Chapitre 42 - Fin suite

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Dusan, le souffle court, fut brutalement évacué dans un bâtiment gardé.

Il pouvait encore sentir la poussière dans ses bronches et il cligna des paupières, aveuglé par les gravats s’étant glissés dans ses yeux. Il toussa, son corps trembla de manière incontrôlable. Il ne percevait qu’un bruit aigu et était pris de vertiges.

Sans l’intervention des soldats, je serai mort, constata-t-il en grimaçant.

Il ferma les yeux, la scène de l’explosion se répéta devant lui. Le souffle brûlant, la lumière mauve, les dépouilles déchiquetées. Puis ensuite la bousculade et les hurlements… Il ne sut si pendant un instant il avait rêvé, mais il lui avait semblé entendre la voix de Giselle crier à travers les flammes. Il secoua la tête, impossible. Tout était à présent effondré.

Un bruit l’interpella, il n’était pas seul. Damjan, entouré également de sa garde personnelle, se rinçait le visage avec une écuelle. Ses longs cheveux étaient devenus blancs et son costume noir brodé de pourpre était par endroit déchiqueté. Sa broche à l’effigie de Ronia pendait tristement dans le vide, accroché par quelques bouts de fils.

— Tu vas bien ? s’enquit Dusan avec inquiétude, lui saisissant le bras. Je t’ai vu en prises avec ces hommes, tu saignes.

Son frère repoussa les personnes essayant de les ausculter :

— Laissez-nous ! Nous n’avons rien ! Retournez à la cathédrale et cherchez des survivants ! Laissez-nous seuls !

Sa voix tremblait de fureur et ses yeux, larmoyant à cause des éclats les ayant blessés, étaient injectés de sang. Il s’ébroua, faisant lever de son costume un nuage de particules grises.

— Par les Dieux ! se secoua-t-il encore, comme si le moindre grain de poussière le dégoutait.

Il se tourna vers les gens présents :

— Dehors ! vociféra-t-il.

Dusan recula, les personnes obéirent avec précipitation. Une fois seul, Damjan s’empressa de retirer sa veste et il l’agita de toutes ses forces.

Voyant la colère de son frère, Dusan garda le silence et attendit.

— Lave toi le visage ! lui ordonna-t-il.

Dusan s’exécuta, hébété, la poussière lui collait à la peau. En se redressant, il croisa son regard dans un miroir encadré d’or. Ils avaient l’air de deux fantômes tout droit sortis du néant. Son cœur se serra à cette pensée. Le corps de leur père avait-il été évacué à temps ? Combien de morts compteraient-ils ce soir ? Dehors, on entendait les sirènes des gardes pompes, venus éteindre l’incendie et les éclats de la foule toujours en panique. Dans quelques minutes, la capitale entière serait en proie à la plus grande détresse.

— Je ne peux pas prendre la place de Père, annonça Damjan d’une voix ferme.

— C-Comment ? bégaya Dusan qui pensa avoir mal compris.

— Je ne serai pas le prochain empereur.

— Mais… Pourquoi ? demanda-t-il avec stupéfaction.

— Tu sais très bien pourquoi…, répondit Damjan en fronçant les sourcils, agacé.

— Non.

Son frère aîné se retourna vivement vers lui et d’une enjambée, plaqua son visage contre le sien. Leurs fronts se cognèrent douloureusement. Les yeux de Damjan se plantèrent dans les siens et Dusan eut un mouvement de recul, jamais il n’avait vu son frère dans un tel état de fureur.

— Ne joue pas les imbéciles avec moi. Je ne suis pas ces crétins que tu manipules à ta guise chaque jour. Tu sais très bien pourquoi. Jamais je ne monterai sur le trône.

— Tu te moques de moi ? s’écria-t-il en le repoussant. Après tout ce que j’ai fait pour toi ?

À nouveau, la colère et l’émotion le firent trembler de la tête au pied. Damjan se retourna en l’ignorant.

— Je me fiche bien de tout cela, je ne t’ai jamais rien demandé.

— Tu refuses… Tu refuses de prendre la place de cet autre… de ce… juste pour ça ?

— Oui, car ça fait partie de moi.

— C’est ridicule ! cracha-t-il avec mépris.

— Ridicule...? répéta Damjan en grimaçant de manière dégoutée. Demande à l’Église, si elle trouve cela ridicule ! Jamais je ne serai accepté en tant que souverain.

— Tu te marieras et tu auras des enfants, rétorqua Dusan dont la colère montait de plus en plus violemment en lui.

— Je savais que tu ne pouvais pas comprendre… Tu as toujours été si aveuglé par les valeurs prêchées par maman !

— Qu’est-ce que tu oses...

Damjan saisit l’écuelle remplie d’eau et de sang et la jeta au sol. Il attrapa ensuite le miroir au cadre d’or et le fracassa contre le carrelage de marbre. Les éclats de verre explosèrent en tout sens, glissant sur les dalles.

— Je refuse de me marier avec une femme ! éclata Damjan, je refuse de me plier à devenir quelqu’un que je ne suis pas !

— Mais tu ne peux pas…, hoqueta Dusan, tu le sais, les valeurs de notre famille, de l’Empire… La Mère et le Père…

— Oui, voilà exactement pourquoi je ne veux pas de tout cela, et que je n’en est jamais voulu !

