Chapitre 21 : Sous un même ciel

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— Dieu du Temps Kertion, pitié, faites qu’il n’arrive pas déjà ! Vite, Constance, donne-moi cette serviette et va chercher la boite !

— Oui, mademoiselle Léonie !

Constance prit la main de la jeune femme et l’aida à sortir de la baignoire, tout en tendant le bras vers un grand drap de bain moelleux.

Avec des mouvements précipités, la jeune bonne releva ses jupes et se dirigea vers la chambre. Elle souleva une large boite emballée d’un élégant papier fleuri et l’apporta, non sans peine, vers la salle d'eau.

Léonie finissait de sécher ses longues jambes. Constance posa le cadeau sur la commode.

— Oh, je n’ose pas l’ouvrir, c’est tellement joli !

— Je dois m’occuper de vos cheveux…

— Oui, et n’oublie pas cette crème, elle sent divinement bon !

Les doigts de Léonie tirèrent sur le ruban en organza vermeil et soulevèrent le couvercle.

Entreposée sur un coquet coussin blanc, une magnifique robe beige, lavande et rose dragée se découvrait, pliée dans des froufrous parfumés. Une paire de chaussures brodées de perles ainsi qu’une parure de bijoux en corail assortie l’accompagnait.

— Oh, Dusan, tu me gâtes tant ! s’écria la jeune femme en sortant la tenue de son coffret.

Constance resta bouche bée face à la splendeur de la toilette. Jamais Dusan n’avait offert pareille chose à Giselle !

— Pressons-nous, Mademoiselle ! dit-elle subitement en reprenant ses esprits

— Je ne suis jamais encore allée à l’opéra ! lança Léonie en enfilant ses bas.

Constance habilla sa maîtresse avec joie et empressement, contemplant l’étoffe et les perles avec une soudaine envie.

Depuis son entrée en service auprès de Léonie, ses gages avaient changé, elle pouvait mettre de côté un joli pécule. Ses yeux couvaient du regard les cosmétiques, les crèmes et les parfums de la jeune femme : pourrait-elle un jour s’offrir pareils traitements ?

Les minutes passèrent, on frappa à la porte :

— Mademoiselle, le Troisième Prince vous attend.

— Fort bien, Clovius, j’arrive !

Léonie se redressa, finalement apprêtée dans les temps. Elle descendit les escaliers quatre à quatre, essayant de remettre en place son décolleté.

Quelques secondes plus tard, elle s’installa confortablement dans la luxueuse berline de son amant.

Dusan, magnifiquement vêtu d’un costume beige et à la ceinture bleu pâle qui contrastait avec ses cheveux sombres l’observa un instant et lui sourit.

— Tu es splendide ! Nous devons passer chercher mon frère en route.

— J’ai bien failli être en retard…

— Pourquoi ? demanda le jeune homme en regardant les rues défiler sous ses yeux.

— J’ai… et bien…, hésita soudain Léonie, je suis en ce moment des cours avec un précepteur afin de pouvoir mieux comprendre la gestion de ma famille, mais je n’apprécie pas ce monsieur.

— C’est celui que je t’ai recommandé ?

Léonie se mordit légèrement la lèvre.

— Il est morne et exigeant, je n’arrive pas à apprendre avec lui !

Dusan se mit à rire :

— Allons, ne sois pas trop sévère… C’est un homme très compétent.

La jeune femme haussa les épaules et préféra embrasser Dusan. Les cours de gestion financière et de langues étrangères ne l’intéressaient pas, sa mère avait pris les choses en main après le départ de Giselle. Léonie détourna l’attention du prince en relevant sa robe pour découvrir les nouveaux bas qu’elle avait enfilés peu avant.

Sur la route qui menait la berline vers la résidence de Damjan, quatre cavaliers à cheval ouvraient et fermaient la marche. Les sabots ferrés frappaient en cadence les pavés des avenues. Perchés en hauteur, ils ne rataient rien de ce qu’il se passait à l’intérieur de la voiture. Les deux gardes s’échangèrent un sourire et s’efforcèrent de garder un visage impassible.

Mais les deux amants ne purent terminer leur affaire, ils arrivèrent plus rapidement que prévu à la demeure du Second Prince. Damjan prit place à son tour, paré de ses plus beaux bijoux. Voyant la chemise froissée de son frère et un sein dépassant du corset de Léonie, il se mit à rire. Dusan, subitement gêné, repoussa sa jeune maîtresse vers le fond du siège et lissa du plat de la main sa veste en soie, tout en prenant un air sérieux. Léonie se cogna violemment le bras sur l’accoudoir, mais serra les dents pour ne pas crier de douleur. Elle se rhabilla d’un geste consterné.

— Cette robe vous va à ravir.

Le compliment de Damjan fut accompagné d’un long regard. Léonie sentit ses joues s’empourprer de nouveau.

Une foule s’agglutinait devant l’escalier de l’opéra. Journalistes, mondains, curieux et mélomanes attendaient patiemment leur arrivée. Léonie se sentit grisée par l’agitation qui troubla la petite marée humaine. On commença à les alpaguer de loin, on cria son nom et faisait d'immenses signes derrière les vitres.

— Les Dalsteinis t’adorent, se félicita Dusan.

Léonie secoua délicatement la main, un grand sourire aux lèvres.

— N’aie pas l’air trop joyeuse, lui intima cependant le jeune homme. N’oublie pas que mon père est gravement malade.

Son enjouement s’évanouit et Léonie prit soudain une expression plus contrite. Damjan gloussa.

