Chapitre 26

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La chambre de Giselle se trouvait être une ancienne cellule de prisonnier. La couche avait été changée au profit d’un étroit lit en bois et la fenêtre, scindée de barreaux, était cachée par d’opaques rideaux en velours d’une piètre qualité. Les murs épais conservaient la fraîcheur du matin pour une bonne partie de la journée et le vent se glissait régulièrement au travers des ouvertures de la façade de la forteresse. Un modeste bureau ainsi qu’un coffre encombraient l’espace, déjà exigu. La jeune femme considéra que la pièce devait sans doute accueillir à l’époque jusqu’à quatre bagnards, en remarquant la hauteur de plafond et les anciennes traces de couchettes superposées sur les pierres. Au sol, une petite trappe servant de latrines donnait directement sur le vide, on pouvait apercevoir les vagues en contrebas s'éclater contre la paroi rocheuse. Son nouveau logis était spartiate, mais elle s'y accommoda sans y penser. Les nuits de grand vent, l’écho de l’océan se répercutait encore et encore dans ses oreilles, l’empêchant de trouver le sommeil.

Dès qu'elle le put, Giselle rédigea plusieurs lettres afin de continuer le simulacre de sa présence en Arbise. Une fois sa fausse correspondance terminée, elle sortit de sa vieille valise les quelques effets personnels qui restait en sa possession : ses économies, soigneusement enveloppées dans du papier brun, le mouchoir de Carolina, son petit carnet de note en cuir froissé, la lingerie qu'elle portait le jour de sa fuite ainsi que sa broche, quelques bijoux et ses accessoires de préceptrice. Pensive, elle fixa l'ensemble, étalé sur son lit. Pour une personne extérieure, il n'y avait là que de simples objets usés mais pour la jeune femme, tout ceci représentait les miettes de sa vie. Ses doigts saisirent la couverture du carnet et caressèrent les plis craquelés. Un violent battement de coeur voila son regard.

C'est lui, mon bien le plus précieux, réalisa Giselle en feuilletant les pages jaunies. Pas mes économies ni même le mouchoir... C'est cette satanée liste de nom que j'ai noté, et les témoignages que j'ai recopié. Sans lui, je disparait totalement.

Giselle s'assit par terre, le dos collé contre le montant de son lit. Le froid des dalles perça le fin tissu de sa robe et remonta jusqu'à ses reins, lui donnant des frissons. Elle ne s'en soucia pas et continua de fixer les lignes qu'elle avait écrite.

Pour l'heure, la jeune femme ignorait si elle pouvait faire pleinement confiance à Joren Primtis. Leur marché était conclu, elle allait l'aider à récupérer le journal de Carolina et en échange, il punirait tous ces noms, soigneusement écrits et tous les autres, qu'elle n'avait pas eu le temps de noter.

Et si finalement, il n'était pas le vrai fils d'Auguste ? pensa une petite voix inquiète, dans les tréfonds de son ventre.

Et bien, est-ce vraiment notre problème ? répondit une autre depuis son cœur. Dalstein n'a pas cherché à me croire alors que je clamais mon innocence, personne ne m'a fait confiance. Dusan, mon père, l'Empereur... ils se sont montrés traîtres et ne se sont pas inquiétés pour ma vie.

Il semble déterminé à découvrir la vérité..., ajouta une troisième, venant de son esprit. Je sais que Carolina et Auguste ont toujours voulu faire de lui le successeur. Pour le moment, j'ai trop besoin d'alliés. Et je suis coincée, il ne me laissera pas partir.

Elle poussa un soupir et pencha la tête en arrière pour regarder le plafond. Dans sa bouche, un goût amer se posa sur sa langue. Elle ferma les yeux, s'imaginant face à Dusan et Léonie. Un fin sourire se dessina sur ses lèvres, qui s'évanouit aussitôt. Il lui faudrait être patiente, attentive et ne pas attendre la victoire de Joren pour la succession au trône. Oui, elle devait garder la tête froide et ne pas se laisser aveuglée par la vengeance. Elle les ferais payer en mettant à l'œuvre tout le savoir qu'elle avait conservé, mit auparavant au service de son devoir. A présent, elle était exilée, libre. Elle était Ilda Roding et ne servirait qu'elle et ses valeurs. Si Giselle de Madalberth devait un jour faire son retour, ce serait sous la lumière du triomphe absolu, tenant les reines du duché de Hautebröm d'une main et écrasant sous sa botte les cendres des misérables qui l'avait fait chuter.

Son attention se reporta sur la liste des noms de son dossier d'accusation, pour découvrir ses complotistes, elle devait commencer par là. Il lui fallait les retrouver et les interroger.

Giselle se redressa, les jambes ankylosées. Elle rangea ses affaires, prit le mouchoir de dentelles et sortit de sa cellule.

Le couloir où on l'avait aménagée était calme et il y régnait une douce odeur d'encens. La chapelle du fort était dans un angle, légèrement dérobée. Il y avait peu de passage, les résidents ne passaient par ici que pour se rendre à la messe, tenue par la cardinale Lauvia. Les fenêtres donnait sur l'une des cours intérieures, d'en haut, on pouvait voir des caisses de marchandises et des fils à linge étirant des draps grèges comme des étendards, flottants sous le vent et le soleil des tropiques.