La colère aveugla le jeune homme, il regarda son frère, qui venait d’abandonner l’héritage de leur père pour un caprice écervelé. Il réalisa qu’il faisait erreur depuis le début.

— Effectivement, tu ne le mérites pas ! Moi qui te portais aux nues, qui marchais sur tes pas, fixant ton dos sans jamais pouvoir atteindre tes épaules ! Jamais je n’ai imaginé une seule seconde que tu puisses être aussi lâche ! Nos parents se retournent dans leur tombe ! Et tu cèdes la place au bâtard, après tout ce qu’il a fait !

Damjan ferma les paupières, des larmes jaillirent entre ses cils et glissèrent le long de ses joues.

— Si l’Église m’accepte tel que je suis, je monte sur le trône, sinon, je te laisse la succession.

Les yeux de Dusan s’écarquillèrent. Il articula lentement :

— Tu sais que c’est impossible… Nous sommes le berceau du culte de la Mère…

— Darovir autorise les couples du même sexe à se marier.

— Nous ne sommes pas Darovir ! s’égosilla-t-il, la voix brisée par la fureur. Nous sommes les héritiers du Saint Empire de Dalstein !

— Est-ce qu’au moins, je peux avoir ton pardon ?

Dusan cligna des paupières, sans comprendre :

— Mon pardon ? Tu me laisses à la charge de tout pour… pour continuer à t’amuser dans tes distractions lunatiques ? C’est une faute impardonnable, tu insultes notre nom, tu…

Il ne finit pas sa phrase. Damjan poussa un long et lent soupir. Ils s’observèrent quelques instants, l’aîné leva les yeux au ciel et sembla adresser une prière à Ronia, sa protectrice. Un sanglot secoua sa voix, il s’excusa tout haut. Dusan, les poings fermés, le fixa en silence.

— Alors, prends ma place, Dusan, dit-il en posant sa main sur son épaule. Avec toi, ce sera plus simple, n’est-ce pas ? Je vais te faire un cadeau, avant de partir…

Dusan vacilla. Allait-il vraiment lui donner le pouvoir si facilement ? Il prit une longue inspiration. Du feu liquide sembla s’être déversé dans ses veines.

J’en suis capable… J’en suis capable… Pour Dalstein… Pour la Mère… Pour l’Empire…

— Rowena ! appela soudain Damjan d’une voix forte.

Une porte s’ouvrit, Dusan vit entrer une belle femme blonde aux yeux noirs, portant un voile de dentelle.

— Qui êtes-vous ? questionna-t-il fermement.

— Je te présente Rowena Helfert. Elle est à mon service depuis des années. Nous sommes amis, si l’on peut dire. Je la mets à ta disposition. Tu auras besoin d’aide pour découvrir ce qu’il s’est passé aujourd’hui. Rowena est… une fille d’une grande famille et possède l’une des meilleures guildes de mercenaire de tout l’hémisphère Sud.

— Est-elle une femme discrète ? questionna-t-il en faisant rapport à sa beauté remarquable.

— Aviez-vous jamais entendu parler de moi auparavant, Votre Altesse ? demanda-t-elle en s’inclinant.

Le jeune prince secoua la tête à la négative.

— Je dois partir. J’ai donné des directives à mes hommes en arrivant ici. Le corps de notre père est en sécurité, mais la Papesse Hildegarde a été grièvement blessée. Ne sortez pas d’ici avant qu’on vienne vous chercher. Des chevaliers de la garde sont morts, ceux de Joren courent toujours et ils sont redoutables.

Damjan quitta les lieux sans se retourner. Dusan demeura un moment silencieux.

— S’il ne vous jamais confié tout cela, c’est par égoïsme, annonça Rowena en lisant dans ses pensées. Je connais Damjan depuis des années. C’est un grand torturé qui aime plus que tout pleurer sur son sort.

Dusan prit un siège, ses doigts égratignés saignaient légèrement. D’ordinaire, il aurait rabroué cette femme, aussi belle soit-elle, pour les mots qu’elle venait de prononcer, mais il n’en avait plus la force.

— Que voulez-vous que je fasse ? demanda-t-elle en croisant les bras.

— Recherchez tout ce que vous pouvez sur ce bâtard de Joren. je me fiche de passer par des procédures étatiques. Je veux connaître ses plans, ses soutiens, ses ennemis, ses projets… Tout !

— Je peux d’avance vous dire que beaucoup de ses partisans ont été grièvement blessés aujourd’hui.

— Ainsi que la plupart de nos meilleurs alliés.

Rowena hocha la tête.

— Très bien, je sais où sont situées plusieurs de ses cachettes. J’ai déjà eu affaire à lui dans les Antilles. Je reviendrai vers vous dès que j’ai du nouveau.

— Essayez aussi de… retrouver l’exilée Giselle de Madalberth. Elle est en Arbise, d’après mes dernières informations.

— Votre ancienne petite fiancée ?

Il lui adressa un regard hautain, elle esquissa un sourire

— Comment dois-je vous payer ? questionna-t-il du bout des lèvres.

Les lèvres de la mercenaire s'ouvrirent de plaisir :

— Ne vous en faites pas pour cela, jeune prince…, murmura-t-elle.

Elle eut un rire soyeux avant de quitter la pièce dans un froufroutement de dentelle. Dusan ferma les yeux. Il respira de plus en plus fort. Dans un geste rageur, il retira la cravate qui lui enserrait le cou.

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