Les trois jeunes gens descendirent de la berline sous les feux des photographes. Ils entrèrent dans le grand hall de l’opéra en saluant les nobles alentours puis gravirent les marches vers leurs loges privatisées. En contrebas, un tapis de coiffes et de chapeaux hauts de forme s'agitait.

Léonie se rappela le programme de la soirée et son estomac se mit à gargouiller, trop préoccupée à préparer cette soirée. Elle avait oublié de dîner.

— Combien de temps dure le spectacle ? demanda-t-elle discrètement à Damjan.

— Il y a quatre heures de représentation.

— Je n’ai pas mangé, est-ce que je pourrais commander une collation pendant l’entracte ?

— Non, répondit Dusan, nous devons saluer les personnes que nous n’avons pas encore eu l’occasion de croiser.

— Je ferai monter de quoi grignoter…, souffla Damjan en faisant un clin d’œil à la jeune femme.

— Vous êtes mon sauveur ! rit Léonie en lui prenant le bras.

Ils s’installèrent dans le balcon à l’ambiance feutrée. Tous les yeux étaient rivés sur eux. Léonie prit place, elle mourrait déjà d’envie de discuter avec Dusan et son frère, tant elle tremblait d’excitation, mais les lumières leur empêchait toute intimité. Leur galerie était aussi éclairée que la scène en contrebas, afin d’être visible par toute la cour.

Le rideau se leva soudain et la représentation commença dans un grand éclat de musique.

Durant les heures qui suivirent, Léonie eut terriblement mal au visage et aux épaules. Elle se rappela subitement que se tenir droite pendant la messe n’était rien comparé à ce qu’elle vivait à présent. Son cœur battait, toutes les attentions étaient braquées sur elle ; chacun chuchotait derrière éventails et chapeaux baissés. Elle sourit de la plus jolie manière du monde tout en feignant d’être subjuguée par la mise en scène. À ses côtés, les deux princes étaient immobiles, comme taillés dans du marbre. Le regard de Dusan était fixé sur une statue de la Déesse Menée, protectrice des arts.

Giselle est née sous son signe… Est-ce qu’il pense toujours à elle ? songea-t-elle avec angoisse.

Elle sentit au bout de longues minutes la main de Dusan se glisser dans la sienne et se mit à sourire véritablement jusqu’à l’entracte.

Lorsque le rideau se baissa une première fois, on frappa à la porte de leur balcon. Dusan se redressa vivement et ouvrit à un grand homme mince, à la moustache blonde fournie et bien taillée.

— Monsieur le Duc de Veerhaven, salua Dusan avec emphase.

— Vos Altesses, Mademoiselle de Madalberth, répondit ce dernier en s’inclinant.

Léonie eut des picotements au bout des doigts en entendant cela. De joie, elle oublia sa faim qui lui tiraillait l’estomac.

— Je tenais à vous avertir moi-même qu’Oriana rejoindra la cour dès demain matin.

Damjan leva les sourcils de surprise et glissa un regard vers son jeune frère. Ce dernier hocha la tête avec satisfaction.

— Prévenez-moi au moindre ombrage, je ne désire pas que ma belle-sœur se retrouve calomniée par sa décision. Notre père ne le souhaiterait pas non plus.

Le Duc de Veerhaven s’inclina en le remerciant puis referma la porte sur lui-même.

— Oriana est de retour à la capitale ? s’enquit Damjan en tirant sur une cordelette afin d’appeler un valet de pied.

— Oui, elle s’apprête à quitter Joren, répondit Dusan avec un ton faussement indifférent.

Léonie poussa un petit cri de surprise.

— Le Prince Héritier va divorcer ? Mais… c’est terrible ! Cela va faire un scandale !

— Certes…

— Oriana ne serait jamais revenue à Lengelbronn sans avoir été convaincue de le faire, dit Damjan en croisant les bras.

— Ce ne fut pas difficile.

— Mais cela ne va pas entacher la réputation de votre famille ? questionna Léonie.

— Crois-moi, c’est un mal pour un bien…, répliqua sombrement Dusan.

Les trois jeunes gens sortirent de leur loge durant l’entracte afin de saluer d’autres membres de la cour. Une nuée de personnes autourait de Léonie dans l'espoir de lui parler. La jeune femme, déterminée à effacer le souvenir de Giselle, s’efforça de répondre de la manière la plus agréable possible.

Elle céda son portrait à quelques photographes, imaginant déjà les articles du lendemain.

Le retour de la Princesse Oriana fera sans doute toutes les premières pages pour les prochains jours…

Léonie releva les yeux pour voir de loin Dusan, Damjan et une cardinale en pleine discussion. À la vue de la religieuse, le cœur de Léonie rata un battement.

Dusan lui fit signe de les rejoindre d'un hochement de tête. Elle s’exécuta en avalant sa salive.

Le jeune Prince annonça :

— Voici, mon amie Léonie le Tholy de Madalberth.

— Votre Éminence s’inclina Léonie, la voix soudain fébrile.

— Nous devons retourner à notre loge, je vous souhaite une bonne fin de représentation.

— Par la grâce de la Mère, cette soirée est merveilleuse. Que Délia et Menée soient louées. Mes pensées vont à l’Empereur, j’irai lui rendre visite à son levé demain matin.

Les deux princes hochèrent la tête et prirent congé, Léonie tourna les talons pour les suivre.

La jeune femme sentit une main serrer son bras nu :

— Nous devons parler, Léonie…, susurra la Cardinale Garance en feignant un sourire.

Léonie baissa le regard, le feu aux joues :

— Bien ma tante, vous savez où me trouver.

La religieuse desserra son étreinte et laissa sa nièce filer dans les escaliers.

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