Chapitre 37

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Dusan se frotta les tempes en réfléchissant encore à toutes les tâches qui lui restait à accomplir. Sur son bureau s'étalaient des piles de documents et de lettres, des dossiers demandant à être signés chancelaient sur le bord de la table. Un air de musique cristallin annonça une heure du matin, son cabinet de travail était vide, son secrétaire venait de quitter les lieux.

Depuis le décès d'Auguste, le Premier Ministre et lui-même étaient débordés. L'Empire de Dalstein venait de perdre ses souverains à quelques mois d'écarts et cela n'étaient pas arrivé depuis plusieurs siècles. Les impératifs a tenir pour stabiliser le pays étaient colossales. Dusan eut une pensée pour le Parlement, les tensions allaient croissantes entres les Elus. Les partisans de Joren se révélaient au grand jour et les rumeurs faisaient rages dans l'Hémicycles et dans les couloirs de toutes les administrations,  la publication du journal de Carolina était attendu avec impatience. 

— C'est une question de temps en ce qui concerne le journal, mais le rouleau n'a pas encore été retrouvé, soupira-t-il. C'est la preuve irréfutable que l'Héritier est destitué, il nous le faut absolument... 

On toqua à sa porte, ce qui le fit sursauter. Sans qu'il eut son mot à dire, Damjan entra. Il ne fut pas surpris de le trouver ici à cette heure,  il le savait insomniaque ces derniers jours. Cependant, en voyant l'expression fermée sur son visage, Dusan comprit que l'annonce qu'il avait à lui faire était grave. Damjan tenait à la main un épais dossier enveloppé dans un papier brun froissé. Il s'avança vers le bureau de Dusan et posa le document avec nervosité. Le jeune Prince remarqua les cheveux en désordre de son frère et les frémissements dans ses doigts. 

— Demain, commença Damjan d'un ton nerveux, plusieurs journaux vont publier un article révélant l'ingérence de la famille Impériale sur la mort de notre mère. 

Dusan fronça les sourcils :

— Quelle ingérence ? 

Damjan tapota le dossier posé du bout des doigts :

— Le même document a été envoyé par un expéditeur anonyme à tous les plus grands  journaux du pays. À l'intérieur, il y a des lettres et des rapports rédigés par les personnes s'étant occupé du corps de l'Impératrice après son décès. Ils annoncent que le poison employé n'est pas de la ricine mais un neurotoxique... et que la vérité a été falsifiée.

Dusan ouvrit le paquet, à l'intérieur, il trouva une lettre, accompagnée d'une liasse de documents fixés par une simple ficelle. Il déplia vivement la lettre et lut :

La Mère a dit : dans ma lumière règne la vérité et la vérité tu suivras.

Le soleil jaloux ne saurait souiller la lune discrète

Car elle ne reflète que la lumière de la Mère. 

— Tu as découvert qui a rédigé ces mots ? demanda-t-il, intrigué.

— Non, sa calligraphie ne corresponds à aucune des personnes que nous connaissons. J'ai demandé au Ministre de l'Intérieur et à ses services spéciaux. 

Avec précaution, Dusan ouvrit le simple cordon et observa les documents qui s'étalèrent sur sa table.

— Ce sont des rapports médicaux réalisés le soir de son décès..., constata-t-il.

Damjan hocha la tête encore, les yeux perdus dans le vague.

— Ils ont été rédigés par les médecins et les prêtresses qui étaient en service ce soir là. Je reconnais leur écriture. Il y a même les directives des responsables.

La bouche de Dusan était devenue sèche :

— Ce sont des aveux ?

— Nous avons déjà interrogé toutes les personnes impliquées dans ce dossier, ils jurent que ce ne sont pas eux qui ont écris certains de ces documents.

— Donc il y a parmi ces éléments, des rapports qu'ils ont bien rédigés ? C'est pourtant bien le papier officiel qui est utilisé par endroit, et je reconnais la manière d'écrire du Secrétaire d'Etat.

— Nous pensons que de faux documents ont été conçus parmi les vrais. 

Dusan jeta l'une des feuilles, qui tomba nonchalamment à ses pieds :

— C'est un coup monté par Joren.

Il tourna la tête, agité.

— Cela va lui permettre que gagner du temps avant la publication du Journal... L'Empire ne parlera que de cela dès l'aurore.

