Chapitre 31

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Giselle, assise à son petit bureau, fixait avec intensité la liste de nom qui s’étalait sous ses yeux. Un sourire s’attarda sur son visage.

— Commençons, murmura-t-elle en prenant avec délicatesse un papier de qualité.

Mademoiselle de Madalberth,

J’ai le plaisir de vous informer que votre capital financier vient de dépasser cette année le montant plafonné de vos comptes bancaires. Vous trouverez ci-joint le chèque de vos bénéfices annuels.

De nouveaux services vous sont accessibles, un nouveau compte vous a été ouvert, vous pourrez découvrir ses avantages dans la brochure suivante.

Les investissements mis en place par votre père et pour votre usage personnel vous permettent également de contribuer dès aujourd’hui dans des entreprises ayant un fort potentiel de développement.

J’attire tout particulièrement votre attention sur la manufacture de boîte de conserve du Comte de Bodenwill, localisée dans le Sud Est de Dalstein. Ce secteur de niche est encore peu connu des investisseurs et nous sommes confiants sur les retours attendus. Un catalogue est joint à notre courrier.

Également, les artisans de Hautebröm demeurent un placement sûr, un souffleur de verre résidant à Brömder vient de recevoir un prix national et les commandes affluent de tout l’Empire. Le soutien d’un des membres de Madalberth lui permettra d’investir dans ses matières premières.

Vous trouverez dans une enveloppe scellée, les simulations que nos services financiers ont pu estimés pour l’année à venir.

Je vous prie d’accepter mes plus sincères salutations,

Les copies suivantes sont les détails des flux monétaires et des cotations de l’année passée, je vous laisse en prendre connaissance.

Mon bureau et moi-même restons à votre disposition pour tout renseignement complémentaire.

I. Roding, votre conseillère en placement.

Giselle regarda la lettre et secoua la tête, l’écriture n’allait pas. Sa main avait été trop raide, l’encre bavait même par endroit.

C’est trop formel et ennuyeux…, pensa-t-elle. Il faut quelque chose de plus doux et mature.

Elle réfléchit quelques instants puis composa de nouveau le texte, réalisant une calligraphie particulièrement féminine et légèrement ancienne, presque désuète.

Elle plia la lettre, rédigée sur la copie d'un imprimé ayant pour liseré le nom de la banque de sa famille. Elle glissa plusieurs documents, retranscrits par ses soins durant plusieurs heures, couverts de tableaux et de chiffres alambiqués puis un chèque venant de ses propres économies, ainsi que les brochures promises.

En versant la cire sur l’enveloppe, Giselle ne pouvait s’empêcher de glousser.

Depuis qu’elle avait interrogé le parjure, il lui semblait que sa rage n’avait aucune limite. Elle passait ses nuits entières à reproduire, inventer, recopier des alphabets. La quantité d’encre et de papier qu’elle utilisait était astronomique. Danil lui apportait ses commandes en quelques jours, comme sortant des lapins du fond de son chapeau.

— Restez discrète, Joren ne sait pas que je vous livre tout ça, lui avait dit l’arbisien avec un clin d’œil. Et voilà votre argent.

La jeune femme secoua sa main endolorie, mais ne cessa pas de sourire, ce soir, elle était inspirée.

Elle observa de nouveau la liste de nom et plissa des yeux. Une pile de dossiers bancale, calée contre le mur, menaçait de s’effondrer. Il y avait à l’intérieur tous les documents particuliers que Joren, Danil et ses hommes avaient pu trouver sur les membres ayant participé à sa chute. D’un geste rapide, elle chercha l’écriture de la personne qu’elle avait en tête. Elle dénicha une lettre et recopia pendant de longues minutes les quelques mots qu’elle avait à disposition.

Les heures passèrent. Enfin, elle rédigea sur un simple billet :

Votre Éminence,

Mon cœur est habité par le doute. J’ignore quoi faire.

