Chapitre 32 : vérités

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Joren attacha ses cheveux ébouriffés et se pencha en avant pour mieux frotter la crosse de son arme. Mécaniquement, il aligna les balles et le barillet puis secoua un tissu duveteux d'un geste vif. Des particules de poussières s'élevèrent dans l'air. Délicatement, il prit entre ses doigts une vis et le poussoir pour mieux les positionner sur la table, parmi les autres pièces détachées. Il renifla, dérangé par l'odeur d'huile qui flottait autour de lui. Depuis plusieurs heures, il s'activait à démonter les armes pour mieux les nettoyer.

— Votre Altesse ? fit la voix de son capitaine derrière son dos. Nous sommes prêts.

— J'arrive.

Il déposa les pièces soigneusement devant lui et quitta la salle d'armes.

Dehors, il entendait les cris des marins chargés de descendre une cargaison à quais. Le vent du large faisait flotter les bannières or et azur, il observa ces dernières d'un œil désabusé.

— Vous êtes de mauvaise humeur, Votre Altesse, remarqua le capitaine en marchant devant lui.

— Oui.

Joren marmonna quelque chose pour lui-même et suivit son chevalier.

La veille, Giselle de Madalberth avait cogné à sa porte, au beau milieu de la nuit. Il s'était réveillé péniblement, ayant pour une fois réussit à trouver le sommeil. Il trouva la jeune femme échevelée et avec une pile de documents sous le bras. Ses yeux gris luisaient comment des hématites polies.

— J'ai lu et relu les rapports qui concernent mon bannissement..., avait-elle commencé sur un ton froid et tranquille, et effectivement, les preuves sont tout à fait vraies. 

Il avait sourit,  décelant sous son attitude calme la flamme d'une fureur brulante,  si chaude qu'elle en était devenue blanche.

— Je savais que vous alliez remarquer cela au premier coup d'œil, avait-il dit en baillant.

— Je pensais que vous étiez levé. 

— Non, mais ce n'est pas grave... Je comprends.

— Ces preuves ont été disséminées depuis presque le début de la création de mon dossier médical. Cela remonte à des années ! Et cette manière de faire, je l'ai trouvée également dans les rapports sur le décès de Carolina. Il y a... Je ne sais comment le dire... Une méthodologie similaire...

— Une même façon de faire ? Ce serait le même faussaire ?

— Oui, je pense. La même personne qui aurait commandité et fabriqué les pièces. Evidemment, l'imprimeur Oskar Trarium n'est qu'un jeton parmi d'autres. Mais c'est la même tête pensante, vous aviez raison.

Joren détailla Giselle, qui parlait avec animation. En quelques semaines, elle était devenue elle-même une faussaire de talents. 

— Seriez-vous capable d'identifier l'écriture de Carolina ? demanda-t-il.

— Oui, bien sûr. Pour quelles raisons ? 

— Juste une idée, répondit-il évasivement.

Les deux sourcils de la jeune femme se froncèrent, lui donnant un air renfrogné. 

— Savez-vous pourquoi cette machination a été montée contre moi ? questionna-t-elle soudain avec force. Soyez sincère.

Joren décroisa les bras :

— J'ai à présent une vague idée mais je ne vous en ferai pas part. Pas pour le moment.

— Et pour quelles raisons, s'il vous plaît ?

— Parce que, Mademoiselle de Madal... Ilda Roding, je me méfie de vous et de vos capacités. Je sais que vous cherchez à vous venger alors que je vous ai demandé de me faire confiance. Je suis un homme de parole, vous pouvez compter sur mon soutien.

— Je n'ai que faire de votre soutien. Personne ne sait que j'ai le mouchoir en ma possession. Une fois que l'analyse sera terminée, je pourrais reprendre ma route sans être inquiétée. Vous le savez fort bien et c'est pour cela que vous souhaitez me garder ici.

Les mots de la jeune femme lui vrillèrent les tympans. 

— Dieux, je vais regretter de m'être levé...

— Je me fiche de vos regrets, lança Giselle d'un ton acerbe, je souhaite seulement une réponse honnête.

— Que vous n'aurez pas. 

Pour la première fois, il vit l'énervement s'afficher sur son visage, ses lèvres se pincèrent et ses yeux brillèrent d'avantage.

— Je connais la colère qui vous anime. Je l'ai déjà vu, chez d'autres personnes. Vous êtes habitée par la violence et le ressentiment. Tout à volé en éclat, on a écrasé votre vie, vos principes, votre valeur... Dans votre état, je n'ai aucun doute de votre capacité à tuer quelqu'un.