Giselle marcha quelques pas et frappa à une porte. Elle entendit des bruits précipités et des toussotements, puis une face moustachue et rougeaude lui fit face dans une embrasure vite ouverte :

— Mademoiselle Roding ? Que puis-je faire pour vous ? demanda Hubert Wilburt avec suspicion.

— Je suis navrée de nous déranger professeur mais...

Elle releva la main pour lui montrer le mouchoir taché de sang.

— J'ai besoin de vos connaissances afin de découvrir les secrets de ce mouchoir. Son ancienne propriétaire est morte empoisonnée et je pense que les traces du poison...

— Par Ronia ! s'exclama le scientifique en ouvrant la porte, voilà une requête intéressante !

Il prit le tissu en le pinçant entre deux doigts :

— Vous l'avez porté sur vous tout ce temps ?

Elle hocha la tête :

— J'ai découvert les raisons véritables du décès récemment.

— Je ne sais pas si je vais réussir à découvrir quelque chose... les éléments ont dû s'abîmer. Vous auriez dû le maintenir dans une boite hermetique.

Il détailla le tissu en fronçant les sourcils :

— Hum... c'est un ouvrage d'une excellente facture, très luxueux. Et ces armoiries, ces initiales brodées ici... ne serait-ce pas...

Giselle fronça les sourcils, le Professeur Wilburt sembla délibérément laisser ses paroles en suspends, comme pour lui faire sentir tout le poids de son incommensurable intelligence. Sans aucun doute, il avait reconnu les armoiries impériales ainsi que les initiales de l'Impératrice Carolina. Il se raidit subitement et releva les épaules en demandant :

— Qu'aurais-je en échange de ce service, Mademoiselle Roding ? Et de ma discrétion ?

Giselle ouvrit la bouche mais fut devancée par une petite voix derrière elle :

— Toute la reconnaissance du Dieu Lykion, Professeur Wilburt. Et la mienne, assurément.

Giselle se retourna pour découvrir l'éblouissante cardinale Lauvia. Cette dernière fit un doux sourire au professeur qui, flatté par son attention, fit rouler la pointe de sa moustache entre deux doigts.

— Son Altesse m'a informée de l'importance que porte ce mouchoir et je vois que vous avez également compris, Professeur Wilburt, que vos considérables connaissances peuvent nous éclairer sur cette affaire. J'ai moi-même, bien modestement je l'avoue, appris durant mes années d'études l'usage de certains éléments médicaux. Je me propose donc de vous assister, si vous le voulez bien.

— Mais bien sûr, tout à fait ! Je serai ravi d'avoir son Excellence à mes côtés durant les analyses !

Le scientifique se mit à rire, Giselle jugea son éclat de voix vulgaire. La religieuse les salua en baissant humblement la tête puis partit dans les couloirs avec une foulée si légère qu'on aurait pu penser que le bas de sa robe flottait au dessus des pavés.

De nouveaux seuls, Wilburt se tourna vivement vers Giselle :

— Bon, vous n'avez pas répondu à ma question, qu'aurais-je en échange ? Cette jeune cardinale est des plus charmante mais... Je n'ai que faire de la reconnaissance de ce soit disant Dieu de l'Ordre, ni même de celle de Joren Primtir... J'ai actuellement des sujets plus urgents à traiter.

— J'ai cru comprendre que vous étiez recherché, n'est-ce pas ?

— Oui, comme vous avez pu le voir dans cette maudite villa ! Le Prince et son acolyte arbisien m'ont promis la sécurité mais j'ai vite découvert que leur parole ne valait pas un clou ! Enfin... me voilà ici, sur cette île, je pourrais enfin continuer à travailler sereinement. Si nous ne sommes pas prit d'assaut...

— Il faudrait plusieurs navires pour faire tomber le fort..., observa Giselle en détaillant les tics nerveux qui agitaient les sourcils du scientifique.

— Humpf, croyez moi, ceux qui me recherchent en sont capables...

— En échange de ce service et de votre discrétion, je vous fournirai une nouvelle identité.

Les yeux de Wilburt scintillèrent derrière ses lunettes. Il se rappela qu'elle avait été employée ici pour ses talents de contrefactrice.

— Vraiment ? demanda-t-il avec le plus grand intérêt.

— Oui, je vous ferai un passeport et tout autres éléments qui vous permettront de quitter l'Empire sans vous faire remarquer. Il me semble que c'est un arrangement équitable... Ainsi, si votre... accord avec le prince Joren tourne court, vous aurez une porte de sortie sûre.

— Certes. Je ne connais pas tous les hommes qui résident dans cette fortification. On dit qu'il n'y a ici que les plus fidèles soutiens de l'héritier mais tout s'achète, je ne peux faire confiance à personne. Qu'il en soit ainsi, Mademoiselle Roding...

Elle lui tendit sa petite main en signe d'accord. Wilburt s'en saisit et la secoua, la moustache frémissante.

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