— C'est effectivement bien manœuvré. Pourtant, tu constateras que ces documents ne l'innocentent pas pour autant. A l'heure actuelle, il nous est impossible de distinguer les rapports d'origines des faux. Toutes les personnes s'accusent les uns les autres de tromperies. 

Dusan se tourna vers Damjan avec furie :

— Pourquoi ?

Damjan poussa un soupir et prit place dans un fauteuil. Il posa son coude sur un accoudoir et son menton sur le dos de sa main :

— Chacune de ces personnes est suspecte. L'une demandait des informations à l'autre, qui lui répondait. La premier affirme qu'elle n'a rien fait, alors la seconde l'accuse d'avoir été piégée. 

— Qu'a dit le Ministre de l'Intérieur ?

— Qu'il est prêt à tenir contre la vague qui déferlera demain... Je me suis renseignée et du côté de Joren Primtir, il ne semble avoir aucune connaissance de ce rapport.

— Et comment pourrais-tu le savoir ? demanda Dusan sans desserrer les dents.

Damjan esquissa un sourire :

— Je ne révèlerai rien. J'aime prendre soin de mes sources d'informations...

Dusan pinça des lèvres et son cœur se piqua légèrement de jalousie. Lui ne faisait que travailler sans relâche pour maintenir les fonctions de la famille royales... Il n'avait que peu de temps pour se renseigner sur Joren et ses plans. 

— D'où viennent ces enveloppes ? comment ont-elles été livrées ? demanda-t-il en redressant les épaules. 

Damjan fouilla dans une des poches de sa veste pour sortir son étui à cigarettes. Il en glissa une entre ses doigts et la proposa à son frère, qui l'attrapa d'une main lourde. Damjan sorti son briquet en corail, gravé de motifs arbisien et alluma la flamme.

— Directement au domicile des journalistes, répondit-il enfin après avoir soufflé sa première bouffée. L'entreprise postale ne sait rien. L'expéditeur a mis seulement pour note : de l'Impitoyable Rancune à l'Insupportable Raclure. Intéressant, n'est-ce pas ?

Dusan se pencha en avant pour allumer à son tour sa cigarette. Face à son silence, Damjan continua :

— Le paiement s'est effectué en liquide et ils ont été livrés depuis plusieurs bureaux de l'Empire.

Dusan garda un moment le silence, puis annonça d'une voix décidée :

— Il y aura un scandale, nous allons devoir nous montrer ferme et discrets. Les journalistes prendront ces documents avec beaucoup de sérieux et ils demanderont certainement qu'une enquête soit menée. Je rédigerai un communiqué pour annoncer que nous prenons les choses en main et que nous puniront les responsables énoncés dans ce rapport si tout s'avère vrai. Cependant, l'article ne va pas paraître avant la fin de la cérémonie... Les journalistes vont d'abord vouloir parler de l'enterrement et enchaîneront ensuite là dessus...

Dusan tira sur sa cigarette en faisant les cent pas.

Par les Dieux... ce rapport tombe mal, nous avions prévu d'arrêter Joren dès la fin de l'hommage. Il faut que l'attention du pays soit directement tournée sur sa trahison. Si la population voit que nous n'avons pas été capable d'enquêter sur l'assassinat de ma mère, ils ne trouveront pas crédibles les accusations contre l'Héritier.

Damjan le regardait faire avec un air désabusé, il semblait lire les pensées de son jeune frère :

— Il sera difficile de démêler la vérité, Dusan.

Il haussa des épaules :

— Notre mère a été assassinée, que ce soit par un poison ou un autre ne change rien. Tout ceci ne servira qu'à déstabiliser tes partisans et le Parlement. Les dalsteinis n'ont pas besoin de cela. Il nous faut garder les idées claires. 

Dusan observa les papiers étalés sur sa table et grimaça. Il se recula sur sa chaise et commença à réfléchir.

L'auteur de ce rapport ne pouvait être qu'un noble, un politique ou bien un journaliste.

Nous devons découvrir tous les partisans de Joren. Mais je ne peux pas ordonner au Gouvernement de les espionner... Il est encore le Prince Couronné. Nous devrions surveiller ceux qui te sont ouvertement défavorables et continuez l'enquête. Et surveillez les journalistes, ils vont vouloir faire des recherches de leur côté. Autre chose... Où était-tu ces derniers jours ? Tu as disparu sans un mot la semaine dernière et j'ai besoin de lui ici. Je sais que tu as de nombreuses fonctions à remplir mais nous avons besoin de toi à Lengelbronn.