— Je vous assure que je suis bien incapable de tuer qui que ce soit. C'est tout à fait hors de propos.

— Je n'en crois pas une seule seconde. Dès que je vous ai vu, j'ai compris que vous aviez les nerfs pour cela. 

— Je ne répondrai même pas à cela, dit-elle d'un ton hautain, tant votre réflexion est absurde. Vous avez choisi de me laisser sans réponse ? 

Sa voix était chargée de reproches. Joren annonça : 

— Je vous assure, Mademoiselle, que ceci est pour votre bien. Et avant que vous ayez quoi que ce soit à me blâmer, sachez que je suis certain que vous trouverez vous-même l'idée que j'ai en tête. Je vous laisse bien évidemment les documents...

— Vous m'aviez dit que vous vouliez que nous discutions de tout cela...

— Et nous l'avons fait. Je voulais votre avis sur la question et je l'ai eu. Tout ces fonctionnaires corrompus, c'est terrible, n'est ce pas ?

Un frisson parcourut Giselle.

— Je n'ose imaginer ce qui se trame réellement, ni vers quoi Dalstein s'avance.

— Oui, notre pays manque de figures fortes, ces derniers temps.

Il lui glissa un regard au coin, elle demeura songeuse, soudain calmée. Un sourire passa sur son visage.

Elle finit par relever la tête, ses boucles s'agitèrent :

— Sachez que je vous en veut, de ne pas me dire la vérité. Cela me blesse car vous savez à quel point je souffre ne se pas savoir.

Le coeur de Joren se serra, il ne s'était pas attendu à une tel aveu. Un sentiment de culpabilité l'envahit car il vit effectivement la douleur dans ses prunelles. Il se mit à grogner :

— Ecoutez, vous n'ignorez pas que je suis une personne qui n'aime pas faire souffrir inutilement les autres. N'essayez pas de m'attendrir le cœur. Je vous ai dit ce que j'en pensais.

— Et vous, ne tentez pas de vous servir de mon amour pour Dalstein afin de faire de moi l'un de vos soutien !

Il grimaça, elle avait deviné. 

Elle se redressa de toute sa petite taille, raide comme un piquet :

— Je vous ai entendu, je vous laisse. Je reviendrai vers vous une fois que j'aurai trouvé. Avec ou sans votre aide. Que Ménée veille sur vos nuits.

— Et qu'elle veille sur les vôtres.

Elle tourna les talons et partit dans le couloirs, les hanches glissant sous sa chemise de nuit au rythme de ses petits pas pressés.

De nouveau seul, il s'était précipité dans son lit, sans pouvoir retrouver le sommeil. 

Ménée s'est vengé pour elle...

Il s'était tourné entre ses draps et ses yeux remplis de détermination lui revirent en mémoire. 

J'espère ne pas l'avoir trop blessée, pensa-t-il en sachant pourtant que le mal était fait.

Le cris particulièrement strident d'une mouette le tira de ses pensées, son capitaine l'observait, la mine songeuse.

Ils montèrent ensemble les marches et se dirigèrent vers une pièce qui leur servait de salle de réunion.

A l'intérieur, une grande table en bois, avec au centre un large globe terrestre. Quelques instruments de mesures trônaient sur des meubles au vernis écaillé et des cartes maritimes d'une autre époque tapissait les larges murs de pierre.

Des fauteuils et chaises dépareillées trainaient ca et là, preuves que leurs réunions devenaient de plus en plus fréquentes et qu'elles comptaient à chaque fois de nouveaux participants.

Danil ainsi que d'autres personnes étaient déjà installées. Joren salua ses invités. Il y avait là uniquement des personnes fidèles à sa cause : des militaires de différents grades, des nobles de provinces, des citoyens de toutes extractions, des fonctionnaires et quelques politiques. Il connaissait chacun d'entre eux, leur vie et leur histoire. C'était là les personnes les plus proches de son cercle, les plus au courant de ses projets et objectifs. Il les avaient choisi minutieusement et connaissaient la plupart depuis son adolescence. Plusieurs fois, ces derniers avaient prouvé être digne de confiance et d'une grande discrétion.

Très tôt, Joren avait comprit l'intérêt de se doter d'alliés loyaux et invisibles. C'était également leur intérêt, ses amis devenaient automatiquement la cible de ses ennemis. En outre, aucun d'entre eux ne visaient le pouvoir ou de contrepartie à le soutenir.

