Chapitre VII :   À Découvert

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Où Radigan manque de ressource, si ce n'est de clairvoyance, et se perd dans des considérations botaniques



Tout en balayant énergiquement le sol avec une poignée de jonc des sables, Radigan pestait contre l'absence de champignon douche. Cela n'augurait rien de bon quant à ses réserves d'eau et compliquait sa tâche. La poussière qu'il soulevait adhérait mal aux plumes de Nicophène mais s'accrochait aux fibres de sa combinaison avec ténacité, comme mue par une volonté propre.

Il prit un peu de recul. Bien loin du camouflage idéal, sous cette pruine d'épaisseur variable, la créature n'était plus qu'un monticule difforme fait de bosses et de creux, où se dessinaient des vagues d'ombre et de lumière. Une efflorescence surnaturelle au milieu du désert.



Devant l'ampleur de la tâche qui restait à accomplir, il décida d'ignorer le danger et d'en rester là pour ce soir. Épuisé par sa veille prolongée au milieu de nulle part, il n'avait pas le courage de continuer. Il ôta sa combinaison, la secoua vigoureusement créant un nuage de poussière qui fut aussitôt, poussé par une bourrasque et vint se plaquer sur son corps moite de transpiration. Me voilà beau, songea-t-il avant de se mettre en quête d'une pierre plate car cela faisait déjà plusieurs jours qu'il ne disposait plus du nécessaire. Adieu la délicate odeur de menthe des feuilles de Spongex...

La vie d'aventurier n'était pas toujours confortable. L'habileté à la chasse de Nicophène lui garantissait une alimentation carnée suffisante mais ses réserves d'épices s'épuisaient. Les cueillettes n'étaient pas toujours bonnes et de plus en plus de plantes lui demeuraient inconnues. Il avait tenté à plusieurs reprises d'interroger le réseau neurovial à leur sujet dans l'espoir d'améliorer son ordinaire. Malheureusement, les réponses, difficilement exploitables, le frustraient plus qu'elles ne lui apportaient de réconfort.

Il avait du mal à identifier la plante qui se trouvait à ses pieds. Ses feuilles ne lui disaient rien, à la rigueur il pouvait en supputer l'espèce... Pour en savoir plus, il aurait dû la déterrer afin d'en examiner la structure racinaire. Un rhizome de plus de huit mètres octaves de circonférence indiquait avec certitude la Cardémoine Philae. Un réseau étendu sur seulement deux à trois mètres pointerait plutôt sur la Cardémoine Bluxia sans toutefois permettre de déterminer s'il ne s'agissait pas tout simplement d'un jeune spécimen de Cardémoine Philae qui entamerait tout juste sa croissance. Visualisant mentalement les deux systèmes racinaires, Radigan nota que celui de la Cardémoine Bluxia présentait au bout de chaque radicelle une petite vésicule orange.

Il tira sur la tige principale. La plante ne bougea pas d'un pouce. Radigan percevait de manière fragmentaire un flot d'informations complémentaires. La carte génomique de la Cardémoine et des sous-espèces affiliées, le lieu de stockage des cartes souches et des premières créatures possédant une base d'amorçage utilisant ces robustes télomères. Mais rien qui puisse l'aider à arracher ce pied récalcitrant.

Il tira à nouveau. Une goutte de sueur lui glissa sur la nuque et s'écoula entre ses omoplates emportant avec elle des particules de poussière et dessinant une ligne claire sur son dos. A tous les coups il était tombé sur une Cardémoine Philae centenaire.

Dépité, il s'assit. La nuit rendait la température plus supportable et Radigan posa ses fesses nues sur le sol, sans craindre la morsure de la chaleur. Il aurait tout donné pour croquer dans une feuille de laituxprise, création issue de l'imagination d'un des meilleurs romanciers laborantinien. Il aurait fait éclater, d'une dent curieuse, les fines veinules transparentes pour en libérer l'eau plate, pétillante ou citronnée.

