42 - Le Dragonium (à réécrire)

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 Une bourrasque s'engouffra dans l'escalier tandis que la jeune femme gagnait le sommet de la Dragonnerie. Dans la précipitation, elle en oubliait de reprendre son souffle et respirait comme une dragonne parée au combat. La minute était on ne peut plus sérieuse. Le Dragonium venait tout juste de débarquer sans prévenir, ce qui n'augurait rien de bon.

 Elle réarrangea ses cheveux d'un mouvement de la main, juste avant de déboucher sur la piste d'atterrissage où les cinq dragons s'étaient posés. Un rapide coup d'oeil lui permit de jauger la situation ; vue la taille et la prestance des créatures qui se dressaient devant elle, les Anciens prenaient la menace très au sérieux. Nicolaus. Il avait même envoyé son fidèle clébard : Kina Ellis. Autrement dit : ils étaient dans un sacré pétrin.

 – Vous ne pouvez pas débarquer ici comme ça, intervint Dame Calwaën en se dirigeant vers eux. Nous avions un accord, la délégation ne devait pas arriver avant une bonne semaine au moins !

 Un grondement sourd résonna dans la nuit, la stoppant net. Urak, l'énorme dragon noir dépêché par le Dragonium, déploya ses ailes, menaçant. Nullement impressionnée, Ella lui accorda à peine un regard.

 – Très chère Ella. Toujours présente là où les ennuis semblent poindre le bout de leur nez, lança Kina. Je vois que les bonnes vieilles habitudes ne changent pas.

 La silhouette élancée de la jeune femme s'avança vers elle ; Ella la jaugea de la tête aux pieds et constata que toutes ces années ne l'avaient pas rendue plus agréable. Sans se préoccuper d'éventuelles répercussion, elle planta son regard dans le sien :

 – Faites attention à ce que vous insinuez...

 – Sinon quoi ? Depuis quand disposez-vous de l'autorité nécessaire pour dicter au Dragonium ce qu'il est en mesure de faire ou non ?

 Dame Calwaën se mordit la langue. Le provocation n'en valait pas le sacrifice.

 – C'est bien ce que je pensais... Conduisez-moi à Maître Torrish.

 Ella jeta un rapide coup d'oeil à ses acolytes. Hormis son bras droit qu'elle avait déjà croisé au cours de précédentes missions, elle reconnut la jeune femme qui se tenait dans l'ombre des tours. Comment s'appelait-elle déjà ? Elle avait son nom sur le bout de la langue.

 – Nicolaus réagit bien fortement pour un simple collier, lâcha-t-elle. Surtout quand on sait que la passe du Sud accuse les assauts de l'ennemi depuis des mois et que le Dragonium ne daigne pas apporter son soutien pour autant.

 La frêle silhouette qu'elle avait repérée près des tours disparut soudain. Aussitôt, un puissant malaise se glissa en elle tandis que tout son corps l'appelait à la méfiance. C'était plus fort qu'elle. En moins d'une seconde, elle vit défiler le sourire en coin sur la bouche de Kina. Ses jambes se raidirent, sa vision se troubla. Une puissante envie de meurtre contre laquelle elle peina à lutter s'immisça jusque dans ses tripes.

Non !

 Tout alla très vite. Le bruit d'une lame effilée tinta à ses oreilles, et alors qu'elle réintégrait ses sens, elle devina à la froideur de l'acier contre sa peau la présence d'une tierce personne dans son dos. Renata cacha à peine la satisfaction que lui procurait cette scène.

 – Pour vous, ce sera Maître Kosha. Le moindre geste déplacé de votre part, et le Dragonium saura vous rappeler votre place.

 – Pourquoi un tel acharnement ?

 Un membre du comité s’apprêta à réagir, mais un seul geste de la femme suffit à le faire taire. Elle était intelligente, avait autorité et contrôlait les membres de sa délégation d’un battement de cil.

 – N'allez pas croire qu'il plait au Dragonium d'intervenir dans pareille situation. Le rapport qui nous a été remonté fait état de nombreux morts. Le coupable n'a toujours été retrouvé : la situation outrepasse visiblement vos compétences. C’est ce qui arrive quand la personne en charge fait preuve d’un certain laxisme.

 Sur ces mots, elle fit signe à ses confrères de la suivre et la planta là. Dame Calwaën la regarda s’éloigner, perturbée ; ses cheveux blonds retombaient souplement sur ses épaules, sa combinaison trahissait la concision de ses gestes. Elle était forte. Dangereuse. Intouchable. Divine. La tenue de Dame Kina épousait tant bien ses formes qu’on en oubliait le venin qui s’écoulait de sa bouche. La défaite avait un goût amer : dès qu'ils auraient vent de l'incident, le vol du Souffle des Ames serait précisément l’évênement qui justifierait l'emprise de l'Institution sur les Dragonneries, et cet infime détail l’inquiétait.

 Cela faisait de longs mois que Nicolaus Kosha – et plus généralement le Dragonium – s’octroyait le droit d’intervenir quand bon lui semblait. À l’origine, le comité avait eu pour mission de contrôler les dérives liées à l’apparition de dragons sauvages. Mais au fil du temps, et parce que l’existence des dragons sauvages était intimement liée à celles des humains, le Dragonium avait peu à peu pris de l’importance. Trop d’importance. À l’heure actuelle, plus aucun royaume des Huit n’osait s’opposer à ses décisions. Même Matrick le Un y réfléchissait à deux fois.

 Ella soupira gravement, résignée qu’elle était à se soumettre aux décisions du Dragonium, aux décisions d’un Héros qui ne lui avait jamais inspiré le respect. Kosha était fort. Son dragon figurait parmi les plus impressionnants. Mais Kosha l’Immortel – ainsi qu’on le surnommait au vu du nombre de missions réussies – était un homme de pouvoir. Un homme d’apparence, qui recherchait en tout point le profit. Et c’était précisément ce détail qui l’inquiétait : dragons et ambition ne faisaient jamais bon ménage.

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