Elle posa sa plume et prit une grande inspiration. Elle ferma les paupières et prit entre ses doigts tachés, une tasse de thé devenue froide.

Elle lut encore la liste, les yeux brûlants de fatigue et chercha un autre nom. De nouveau, elle fit la même opération. Elle fouina des documents originaux dans la pile, trouva la page qu’elle désirait, recopiait les lettres et l’écriture.

Monsieur le Ministre.

Je vois l’Impératrice Carolina dans mes songes. Je n’arrive pas à dormir.

Ainsi de suite, elle rédigea quelques lignes, plus ou moins longues, comme si elles sortaient de la main de tous ces criminels l’ayant condamnés.

Madame, je me souviens subitement avoir oublié quelque chose…

Votre Grâce,

Les journalises ont relevé un détail dont vous devez prendre connaissance. Répondez-moi le plus vite possible.

Giselle soupira : ces personnes étaient des médecins, des témoins et des fonctionnaires, parmi eux se trouvaient quelques faussaires. L’imprimeur lui avait révélé l'identité de celui qui l’avait payé, un membre du cabinet du ministre de la Justice. Ce dernier était à présent sous l’étroite surveillance de Joren.

Parmi les noms qui lui étaient plus ou moins familiers, la jeune femme fut choquée de découvrir celui de Constance. Dans un rapport, la bonne racontait qu’elle n’avait jamais vu Giselle avoir ses lunes et que cette dernière vouait une obsession maladive pour le prince Dusan.

La jeune exilée grimaça. Constance jouait sur les mots. Effectivement, Giselle ne laissait jamais son personnel laver son petit linge, car s’en occupant elle-même. Lors de la soirée en hommage à la déesse de l’hiver Ronia, ses dessous s’étaient retrouvés ensanglantés et elle n’avait pas eu d’autres choix que de lui confier ses jupons. Ses draps, quelquefois, finissaient aussi tachés durant son sommeil.

Giselle ne fut pas surprise de la traitrise de la domestique, ce genre d’histoires couraient les rues. Soudoyer le personnel était la première chose à faire lorsqu’on voulait nuire à quelqu’un d’influent. C’était d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles elle ne se mettait jamais en confidence avec les employés de maison. Elle l’avait vu chez les Bodenwill, en étant leur préceptrice Giselle avait eu accès à leur intimité, leurs biens privés et elle aurait pu laisser trainer des oreilles indiscrètes, si elle l’avait souhaité. Une cuisinière ou une lingère pouvait bien vendre des informations sur les habitudes de leurs maîtres. C’était peut-être à leurs yeux des précisions insignifiantes, quelle différence, si la dame préfère le beurre salé ou beurre doux ? Ou bien si le monsieur raffole de pâte d'amande ? Cependant, pour un ennemi, chaque détail compte. Alors, confier ses pensées intimes à une personne si proche demeurant toutefois si éloignée de son existence était une idée suicidaire.

Concernant Constance, la somme avait dû être faramineusement tentante pour acheter sa parole. Les Madalberth, de par leur position, faisaient très attention au recrutement du personnel. Constance était effectivement l’une des dernières arrivées dans l’équipe de Clovius.

Giselle soupira cependant, en découvrant cette liste qui s’étalait devant elle, la jeune femme avait vu plus clair. Les individus responsables ne se connaissaient pratiquement pas et avaient eu en vérité peu d’informations. Il y avait fort à parier que la plupart aient été tout comme elle manipulées.

Mais il manquait des éléments, comme l’identité de la personne qui avait mis en place ce faux rapport médical.

— Soyez patiente, fit une voix grave derrière elle. Le voile va bientôt se lever, si j’ose dire.

Elle se retourna pour voir Joren sur le seuil de sa porte. La jeune femme se redressa précipitamment et cacha ses papiers en quelques gestes.

— Vous savez l’heure qu’il est ?

— Non, avoua Giselle sentant ses épaules ankylosées.