Rêver ne résoudrait pas son problème... À quoi bon s'évertuer à arracher cette Cardémoine ! Qu'elle soit Bluxia ou Philae, rien n'indiquait, au sein du réseau mémoriel si elle était comestible ou pas...



Pour la première fois, Radigan éprouva une forme de ressentiment à l'égard du réseau symbiotique. Il avait ressenti de la frustration et reçu du réconfort. Paroles, souvenirs communs de satisfaction et sentiment de plénitude. Seulement, en contemplant la modeste plante dont les quelques rameaux rachitiques résistaient à sa poigne d'homme il goûtait une ironie amère teintée de rancune contre l'inutile érudition de sa caste. Des sentiments nouveaux pour lui, mais bien trop forts pour qu'il songe à s'en étonner. Il les bascula sur le réseau.

Ils verraient bien, ceux qui goûtaient en ce moment la douce laituxprise... Leur plaisir serait gâché un court instant par le jeûne qui s'imposait à l'un des membres de la communauté. Les tables paraîtraient dégarnies, les coupes vides. Une communion dans l'inconfort seule capable d'apaiser son cœur et sa faim.

Etait-ce le décalage ? S'était-il accru à ce point ? Combien de fois avait-il traversé les espaces hémisphériques ? Aucune modification du réseau neurovial ne lui parvint. A son besoin de sympathie, à ses envies de repas et de fraîcheur répondait l'imperturbable et tranquille mastication des membres de la caste attablés. Il les imaginait assis, servis par des créatures attentionnées obéissant à leurs moindres désirs.



Il passa ses mains sur le sol, tâtant chaque caillou jusqu'à en saisir un plus gros que les autres. Une arête était suffisamment fine sans pour autant être coupante. Il n'était pas désagréable de le prendre en main. Radigan soupesa l'objet, ni trop lourd, ni trop encombrant, voilà qui conviendrait.

Le contact du minéral sur sa peau était légèrement déstabilisant, presque exotique pour un homme habitué à manier le végétal ou l'organique. En passant la pierre sur sa jambe, il put racler sans trop d'effort le mélange de transpiration et de poussière dont il était recouvert. Il nettoya ainsi ses membres, son visage et son cou puis son torse. Il parvint tant bien que mal à atteindre son dos. A mesure qu'il retrouvait un semblant de propreté, Radigan se sentait redevenir homme. Il décida de conserver la pierre, elle pourrait toujours lui être utile en l'absence de feuilles de Spongex. Sans le savoir, Radigan venait de réinventer l'outil sous sa forme archaïque.



Propre et apaisé, il revint vers Nicophène à la patte duquel étaient accrochés les restes d'une carcasse de placstène. Elle avait été déjà bien entamée par le bicélophale qui en avait mangé la peau et croqué les os les plus volumineux. Il restait néanmoins largement de quoi nourrir Radigan pendant plusieurs jours. Il tira un lambeau de chair qui se détacha comme la fibre de riz se déchire. La viande, séchée par le soleil et l'air sec des plaines ourlées, n'était pas mauvaise à condition d'être réhydratée avant dégustation. Les réserves de liquide dont il disposait lui semblaient trop minces pour se permettre ce luxe. Il mâchonna sans enthousiasme son morceau avant de renoncer à dîner. Il attendrait le matin et demanderait à Nicophène de briser l'un des tibias du placstène pour en sucer la moelle. Ce met fin et voluptueux le consolerait de sa déconvenue avec la Cardémoine.

Il laissa donc la viande coriace accrochée à la patte du bicéphale et se pencha vers la poche centrale de l'animal pour y récupérer son nécessaire de nuit. Alors qu'il y glissait la pierre polie, il reçut un coup violent sur la nuque. Il s'écroula dans la poussière qui recouvrait l'animal. Nicophène, en mode veille, resta impassible. Il respirait paisiblement, inconscient du cercle d'individus qui formait maintenant une ronde inquiétante autour de lui et de son jeune maître.

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