— Mes amis, salua Joren en s'installant à son tour. Je suis ravi de vous retrouver ici, même si nous ne sommes pas au complet. Quelles sont les nouvelles ?

Danil se leva, une paire de lunettes à la monture sertie de jades posées sur le nez : 

— Nous avons  relevé que plusieurs fonctionnaires impliqués dans l'affaire Madalberth ont soudainement démissionnés, d'autres ont été remerciés. Ils sembleraient que quelque chose ou quelqu'un les a forcés à s'éloigner de leurs fonctions.

— Hum..., songea Joren en se grattant la barbe., sans doute ont-ils été forcés de partir par leurs commanditaires... C'est étrange... ces personnes se sont montrées fidèles et discrètes jusqu'à aujourd'hui, pourquoi s'en séparer ? Et eux-mêmes, pourquoi ont-ils quittés les fonctions qu'ils ont difficilement acquises ?

— Quelque chose à dû se produire dans leur organisation, songea son capitaine. Il nous faut les garder à l'œil, pour voir si certains se feront éliminer d'ici les prochains mois.

Joren hocha la tête :

— Avez-vous enfin découverts qui étaient les responsables de l'enquête sur cette affaire ? Mon père n'a jamais voulu me dire qui était à l'initiative du dossier.

Un Marquis à la longue chevelure blonde qu'il connaissait depuis l'enfance répondit :

— Cela m'a prit du temps, je ne vous le cache pas... mais c'est le Premier Ministre, Votre Altesse. Il était assisté, comme nous le pensions, par le Ministre de la Justice et le Ministre des Cultes.

— Le Ministre de la Justice n'est pas en ma faveur, celui des Cultes est l'un de mes plus vieux soutiens. Quand au Premier Ministre... c'est un homme droit. Sans aucun doute, des traitres doivent infiltrer son cabinet. Il va falloir trouver un moyen de le prévenir.

— Pensez vous qu'il vous prendra au sérieux ?

— Si nous avons des preuves, oui.

— Je ferais de mon mieux, fit le Marquis en soupirant. Malheureusement, je dois avouer que nous avons encore peu d'alliés dans les plus hautes sphères...

Joren songea à Giselle et à l'influence de la famille des Madalberth. Un sourire se dessina sur ses lèvres.

— Nous trouverons un moyen... Je parie que certains se rappelleront de leur devoir. Certaines personnes ont le patriotisme dans le sans.

— Le Parlement sait que la famille Impériale est troublée, nous verrons ce qui ressortira à la surface quand la vase sera secouée..., dit Danil en s'appuyant contre le dossier de sa chaise. Cependant, il serait bon de savoir d'avance quelles familles et quelles régions nous soutiendra le moment venu.

—  J'ai confiance en ceux qui croient en moi, vous saurez vous faire entendre, dit Joren avec la plus sincère des convictions. Quelles sont les nouvelles, concernant la Papesse Hildegarde ?

Une femme d'un certain âge, portant son chignon serré et une robe démodée, répondit :

— Sa santé est toujours la même et son état est celui d'une dame de son âge. Son entourage le plus proche n'a pas changé, ses médecins non plus. Le personnel de la Sainte Citée Verte prends grand soin d'elle, nous avons nous-même du mal à trouver des renseignements tant sa protection est élevée.

— Ceux qui voudront sa mort feront passer la chose pour un accident. Elle arrive à peine à se maintenir debout...

— Certes, Votre Altesse... Mais je vous assure que tout est fait pour anticiper une telle chose. Chaque centimètre est scruté à la loupe : le tapis de sa baignoire, la taille des bouchées qu'elle avale, la cire utilisée pour les parquets du palais... Même l'eau de son bain est analysée minutieusement.

— Si j'étais à leur place, je la tuerais en un seul coup...

Danil toussota :

— Il leur suffirait pourtant d'attendre... Hildegarde est pratiquement impotente, sur Lykion, je parie qu'elle ne tiendra pas deux hivers de plus...

Joren secoua la tête :

— Non, quelque chose va se produire, j'en suis certain. Le conflit qui m'oppose à mes frères va s'aggraver, mon père est gravement malade et perds chaque jour le sens des réalités. Hildegarde me soutien depuis le début, elle a toujours connu l'Empereur et Carolina. Cependant, plus vite elle sera remplacée, plus vite la position de Damjan comme successeur se renforcera. C'est elle qui décidera de l'avenir de l'Empire si l'héritage est disputé. Lors de sa prochaine venue en Dalstein, inspectez sa route et chaque personne ayant un contact avec son convoi, de près ou de loin. Dites aux personnels chargés de sa sécurité que je met mon nom au service de sa protection. je ne suis pas encore excommunié ou mis aux fers par ma propre famille, malgré les soupçons qui pèsent sur moi, elle acceptera mon aide.

