Serial killer

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Gurvan avait surpris le facteur par la fenêtre de sa chambre. Ce dernier était en train de lire son message secret, sorti du sac à dos du pigeon. Il ne pouvait pas prendre de risque. Il avait revêtu prestement le poncho noir de sa femme, partie tôt travailler, et avait saisi une pelle dans le jardin. Lui, était en vacances. C'était trop grave, il fallait qu'il se débarrasse du postier intrusif. D'un geste sûr et rapide, profitant du peu de vis-à-vis au bout de l'impasse, il avait asséné un coup de pelle mortel sur la tête du facteur qui gisait maintenant dans son sang.

Il récupéra le petit message dans la main fermée du facteur et le glissa dans sa poche. Il décrocha le sac à dos du pigeon. Il se demandait ce qu'il allait faire du cadavre, peut-être le laisser là. De toutes façons, il n'allait pas déplacer le trois-roues avec ses sacoches remplies de courrier. Paniqué, il resta figé sur place. Quelqu'un pouvait le surprendre, il cessa de réfléchir et rentra chez lui. Il jeta le papier et le petit sac à dos dans la cheminée et replaça le poncho de sa femme sur la chaise. Puis il fit les cent pas dans sa chambre en allant regarder par la fenêtre avec angoisse toutes les deux minutes. À dix heures du matin, l'impasse était peu fréquentée. C'en était fini de son colombier, les policiers ne tarderaient pas à venir l'interroger et à visiter les lieux. Mais ce n'était pas ce qui le préoccupait le plus. Il réalisait que son secret risquait d'être révélé et surtout qu'il venait de commettre un homicide.

Il aperçut la voisine, Mme Le Bihan, qui venait de faire la macabre découverte, en arrêt devant le cadavre du facteur. Elle saisit son portable, sans doute pour prévenir la police. Il se cacha derrière le rideau afin d'observer la scène. La police fut sur place cinq minutes plus tard, cinq minutes qui parurent une éternité à Gurvan. Elle effectua le gel des lieux et les premières constatations. La police technique entoura la scène de crime de rubalises. Le technicien prit des clichés, filma et recueillit des indices dans des sacs en plastique pour les enquêteurs. L'impasse commençait à se remplir de curieux. Il voulut les rejoindre quand soudain une voix retentit à la porte d'entrée :

- Police, ouvrez ! - C'était un jeune inspecteur qui venait l'interroger. On a retrouvé le facteur mort sur le trottoir en face de chez vous. Nous interrogeons le voisinage. Avez-vous entendu ou vu quelque chose ?

- Non, je n'ai rien entendu, je me suis réveillé tard, mentit-il

- Vous vous entendiez bien avec lui ?

- Oui, un brave homme.

- Vous serez entendu comme témoin au commissariat, vous ne devez pas quitter la région.

Gurvan bouillait intérieurement mais restait impassible. Peut-être un peu trop, il ne s'était pas montré très choqué par la nouvelle de la mort du facteur. Il serait entendu comme témoin et peut-être placé en garde à vue. Pendant vingt-quatre heures, il ne faudrait pas craquer.

Les indices sur place étaient rares. On ne retrouva que la pelle qui avait servi au crime, tachée de sang, contre un arbre en face de chez Gurvan. Cela ne le préoccupait pas trop. Il serait normal d'y trouver ses empreintes puisqu'elle lui appartenait. Ce serait normal aussi qu'on n'y retrouve pas d'autres traces d' ADN : n'importe qui avait pu s'en servir avec des gants. Quelqu'un, par exemple, qui aurait voulu le faire accuser à sa place. Les policiers revinrent avec une commission rogatoire pour perquisitionner le domicile et le véhicule de Gurvan. Ce dernier passa tout l'après-midi à tout remettre en ordre.

Le soir, Claire rentra pour dîner. Elle n'avait pas le cœur à cuisiner. Elle décongela des coquilles Saint-Jacques faites maison et sortit du réfrigérateur le reste de far aux pruneaux préparé la veille. Elle avait entendu parler du meurtre du facteur toute la journée au salon de coiffure. Et dire que cela s'était passé dans sa rue, juste devant son domicile. Elle ne parvenait pas à y croire.

- Tu te rends compte, mon chéri, et si le tueur recommençait ?

