers sont en sécurité ! rassura-t-elle. Ces filles et fils de l’Empire Myrrhéen grandiront dans un environnement serein, loin de toute influence néfaste !

Des applaudissements retentirent des estrades jusqu’à l’arène. La milice a libéré ces enfants, mais ils luttaient au nom de notre maîtresse. J’aurais voulu être présente quand ils ont égorgé ou décapité les félons qui accompagnaient Dioumekai.

Ma patience sera bientôt récompensée. Mon heure arrive.

— Calomnies ! cracha la captive. Je ne peux que pleurer face au culte aveugle qui vous est adressée, impératrice. Huit ans de malheur. Huit ans à se cacher, à craindre son voisin, à s’enfermer dans la peur.

— Le vent a tourné en votre défaveur, répliqua la souveraine. Évoquer un culte à mon égard semble bien ironique, vu comment vous flagorniez mon père à l’époque où son emprise a affaibli notre patrie.

— Vous êtes bornée… Tuez-moi donc, je ne crains point la mort. Je suis juste attristée pour ces enfants que j’ai protégés ces années durant. Ils deviendront vos esclaves.

— L’esclavage est une tradition archaïque que je m’efforce d’éradiquer. Amberadie en est presque débarrassée, hélas elle subsiste encore à Nilaï et Kishdun. Ces enfants seront libres, mangeront à leur faim, dormiront dans des lits décents. Ils seront éduqués, bâtiront l’avenir de notre glorieux empire. Vous, en revanche…

Bennenike s’éclaircit la gorge et dressa sa lame qui miroita aussitôt les rayons solaires. Pas un instant Dioumekai ne cilla. Pas un instant elle se morfondit face aux invectives du public. Elle haussa le chef en embrassant sa fatalité.

— Je vous condamne à la sentence du saignement, Dioumekai Ouné !

Sur ces mots, l’impératrice appliqua son arme sur les membres de la prisonnière, avant de tracer une croix sur son torse. D’une demi-douzaine de filets longilignes jaillit du liquide vermeil. Comme Dioumekai se vidait de son sang, le sourire de son exécutrice s’élargit. Elle avait beau grincer sous la géhenne, elle avait beau se voûter vers l’inévitable, elle ne s’autorisa qu’une larme vers l’inatteignable. Ainsi les ovations conclurent l’exil et la traîtrise. Une mort manquant de propreté, c’est certain. Mais elle servira d’exemple.

Bennenike appela deux gardes qui se précipitèrent pour détacher la dépouille et l’enterrer sans honneur. Suite à quoi elle disparut dans l’opacité des tribunes, forte de cette démonstration. Le sable était souillé du sang d’une autre mage, néanmoins il en restait un certain nombre, dissimulés aux quatre coins de l’empire. Après la purge suivait une épuration plus subtile. Mais tout aussi dangereuse.

Nafda s’éclipsa dans la direction opposée des spectateurs.

Elle était une silhouette invisible au cœur d’Amberadie, capitale de l’Empire Myrrhéen. Sa voie la cornaqua vers le Palais Impérial, bien à l’écart des demeures limitrophes, à la convergence des pouvoirs. Ses immenses fondations s’étendaient sur des centaines de mètres. Des tours au sommet voûté, nuancée d’ocre, dominaient cet environnement où coalisaient nature et architecture. Au-delà du jardin de palmiers et d’orangers, que d’épaisses haies délimitaient, des colonnades de marbre surmontaient les frontons dorés. Chaque intrigue se déroulait à l’intérieur de ces murs en plâtre blanc, en-deçà des ondulations mordorées des balcons.

La jeune femme devait assumer son rôle. Elle paraissait certes minuscule face à la richesse de l’autorité myrrhéenne, toutefois guère davantage que la population des lieux. Des centaines de nobles, gardes et servants baguenaudaient en effet d’un couloir à l’autre, parmi lesquels Nafda aurait pu se méprendre à une intruse. Mais une seule personne la recevrait et l’autre la guiderait.