— Il est très tard. On est au beau milieu de la nuit. Venez prendre l’air avec moi, vous en avez besoin.

Giselle hésita, elle observa le visage de l’Héritier, qui lui sembla inhabituellement renfrogné. Elle se releva, le dos raide et quitta sa petite cellule.

— Vous n’avez pas mal dans les jambes, à force de rester assise toute la journée ? Je sais que vous travaillez sur quelque chose, avec Danil, demanda Joren en marchant devant.

Ils prirent le chemin des coursives.

— Non, je suis habituée à rester immobile durant plusieurs heures. Vous devez savoir ce que c’est, vous avez fait une école militaire.

Elle vit les mèches blondes du prince s’agiter.

— Si vous avez des questions sur les tâches que me confie votre ami…

— Non, ce sera pour une prochaine fois… Vous n’avez encore rien fait. Et pour l’heure, je n’ai pas envie de me fâcher avec vous.

Il rit à gorge déployée. En montant les escaliers, il voulut la faire passer devant, Giselle s’y refusa, ne comprenant pas l’intérêt de faire preuve de galanterie à cette heure. Elle saisit rapidement ses raisons lorsqu’il escalada les marches quatre à quatre.

— Me voilà obligé de vous attendre !

La jeune femme avala sa salive, gravissant l’étroit escalier en colimaçon. Arrivée sur le palier, elle sentit un vent frais caresser son visage.

— Vous êtes décidément courte sur pattes, déclara-t-il en retenant la lourde porte bordée de fer.

Elle lui adressa un œil courroucé.

En quelques foulées, Giselle se retrouva en haut des remparts du fort. La bourrasque nocturne siffla dans ses oreilles et le bruit des vagues s’éclatant sur la roche était assourdissant. Elle cligna des paupières, pour habituer son regard à la pénombre. Au-dessus de sa tête, une splendide coupole étoilée s’étendait dans l’éternité des cieux. La Ceinture du Père brillait de mille lueurs, Giselle eut la subite sensation qu’en étirant les doigts, elle pouvait la toucher :

— Et dire que ce sont de gros cailloux agglomérés tous ensemble ! J’ai vu une fois les dessins des astronomes, les astéroïdes n’ont rien de romantique. On peut dire que la combinaison de la distance et des reflets de lumière les aident beaucoup, il n’y a que les étoiles filantes qui sont vraiment belles selon moi…

Joren tourna la tête vers elle et l’observa sans rien dire, la jeune femme ferma la bouche et retrouva son visage impassible.

— Vous vouliez me parler ? demanda-t-elle.

— Non, je m’ennuyais. Quand j’ai du mal à dormir, je me promène souvent. Parfois je réveille Danil, mon capitaine ou bien Lauvia. Ce soir, c’est sur vous que c’est tombé !

— C’est… aimable à vous, dit Giselle en fronçant le nez.

— Vous m’en voulez ? questionna Joren en bondissant sur la bordure du muret, à la lisière du vide.

Giselle se recula subitement, comme pour se préserver de chuter avec lui de l’autre côté.

— Vous avez peur que je tombe ? se mit-il a rire.

Le cœur de Giselle se pinça.

— C’est toujours désagréable de voir quelqu’un mourir, non ? répliqua-t-elle froidement.

Joren prit place sur la pierre fraîche et balayée par le vent, les jambes suspendues dans les airs.

— Venez vous assoir, demanda-t-il en lui tendant la main.

Giselle observa ses grandes paumes et ses doigts musclés, elle fronça les sourcils.

— Sans façon.

Elle hésita subitement à partir. Joren se redressa en fin de compte et descendit à son niveau sur le chemin de ronde.

— Là, excusez-moi, je ne désirais pas me jouer de vous. Je suis parfois maladroit, j’ai vu que vous étiez pâle comme la mort à force de rester penchée sur votre chaise, les yeux fixés sur des lignes sans fins. Je pensai vous distraire aussi.

La jeune femme soupira et fuit son regard.