- Il ne faut pas tomber dans la psychose, dit-il sur un ton faussement calme, en mangeant sa coquille.

- Et si on partait en vacances chez tes parents à Agen, le temps que les policiers éclaircissent l'affaire ?

- Je n'ai pas le droit de quitter la région, chérie.

- Mais tu n'as rien à voir avec tout cela ! Tu as vu quelque chose ?

- Non, je dormais, balbutia-t-il.

Le lendemain, Gurvan reçut une convocation au commissariat de Quimper. Pendant les quatre heures d'audition, l'officier de police ne réussit pas à le faire craquer. Il répéta qu'il dormait au moment supposé du crime. Il n'y avait aucune preuve matérielle contre lui, si ce n'est l'arme du crime, et aucun témoin, il fut cependant placé en garde à vue. On l'interrogea sur ses relations avec le facteur, sur son colombier clandestin. À qui envoyait-il des messages ? Il ne craqua pas et fut libéré. Il sentait l'étau se resserrer autour de lui mais s'en tirait à bon compte. Il commençait à respirer plus sereinement.

Cependant il reçut un étrange SMS du jeune voisin qui habitait en face au bout de l'impasse. Ils s'étaient disputés jadis car le chien de Gurvan, Joe, aboyait toute la journée. Il lui demandait de le rejoindre à l'orée du bois du Frugy tout proche à vingt heures précises. Gurvan pressentit qu'il était important de se rendre au rendez-vous. Ce fut la boule au ventre et mal à l'aise qu'il rejoignit le jeune homme. Ce dernier lui demanda de le suivre jusqu'au belvédère. De là, en contre-bas, on voyait tout le centre-ville de Quimper et la cathédrale Saint Corentin en son milieu avec ses flèches qui s'élevaient à trente-six mètres. Ils firent mine de profiter du spectacle mais en réalité ils étaient là pour tout autre chose.

- Je n'irai pas par quatre chemins, je vous ai reconnu hier matin dans la rue, c'est vous qui avez tué le facteur. Je n'ai rien dit à la police.

- Que voulez-vous contre votre silence ?

- Une rente à vie, en espèces tous les mois.

Gurvan hésita un peu mais réalisa qu'il n'avait pas le choix. Il vida son portefeuille et lui tendit les billets. Le voisin prenait des risques en le faisant chanter ainsi. Il n'était pas bien malin. Il avait tué une fois, il pouvait recommencer. Il faudrait qu'il se débarrasse aussi de cet importun. Il devait déjà garder le silence sur son secret et sur le meurtre du facteur, il aurait également l'assassinat du voisin sur la conscience. Cette fois-ci le crime serait prémédité. Son cas s'aggravait. Après une courte réflexion, il décida de faire passer l'affaire pour une histoire de serial killer. Il attendrait son voisin un soir armé d'une bêche et lui assènerait un coup fatal sur l'arrière du crâne. Il replacerait ensuite la bêche ensanglantée sur le même arbre que la première fois.

Ce soir - là, il mit à exécution son funeste plan. Il avait revêtu le poncho de sa femme et la cagoule qu'il utilisait quand il faisait de la moto, pour éviter d'être reconnu. Il attendit le voisin. Il l'entendit qui rentrait chez lui, sifflotant gaiement, incapable d'imaginer ce qui allait lui arriver. Gurvan, accroupi, caché dans l'obscurité, derrière un massif de géraniums et d'agapanthes, commençait à être ankylosé. Il avait conscience qu'il allait commettre l'irréparable mais sa décision était prise. Quand le voisin approcha, il se leva et abattit la bêche sur sa tête de toutes ses forces. Il vérifia qu'il était bien mort et rentra rapidement chez lui pendant que son épouse lisait dans son lit. Malgré lui, il fit du bruit en refermant la porte d'entrée. Il réprima un juron. Il allait devoir se justifier. Il replaça le poncho sur le porte-manteau en hêtre dans l'entrée et rangea la cagoule dans un tiroir. Puis il rejoignit sa femme.

- Tout va bien, mon amour ? Que faisais-tu dehors ?

- Je cherchais Chaplin, il avait disparu.

- Bien, tu lui as mis des croquettes et de l'eau fraîche?

- Non, où ai-je la tête, j'y vais.





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