Nous ? questionna Damjan en relevant les sourcils.

— Oriana, Garance et moi...

Damjan eut un rire sardonique.

— Tu te débrouilles parfaitement bien sans moi... Et je ne dois pas négliger les Provinces. C'est elles qu'il faut viser, le pouvoir de la capitale n'est pas la seule influence du pays.

— Certes..., reconnut Dusan.

Damjan écrasa son mégot dans un cendrier en émail craquelé et dit :

— Ne te repose pas trop sur Garance, ou bien Veerhaven... Tâche de trouver tes alliés par toi-même.

La frustration accumulée par Dusan répondit pour lui : 

— J'ai trouvé des personnes fidèles à mes idées et à nos objectifs. Que souhaites-tu que je fasse de plus ? Dit le moi, et je le ferais. Je n'ai que pour objectif de t'aider à prendre la suite de notre père et d'empêcher un supposé bâtard de prendre le trône.

— Lequel d'entre eux t'a conseillé d'attaquer le fort de Joren par bateau ? questionna Damjan d'une voix sèche. Des hommes ont été blessés inutilement et cette décision était ridicule de vouloir le combattre sur son terrain ! 

Dusan haussa des épaules :

— C'était un avertissement et nous n'avons rien perdu...

— Un navire, ce n'est pas rien.

— Ce n'était pas le nôtre.

Damjan fixa le visage sombre de Dusan un moment et s'exclama :

— Soit ! Si tu ne te considère pas vaincu, alors qu'il en soit ainsi ! Mais c'était un mauvais choix. Tu as donné l'ordre au capitaine des chevaliers de l'Empire de s'en prendre à l'Héritier. Si cela s'ébruite... Ou plutôt, quand cela s'ébruitera car tu peux être certain que la nouvelle va se rependre, ce sera Joren qui en ressortira...

— Nous ne devrions pas attendre que Joren puisse s'en tirer, pas même une fois ! s'écria Dusan en lui coupant la parole. Si cela ne tenait qu'à moi, je demanderai son exécution immédiate, par toute l'armée !

Damjan secoua la tête, les sourcils froncés.

— Pourquoi tant d'obsession ? Il nous suffit d'attendre.

— Pourquoi toi, tu n'y penses tu pas ? Il a assassiné notre mère et père s'est tué de chagrin ! Aurais-tu oublié ce que nous avons lu dans le journal ? Tu étais aussi en colère que moi !

— Oui, je l'étais, et je le suis toujours mais... 

— Te voilà en proie au doute, à présent ?

Damjan quitta le fauteuil, les yeux d'un coup luisant de colère, il s'avança vers son frère et articula :

— Prends garde, Dusan... Ta colère fausse ton jugement. Ne regarde pas de haut ceux qui te dominent pour l'instant. Tu as fait une erreur en t'en prenant à Joren directement et si tu continues à le vouloir, cela causera ta perte. Si je dois monter sur le trône de Dalstein, ce sera avec l'accord de tous, qu'ils se forcent ou non... Jamais je n'oublierai ce que j'ai lu dans ce maudit cahier, est-ce bien clair ? 

A l'évocation de ce souvenirs, la subite colère de Damjan se fissura et laissa place à un profond chagrin. Son visage fin et beau se froissa et ses yeux s'emplirent de larmes. Le frère ainé se recula, comme pour fuir de sa propre peine, et quitta la pièce en claquant la porte.

Une fois seul, Dusan ferma les yeux :

Damjan a déjà anticipé tout cela... Mais je ne comprends pas, depuis la mort de père, il semble... différent. Garance a sans doute raison, sa peine l'empêche de réfléchir... il doit se montrer fort sinon... sinon...

Du coin de l'œil, il fixa l'étrange dossier sur son bureau. De l'Impitoyable Rancune à l'Insupportable Raclure... l'auteur de ces mots ne pouvait être qu'une personne animée par la revanche, ou bien était-ce juste un code, une plaisanterie visant à brouiller les pistes ?

D'un geste rageur, Dusan balaya le dossier d'un revers de bras, éparpillant les papiers sur le sol dans un bruit mou et de feuilles froissées.

Je vais rendre visite aux Veerhaven puis à Garance... Nous devons planifier l'arrestation de Joren avec la plus grande prudence.

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