— Ses subordonnés trouveront la chose disproportionnée et pourraient au contraire juger cela suspect.

— Peu importe. Qu'en est-il de Garance ?

— La Cardinale Garance ne quitte pratiquement jamais le Palais Impérial et ses activités sont principalement liées à sa fonction. Sa popularité ne cesse de croître, surtout depuis qu'elle épaule Oriana et Dusan. Elle anime en attendant l'arrivée de la prochaine Impératrice, toutes les messes et festivités religieuses. Dalstein la découvre sous un oeil nouveau, elle soutient avec ferveur la famille Impériale dans sa transition et Lengelbronn lui en est reconnaissant. De plus, elle s'entretien chaque jour avec l'Empereur et...

Danil remarqua une crispation sur le visage de Joren.

— Oui, elle est devenue sa confidente... Je le sais, termina-t-il avec de la douleur dans la voix. Les autres Cardinales ne sont pas insensibles à son dévouement. Elle place ses pions.

— Il nous est difficile de percer au travers de ses activités... Les rares fois où nous sommes parvenus à intercepter ses lettres, nous n'avons rien trouvé de probant.

— Ce n'est pour le moment pas nécessaire. Elle a juste besoin de se montrer patiente et de continuer à se rendre indispensable aux yeux des Ministres et de Dusan. Damjan n'a que faire du Culte de la Mère, il ne se soucie en rien de ce genre de chose. Elle vise avant tout la succession d'Hildegarde et veux la gagner à la loyale. Nous devons empêcher cela.

— Comment ? dit la dame en haussant des sourcils.

Un silence s'imposa entre eux.

— J'ai mon idée la dessus…, répondit évasivement Joren avec un sourire au coin. Mais si vous vous êtes montré un tant soit peu observateur à votre arrivée, ma chère, vous devriez avoir décelé l'atout qui se cache dans ma manche.

La dame au chignon cligna des yeux et la vision de la chevelure blonde de Lauvia s'imposa à lui. L'incarnation de Délia sur terre..., songea-t-elle.

Elle baissa la tête et eut un sourire. Ce plan pouvait effectivement fonctionner.

Le Capitaine demanda :

— En ce qui concerne le prisonnier que vous avez ramené de Kertiopole, qu'allons-nous en faire ?

— Il a déjà été interrogé, nous n'avons plus rien à apprendre de lui. Cependant, nous allons le garder sous notre surveillance. Il doit attendre d'être jugé.

— Quelle est votre idée, sur l'affaire Madalberth ? questionna le marquis avec curiosité. Vous devez bien avoir une idée, étant donné la situation.

Joren regarda Dusan, l'arbisien répondit :

— Nous pensons que ce n'était qu'une répétition. Toute cette affaire de faux documents, de faux témoignages... Plus nous étudions la chose, plus nous voyons que certains éléments ont été implantés depuis plusieurs mois, voir des années.

— Une répétition ? Mais pour quoi faire ?

— Pour me discréditer. Tout part du journal de Carolina. Celui qui se trouve sous les fondations du Palais est un faux. J'en suis persuadé.

Des hoquets de surprises et des cris d'indignation s'élevèrent. Joren tapota la table du bout des doigts, certain de son effet. 

— Brillant, n'est-ce pas ? Celui ou celle qui a eu cette idée, savait parfaitement ce qu'il faisait depuis le début. Avant même que nous songions à tout cela, bien avant la mort de Carolina.

— Si ta théorie est juste, bien sûr, dit Danil d'un ton narquois.

— Merci, mon ami...

Le capitaine se racla la gorge :

— Les recherches du professeur Wilburt avancent à grande vitesse. Plus que jamais, nous devons garder le journal en sécurité. De plus, la quantité d'enérites que nous avons récupéré pour ses travaux n'est pas négligeable...

— Danil, fit Joren, je te charge de surveiller le moindre de ses faits et gestes.

— Je ne vois pas où il pourrait aller...

— Il est insatiable et orgueilleux, une fois ses théories démontrées, il ne voudra qu'une chose, les exposer au globe tout entier. Il ne faut pas que nous ayons un rapport de force avec lui, ses découvertes doivent rester sous notre conduite.

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