47 - Réception (1/2) (à réécrire)

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 – Votre Grandeur ! héla le conseiller en entrant dans le bureau.

 Debout devant la fenêtre, le monarque observait en contrebas les jardins plongés dans l’obscurité. Les ombres erraient entre parterres de fleurs et rosiers. Des convives ivres avant l’heure rejoignaient la salle de réception à la nuit tombée. Ce soir plus que jamais, la froideur du château s’était rappelée à lui et il pensait à son fils. Son fils absent, alors qu’il s’apprêtait à rejoindre les invités, conviés du fin fond du royaume et des royaumes voisins en vue d’une réception prévue de longue date.

 Quelle image de la monarchie donnerait-il, sans héritier à son bras ?

 Il se retourna et détailla l’homme malingre qui venait d’entrer dans la pièce. Sa présence le mettait mal à l’aise. Il ne l’avait jamais apprécié ; outre son physique ingrat, c’était sa fourberie et la tromperie qui suintait de chacun des pores de sa peau qui le rebutait. Encore un peu, et il veillerait à ce qu’il soit congédié. En attendant il tolérait sa présence, surtout parce qu’il était dans les bonnes grâces du Dragonium et que se mettre à dos l’Institution était bien la dernière des choses à faire.

 – Qu'en est-il du petit service que je vous ai demandé ?

 – Il a été fait selon vos désirs, votre Majesté.

 Matrick le Un le fixa longuement, espérant déceler la trace d’une quelconque perfidie, mais le conseiller resta de marbre. Le monarque se détourna et fixa à nouveau la fenêtre :

 – Autre chose ?

 – N-Non…

 – Vous n’avez donc rien à m’apprendre sur l’humiliation qu’a subi mon fils, je suppose ?

 A ces mots, le petit homme blêmit. Son corps se raidit, ses yeux s’affolèrent dans leurs orbites.

 – À en juger votre réaction, vous pensiez que je n'en saurais rien, continua Matrick. Mais croyez-vous sincèrement que déléguer les tâches ingrates à des subalternes dans votre genre suffise à ce que je m’en désintéresse ?

 Le conseiller rentra la tête dans les épaules.

 – Comment pensez-vous que je sois au courant ?

 – Je… Je ne sais pas, bégaya le petit homme.

 Matrick le Un quitta la fenêtre pour effectuer les cent pas. Son impatience se lisait dans ses traits ; éclairé par les seules bougies de la chambre et du feu dans l’âtre de la cheminée, il marqua un arrêt au niveau de son conseiller et s’approcha de lui pour lui susurrer à l’oreille :

 – Conseiller Ostrad, mon cher ami… Cela fait un moment que je vous ai à l’œil... Vous exercez certes une parfaite maîtrise dans l’art d’obéir aux injonctions, mais votre comportement à mon égard, et plus particulièrement toutes ces informations précieuses que vous passez sous silence, m’enjoint à douter de votre loyauté.

 Le conseiller retint sa respiration. Il perdait patience. Comment avait-il pu penser un instant que Sa Seigneurie se montrerait clémente ?

Pensif, Matrick le Un se dirigea à nouveau vers la fenêtre.

 – Figurez-vous que j'ai eu une discussion fort intéressante avec Maître Sena, reprit-il en fixant l’horizon à travers les carreaux. Et vos caprices, Ostrad, commencent sincèrement à m’agacer...

 – Je… Maître Sena ? Je n’ai jamais été informé de cet échange, avança-t-il, la voix tremblante.

 – Dois-je vous rendre compte de chacun de mes entretiens ?

 – Je… Bien sûr que non, Votre Altesse.

 – Maître Sena, voyez-vous, m’a tenu un propos très différent du vôtre, enchaîna-t-il. Il semblerait qu’il soit impossible de choisir son dragon, et que c’est l’œuf qui choisit son Maître, pas l’inverse. Et que ladite Fusion tant attendue puisse ne jamais avoir lieu, dans la mesure où pour cela, il faut encore qu’un de ces déchets de dragons choisisse mon fils !

 – Votre Grandeur... La famille royale a toujours été choisie jusque…

 – Ce qui ne nous laisse que deux possibilités, continua Matrick qui tournait en rond. La première : vous êtes un parfait imbécile. Vous n’avez pas pris la peine de vous renseigner et vous m’avez induit en erreur. Mais connaissant votre souci du détail, j’ai peine à imaginer que vous vous soyez fourvoyé. Ce qui ne nous laisse que la seconde possibilité : vous aviez parfaitement connaissance de ce détail et vous sciemment omis de me le mentionner !

 Le conseiller se jeta à ses pieds, tête baissée, mains jointes, dos courbé. Son regard se fit suppliant :

 – Mon Roi, Il n’a jamais été question de vous trahir ! laissa-t-il entendre. Il existe bien une troisième possibilité. Je… Nous avons tout prévu, pleurnicha-t-il. Le Souffle des Âmes. Nous devons récupérer le Souffle des Âmes. J’ai déjà donné ordre à ce qu’il soit remis à votre fils. Il aura son dragon, croyez-moi…

 Sceptique, Matrick lui accorda un bref regard. Est-ce qu’il disait la vérité ?

 – Je vous assure que tout sera fait selon votre désir, Mon Seigneur. À l’heure qu’il est, il devrait déjà être entre ses mains.

 Sa voix chevrotait. Matrick le Un serra les mâchoires et ravala sa colère.

 Sachez que c’est la dernière fois que je vous accorde ma confiance, Ostrad. Je n’apprécie guère être trahi. Si j'apprends quoi que ce soit d'inopportun vous concernant… Gardes ! Raccompagnez le conseiller à ses appartements !

 – Je vous suis entièrement dévoué ! Votre Grandeur !

 La voix du vieil homme lui parvint du couloir alors que sa garde le traînait en dehors du bureau.

 Matrick le suivit des yeux et son regard resta rivé sur la porte longtemps après qu’il eut disparu. Cette carne d’Ostrad avait tant servi le royaume que sa perfidie, miséreuse comme sa peau flétrie, le faisait vieillir avant l’heure. Fatigué, il se massa les tempes. Sa femme n’avait eu de cesse de le harceler toute l'après-midi, diffusant son venin à chaque morceau de phrase. Il n’en pouvait plus de son ton ironique, de ses sous-entendus disgracieux. Le son de sa voix remontait à ses oreilles, lui vrillant les tympans comme une harpie furieuse. Et voilà que ce stupide conseiller venait de lui arracher le peu d’énergie qu’il lui restait…

 Las, il décida de se préparer pour la soirée qui l’attendait et passa en revu ses tenues. Il se décida pour la robe d'honneur – pourpre brodée d'or – qu'il n'affectionnait pas particulièrement et repensa à Ostrad. Stupides dragons. Comme s'il n'avait pas assez de soucis à gérer pour devoir en plus s'assurer que le Dragonium ne mêlait pas son nez aux affaires du royaume.

 Il se faisait vieux. Ou plutôt, il vieillissait prématurément, accablé par de trop nombreux problèmes. Il vérifia son reflet dans le miroir : oui, il avait sale mine... Et comme pour le pousser à bout, une mèche de cheveux refusait de se ranger avec les autres.

 Frustré, Matrick jeta le peigne sur la commode et respira profondément. Qu'importe, les invités s'en accommoderaient. Il arrangea une dernière fois sa tenue, enleva un pli qui s’était formé à hauteur de son épaule, puis quitta ses appartements.

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