— Je ne vous en veux pas… de m’avoir amenée ici à cette heure je veux dire, dit-elle.

— Allons nous assoir plus loin, il y a un banc. Ce sera un bon compromis.

Joren avança dans l’obscurité, sa large chemise noire balayée par le vent s’agitait dans tous les sens. Giselle reconnut ce dos ample, qu’elle avait vu pour la première fois lors de la nuit d’attaque dans la villa du Sud.

C’est vrai qu’il faisait chaud cette nuit-là… Si chaud que le tissu…

Elle planta discrètement ses ongles dans ses mains et marcha, la nuque droite.

— Voilà, vous serez mieux et nous sommes plus à l’abri du vent.

Giselle prit place à ses côtés, cherchant toujours à comprendre ce qu’elle faisait là.

— Je souhaitais vous demander, mais je n’ai jamais osé avant… Pardonnez ma brusquerie, mais votre réponse m’est importante, c’est pour ma conscience personnelle voyez-vous…

— Que voulez-vous savoir ?

— Dusan, est-ce qu’il vous manque beaucoup ?

— Non.

— En êtes-vous sure ?

— Ma réponse n’est-elle pas suffisamment évidente ?

Joren se racla la gorge, ne s’attendant pas à se faire rabrouer aussi rapidement. Il reformula :

— Je vais être amené à le rabaisser, je vais devoir le faire de tout mon possible.

— Depuis le début, j’ai parfaitement saisi ce que vous alliez être amené à faire. Si je n’avais pas été d’accord pour que Dusan se retrouve le nez au sol, jamais je n’aurai consenti à travailler avec vous. Et si vous n’étiez pas déjà chargé de cette mission, je pense que j’aurai pris personnellement la chose en main.

Un simple « cela me convient » lui aurait sans doute convenu, comme réponse…, songea Giselle en constatant le silence de Joren.

— C’est parce qu’il a pris votre demi-sœur pour remplacement ?

Les lèvres de la jeune femme se pincèrent, elle leva vers l’Héritier un regard furieux.

— Entre autres choses…, lâcha-t-elle du bout des lèvres.

Même dans le noir de la nuit, Giselle put voir les yeux bleus de Joren s’écarquiller de surprise.

— Dites-moi tout…, demanda-t-il avec un sourire. Racontez-moi ce que ce marmot hurleur vous a fait. Saviez-vous qu’il n’a jamais supporté la frustration ? Tout petit déjà, il détestait tout ce qui lui faisait barrage.

— Vous… Vous exagérez…

— C’est pourtant vrai. Alors… Vous l’avez dominé aux échecs ? Vous avez eu plus de compliments de la part de sa mère que lui ?

— Je ne sais pas…, répondit Giselle, subitement troublée.

Elle leva la tête et observa le ciel chargé d’étoiles et de mille lueurs colorées. Son cœur se mit à battre, une bourrasque de vent lui arracha des larmes.

— Il… Peu de temps après la date du mariage, j’ai découvert qu’il me trompait avec la fille de l’épouse de mon père. Je ne l’ai pas appris dans les journaux. Ils ont aussi fait ça sous mon nez, le soir de la fête de Ronia.

Joren émit un sifflement impressionné :

— Et bien, quelle serpillère !

Giselle, sans vraiment savoir pourquoi, se mit sourire :

— Ils ont échangé des dizaines de lettres, je suis tombée dessus totalement par hasard ! j’étais si surprise, je n’ai pas su quoi faire, j’ai tout lu, je ne pouvais pas m’arrêter. Il ne parlait que de moi, de combien il me trouvait horriblement laide, insipide et froide. Et elle, elle répondait en riant, lui dévoilant toutes les pensées que j’osais partager avec ma famille, dénonçant la manière dont je la traitais.

— Et vous la traitiez bien ? demanda Joren avec curiosité.

