Chapitre 16

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La pluie, les branches et l’obscurité aveuglaient totalement Giselle.

Elle marcha droit devant elle, cherchant à rejoindre la grande route le plus rapidement possible, de l’autre côté de la lisière.

Tant pis pour Brömder, ce bois n’est pas immense, j’irais jusqu’à Oberwihr et ensuite…

Elle glissa dans une pente en se tordant la jambe et se retint de crier de douleur.

Giselle n'essaya pas à comprendre pourquoi ces hommes étaient à sa poursuite. Savoir qu’elle devait partir au plus vite lui suffisait.

Oh Déesse Ménée, je vais mourir de froid avant ! grelotta-t-elle sans pouvoir contenir les frissons qui secouaient son corps.

Sa robe était couverte de boue, gorgée d’eau par endroit. Ses bas étaient trempés et ses chaussures… Elle n’y pensa pas, elle ne sentait plus ses pieds. Elle continua à avancer, s’obligeant à faire des détours face à des passages impraticables. Elle chuta encore, s’égratignant les mains et les coudes. Ses cheveux sombres ruisselaient dans son cou et le long de son dos.

Malgré toute sa ténacité, elle dût s’arrêter plusieurs fois, afin de donner quelques minutes de repos à ses jambes. Elle s’efforçait de réfléchir : où était-elle exactement ? Elle se rappelait les parties de chasse de son père et les nombreuses balades à cheval qu’elle avait faites ici enfant. Elle pesta. De nuit et des années plus tard, rien n’était comparable à ses souvenirs. Elle se rendit à l’évidence, elle devait s’arrêter pour attendre le jour.

Ils ne me retrouveront pas, eux aussi sont dans le noir et s’ils ont des lampes, je les verrais venir de loin, se dit-elle subitement.

De plus, et à son plus grand malheur, la pluie redoubla d’intensité et le vent se leva à nouveau. Elle regarda autour d’elle, grelottante. Elle avisa les fourrés et les arbustes, tâtonnant dans l’obscurité.

Enfin, elle trouva un grand hêtre, en bordure de pente. Son tronc était large et sa ramure recouvrait plusieurs arbrisseaux. En cherchant, sa robe s’accrocha à un bosquet de houx et elle s’aperçut qu’elle pouvait se dissimuler par-dessous. Elle essaya de forcer ses yeux à percer le voile de la nuit. Elle ramassa des restes de fougères et des herbes puis envisagea de se faire un lit. Tout était trempé. Sous le bosquet piquant, les gouttes étaient plus rares, quoique plus grosses. Elle souleva ses guenilles mouillées et enroula ses genoux avec ses bras. Gelée, elle attendit.

Je vais mourir de froid, je vais mourir de froid…, répétait-elle en claquant des dents.

Elle fut soudain tentée de sortir en courant, de retrouver ces hommes et le régisseur de son père. Impossible qu’ils lui fassent du mal, après tout, elle était exilée, mais pas une meurtrière ! Pourquoi la blesser ?

Et si c’était l’Empereur lui-même qui voulait la supprimer pour la punir de cette humiliation… ? n'avait-elle pas également trahi la confiance de Carolina, sa défunte femme bien-aimée ? Non, Dalstein est un pays avec des…

— Par là ! fit une voix dans l’air.

Giselle se figa. Cette fois-ci, son cœur ne s’emballa pas, au contraire, il était pétrifié.

Impossible qu’ils m’aient trouvé, je suis invisible…, se dit-elle sans bouger d’un cheveu.

— Sous cet arbre ! Viens par ici, on sera mieux.

Elle entendit les pas des deux inconnus en manteaux cirés, perçut une lueur. Ils s’arrêtèrent pour se mettre à l’abri près du hêtre, de l’autre côté.

— Une pluie de tous les diables ! par la Kertyon, je suis gelé, fit le régisseur. Tu as parlé aux villageois ?

— J’ai croisé personne à Brömder qui puisse m’indiquer si elle est allée par là-bas. À mon avis non, car une noble comme elle ne passe pas inaperçue.

— Où c’est qu’elle est nom d’un chien ! C’était de l’argent facile !

— Elle a peut-être glissé dans une crevasse.

— Ouais, j’espère pas, ce serait difficile de trouver son corps. Bouge pas, je vais pisser.

Le régisseur arriva ; immobile, Giselle observa ses jambes s’approcher. L’homme lui tourna le dos et défit sa ceinture, la jeune femme ferma les yeux.

— Si ça se trouve, lança l’autre plus fort pour être entendu, il l’a retrouvée avec son chien et il nous l’a pas dit, pour garder l’argent pour lui !

— Dans ce cas, j’aimerai pas être à sa place, il travaille salement, rétorqua le second en continuant son affaire.

— La pluie va pas tarder à s’arrêter, on devrait retourner au campement, on y voit plus rien.

Le régisseur marmonna quelque chose et redressa son pantalon.

— Si on m’avait écouté depuis le début, on aurait pris cette direction dès le départ. Elle savait que le pont était détruit. À l’heure qu’il est, on l’aurait récupéré son mouchoir et on serait en train de manger chaud tout en sachant qu’on passerait la nuit au sec.

— Si tu étais si prévoyant, tu l’aurais attrapée dès qu’elle s’est retrouvée seule au bord de la route. Le corps dans le fossé, personne aurait rien vu dans les hautes herbes.

— J’avais pas reçu l’instruction avant.

Gisèle respirait faiblement, les yeux toujours clos.

— Il se passera quoi, si on leur dit qu’on l'a pas trouvée ?