Elle m’attendait. Nous nous ressemblons un peu, maintenant que j’y pense. Sauf qu’elle était surtout motivée par la vengeance. Mes ambitions sont à la fois plus subtiles et plus générales. Badeni, capitaine de la garde, se tenait par-devers la paire de piliers au cipolin, hallebarde argentée au poing. Des nuance ébènes et carminées s’assemblaient sur son ample brigandine tandis qu’un casque en bronze camouflait ses franges châtaines. Si elle et Nafda partageaient la même tonalité d’iris, Badeni avait un teint de peau basané, traduisant ses origines du nord-ouest de l’empire. Son équipement enveloppait chaque parcelle de peau hormis son cou et son visage, cependant, Nafda discernait quelques marques d’un œil inquisiteur. Des cicatrices de son passé d’esclave. Bennenike s’en sert souvent comme exemple pour parler de la cruauté des esclavagistes, et par extension des mages.

— Nafda, reconnut-elle. Après toutes ces années à vivre dans l’ombre, je te rencontre enfin.

Aussitôt la capitaine se saisit du poignet gauche de Nafda, qu’elle effleura de son index. Quel est ce geste ? Sans doute une coutume de sa région… Je suis difficilement placée pour savoir. La jeune femme arqua les sourcils tout en dévisageant son interlocutrice.

— Ne soyez pas si impressionnée, tempéra-t-elle. Je suis juste une ombre.

— Pourtant, nous avons de nombreux points communs, et je suis sûre que vous en êtes vous-même consciente. Au-delà de notre loyauté. Au-delà de nos souffrances passées. Notre bien-aimé impératrice nous a sauvées. Elle nous a offert un futur que nos rêves les plus optimistes n’auraient jamais prédit.

Nafda opina du chef. J’en sais davantage sur elle qu’elle sur moi. Que cela reste ainsi : ma mission est importante, pas mon passé.

— J’entends d’ici les échos de ses détracteurs, reprit Badeni. D’aucuns la qualifient de génocidaires à cause de sa loi sur les mages. Il était nécessaire de les sacrifier pour sauver le reste du peuple myrrhéen ! Mais tu en es déjà convaincue, n’est-ce pas ?

— Évidemment. Sinon je ne serais pas ici.

— Alors suis-moi. C’est avec Bennenike que tu dois t’entretenir, et je vais t’y conduire dès à présent. Je ne suis pas juste sa garde du corps, mais aussi sa confidente, et son amie. Puisses-tu entretenir autant de proximité avec elle.

Comme promis, Badeni s’engagea dans ce dédale de tapisseries et de carreaux de faïence, qui s’étiraient par milliers sur plusieurs ailes et étages. Nafda admira peu l’ameublement luxueux à travers lequel elle cheminait. Elle gardait aussi une certaine distance avec la capitaine, ce malgré la proximité que cette dernière avait tenté d’installer. Ni les mosaïques octogonales, chamarrées d’une variété de teintes chaudes, ni les motifs courbés muraux ne retinrent son admiration. D’une façon pragmatique, elle se contenta de retenir le chemin qui la menait jusqu’à son impératrice.

Elles l’atteignirent après plus d’une dizaine de minutes de marche. Les portes massives s’ouvrirent au creux de ses ambitions. Son impératrice s’imposait davantage sur ce siège doré, incrusté d’émeraude et de lapis, par-delà une série de marches en argent. Elle était appuyée sur un dossier émaillé de courbures, un chat roux ronronnant sur ses genoux. Ornementations d’armes, de rapaces et d’acacias décoraient le mur et le plafond courbés. Pourtant cet espace immense ne réduisait en rien la grandeur de Bennenike. C’est comme si ce trône avait été sculptée pour elle.

Nafda et Badeni posèrent un genou à terre une fois proches de leur souveraine.

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