— Très mal ! confia Giselle, et j’avoue que je ne le regrette pas une seule seconde. J’ai toujours trouvé cette fille si… si vide de tout. Mais je n’en ai jamais parlé. Je suis en général restée indifférente à sa personne, tant elle ne m’a jamais rien inspiré. Cela m’a causé du tord.

Joren se mit à rire, ses yeux se plissèrent et ses joues se creusèrent de deux grandes fossettes. En voyant son visage si souriant, Giselle ne put s’empêcher de rire à son tour.

— Et qu’avez-vous fait, ensuite ?

— Carolina, que la Mère et Ronia veillent sur elle, est morte ce soir-là. Liselotte m’a apporté le mouchoir et cela m’a donné le courage de tout dire à mon père. Ce dernier ne m’a pas soutenue, j’avais effectivement déjà prêté serment devant le rouleau écarlate. Furieuse, je suis partie à Hautebröm et la suite, vous la connaissez… Mais, j’avoue que je suis fautive. Si j’avais été plus attentive, plus ouverte à mon père et moins plongée dans mes tâches, je suis certaine que tout aurait été différent.

Le prince héritier baissa la tête, semblant mesurer ses paroles :

— Vous comptiez rester sur vos terres toute votre vie ? demanda-t-il d’une voix plus grave et sérieuse.

Giselle secoua la main :

— Non, je… je me suis dit que, étant donné que vous et Oriana faisiez logement à part, je pouvais en faire de même.

Joren poussa un soupir et appuya son dos contre le fond du banc.

— Quelle tristesse, n’est-ce pas ? D’être lié à vie à une personne et de ne jamais pouvoir l’atteindre.

Giselle ne répondit rien.

— Je suis heureux que vous n’ayez pas eu besoin de m’imiter.

— Certains couples s’en accommodent.

— C’est vrai, mais dans notre cas, je ne suis pas un exemple. Nous ne sommes pas n’importe quels nobles, nous incarnons les valeurs de toute une nation… Et quand la valeur la plus importante est celle de la famille, avouez que l’échec est cuisant. Vous voulez savoir pourquoi Oriana et moi habitions bien la même région, mais à des centaines de kilomètres de distance ?

Giselle articula :

— Cela ne me concerne pas…

— Si, vous allez comprendre pourquoi, la coupa l’Héritier d’une voix grave. Je suis quelqu’un d’honnête, il faut que vous sachiez tout de moi, avant de me suivre. En réalité, j’ai avoué à la toute jeune Oriana que je doutais de ma légitimité au trône.

— Vous m’avez dit que vous aviez tout lu dans le journal de votre mère…

— Et si mes souvenirs n’étaient pas bons ? Et si mon esprit avait déformé la réalité ?

— L’Empereur ne vous aurait rien fait lire du tout…

— Malgré cela, une partie de moi est habitée par le doute, mon père s’est montré si borné. Pourquoi ne veut-il présenter ce journal à personne ? Il y a forcément quelque chose… Et je ne cesse d’y penser, jour et nuit.

Le cœur de Giselle rata un battement, c’était là une confession déchirante. Le souffle manqua quelques secondes à sa poitrine. Joren continua :

— Vous aimez Dalstein, vous êtes dévouée à notre patrie. C’est aussi pour cela que vous n’êtes pas partie pour l’Arbise.

— Oui. Et c’est aussi pour cela que je suis ici.

— Vous n’avez pas peur qu’un bâtard prenne la succession d’Auguste ?

— Si Auguste et Carolina ont décidé de faire de vous l’héritier, je ne comprends pas pourquoi je devrais douter de leur choix. Ma fidélité m’empêche de penser autre chose. Je ne puis supporter de voir leur volonté bafouée.

— Même si c’était la vérité ? Que je ne porte pas une seule goutte de sang de la lignée Fertnarch ?

Giselle releva la tête :

— il y a dans ce fort beaucoup de personnes qui semblent partager ma conviction. Et il y en a certainement beaucoup d’autres, éparpillées aux quatre coins de l’Empire. Des gens du peuple, des bourgeois, des indigents, des nobles et des soldats.