— Chut, ordonna soudain le régisseur, du bruit !

Les fourrés se mirent à bouger, quelqu'un venait sans prendre la peine de se montrer discret.

— Ah, c’est toi ! fit le régisseur avec du soulagement dans la voix. Tu as repéré quelque chose ?

— Oui, sa valise. Un vagabond l’a ramassée.

Un autre bruit fit tressaillir Giselle, entre les branches, elle entendit les reniflements d’un chien.

— L’espèce d’ermite un peu fou ? Il est installé dans une baraque, à l'opposé. Il t’a appris quoi ?

— Il n’a eu rien le temps de dire, il est mort avant d’avoir pu vraiment me répondre.

Le chien ne tarda pas à trouver Giselle et lui lécha le bras. La jeune fille enfonça sa tête dans ses jambes.

— Par le Père, sérieusement ? s’écria le régisseur, qu’est-ce qu’il y avait dans la valise ?

— Des livres et des vêtements. C’est tout.

— Par les Dieux, il n’y avait pas d’argent ? Ou bien autre chose ?

— Non, mais à mon avis, il l’a retrouvée avant nous et il l’a ramenée avec lui. Je pense qu’il refusait de me dire où se trouvait son campement. Je suis venu vous voir, car je ne connais pas le bois aussi bien que vous. J’ai été embauché la semaine dernière chez le Duc. Vient là ! cria subitement le chasseur à l’adresse de son chien. Ici !

L’animal se redressa et regarda Giselle, puis son maitre. Au nouvel appel, il détala vers les trois hommes. Elle ne bougeait toujours pas.

— C’est de l’autre côté, réfléchit le régisseur, en tout cas, c’est ce que m’ont dit les habitants. Possible qu’elle y soit effectivement, la fille connaît les lieux. Elle a dû filer là-bas dès les premières gouttes tombées.

— Ou bien il l’y a forcée, il avait pas l’air d’être un saint, votre ermite des bois. Regardez l’entaille dans ma manche, le manteau est foutu.

— On fait quoi alors ? dit le troisième homme qui s’impatientait. On y va dès maintenant ou bien on attend le jour ?

Les deux autres reniflèrent, après un moment de silence, le régisseur annonça :

— Allons-nous reposer quelques heures dans la palombière, peut-être qu’elle y est aussi. On continuera de chercher à l’aube et on regardera dans les fossés en passant.

Les deux hommes furent d’accord et se secouèrent, les orteils refroidis dans leurs chaussures. Ils reprirent la route en se plaignant de la pluie et de la faim.

Giselle demeura immobile, incapable de respirer et de bouger. Pour la première fois de sa vie, elle bénit la Mère de sa petite taille, qui lui avait permis de rester hors de vue de ces meurtriers. Elle ferma les yeux, gelée jusque dans les os, et attendit les longues heures qui la séparaient du jour.

Lorsque Giselle ouvrit les paupières, le soleil n’était pas encore levé. La pluie avait cessé depuis longtemps et de la buée sortait faiblement de sa bouche. Hagarde, elle se redressa.

Vite, dépêche-toi… s’encouragea-t-elle en se mettant debout.

Ses jambes lui faisaient un mal terrible, mais sa volonté prit le dessus. Elle se mit à courir. Ses foulées étaient gauches et l’une des lanières de ses chaussures se brisa. Elle les retira, puis, après plusieurs minutes de réflexion, les enterra sous une bonne couche de boue. La jeune femme en fuite alla naturellement en direction de la route principale. Elle savait où était la palombière, à l’entrée du bois, du côté du château.

J’ai plusieurs heures devant moi, mais pas toute la journée, après l’abri du clochard, ils iront de nouveau à Brömder.

Avec soulagement, elle retrouva le chemin de terre, à présent réduit à une ligne détrempée. Elle prit soin de marcher dans l’herbe, afin de ne laisser aucune trace de pied derrière elle. Elle avança encore, vacillante. Giselle fit plusieurs pauses, sa vue se troublait et elle sentait son corps faiblir.

Et dire que cette route se fait en même pas une demi-journée ! songea-t-elle en regardant le ciel.

Enfin, dans l’aube grise, elle reconnut la lisière. Le chemin de terre boueux fut remplacé par un sentier de cailloux blancs et Giselle quitta les arbres.

Non loin, elle vit une femme qui portait du bois sur son épaule. Elle était dans un champ, chaudement habillée d’une cape en laine. Giselle s'avança, l’esprit torturé par l’angoisse.
La paysanne remarqua cette inconnue surgissant de la lisière. Elle s’arrêta dans sa tâche et s’approcha, ne craignant pas les pauvres mendiants qui réclamait habituellement l'aumône.

Elle regarda, éberluée, le visage couvert de boue qui lui faisait face et ce corps frissonnant, portant une luxueuse robe détrempée, réduite à l’état de lambeaux. La paysanne prononça quelques mots de surprise. Giselle se tenait devant la femme et un espoir lui souleva le cœur. Elle se mit à articuler :

— S’il vous plaît… Aidez-moi…

La villageoise posa son fagot de bois et courut vers elle.

— Par la Mère, votre Grâce ! Votre Grâce ! Mademoiselle Giselle ! la reconnut-elle, ébahie.

Giselle releva la tête et lut dans le regard de cette femme, de la frayeur et une grande compassion. En voyant cette simple expression sur ce visage pourtant inconnu, ce sentiment de bonté qu’on n’avait pas daigné lui donner depuis des mois, elle glissa au sol et se mit à pleurer toutes les larmes de son corps.

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