— Vous avez reconnu certains gradés ? questionna Joren

Giselle hocha la tête à l’affirmative.

— Vous avez fait l’école militaire, il est normal que certains de vos amis vous soutiennent.

— J’ai peur que mes ennemis montent de fausses preuves contre moi. Quand j’ai vu de quoi ils étaient capables en vous réduisant à néant, j’avoue que si j’ai voulu vous retrouver, c’est pour ne pas subir le même sort que vous.

— Et bien nous ferons pareil…, dit Giselle en haussant les épaules.

— Régner en s’appuyant sur des mensonges, trouvez-vous cela correct ?

— Je pense que ce n’est pas le plus important. Dalstein est la priorité. Et je crois que vous n’avez pas attendu ma réponse pour réfléchir là-dessus… À moins que vous demandiez une certaine approbation ? Danil m’a dit qu’il était une hyène, agissant dans votre ombre.

— Hum… Danil est mon ami de longue date. Nous avons combattu ensemble durant des années et j’ai une parfaite confiance en lui. Il sait ce qu’il fait et il ne représente pas un pays. Auriez-vous la conscience tranquille, si vous deviez récupérer votre position en mentant et en trichant ?

Giselle haussa les épaules :

— Non, plus maintenant, pas après m’être fait humilier de la sorte. Si vous en revanche, vous avez des doutes, demandez à Lauvia, elle est bien mieux placée que moi pour répondre à cela.

— Ah, Lauvia… Certes, j’en ai déjà parlé avec elle, de nombreuses fois… Mais régner sur le ciel n’est pas semblable à régner sur la terre. Le ciel est orageux, pluvieux, il nous détruit en effet d’un coup de tonnerre, mais il reste capable de nous laver et de nous élever si on le souhaite. La terre nous souille et nous fait naître, elle nous tue et nous permet de vivre. Lauvia ne sait pas ce que c’est que de plonger ses mains dans la boue et de les ressortir couvertes de sang. Et que la vie l’en préserve, elle ne le supporterait pas… Mais je ne veux pas donner raison à mes frères et à l’Église. Je refuse de confirmer aux dalsteinis que je suis un intrigant et un traitre.

Giselle baissa la tête, elle entendait le bruit sourd des vagues et les embruns mouillèrent son visage. Elle s’essuya la joue d’un revers de main.

— Vous avez froid, venez, je vous ramène. Merci de m’avoir accompagné, les pensées sont souvent sombres, lors des nuits sans sommeil.

— Est-ce que… vous voulez un somnifère ?

— Non merci, grimaça Joren, la valériane me dégoute suffisamment, avec son odeur de pisse de chat.

Avant de descendre les escaliers, Joren lui ouvrit la porte et lui fit face :

— Ne laissez personne vous faire perdre pied. Vous ne le méritez pas. Je parie que Dusan ne pensait pas véritablement un seule parole de ce qu’il disait. N’accordez d’ailleurs aucun crédit à ce que peut dire un imbécile pareil, surtout si c’est pour lutiner une petite gourde du genre de votre demi-sœur.

— Elle est très appréciée…

— Par les mêmes gourdes qu’elle. Faites-moi confiance, je ferai ravaler les mots de Dusan et il se jettera à vos pieds de nouveau.

— Je ne vois pas comment il pourrait le faire, sauf par la menace.

— Sans le forcer, je vous parie que cela arrivera.

— Et que voulez-vous parier ? demanda Giselle, soudain prise au jeu.

Joren pointa le sommet de la muraille :

— Si je perds, je sauterai dans le vide ici même… Un joli plongeon, n’est-ce pas ? Si je gagne, vous irez vous asseoir sur un rempart tel que celui-ci.

— Fort bien, répondit Giselle en haussant les sourcils. Alors, commencez dès à présent à vous mouiller la nuque.

La jeune femme sourit légèrement et s’engouffra dans l’escalier obscur.

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