48 - Réception (2/2) (à réécrire)

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 Il descendit les grandes marches qui menaient au hall accompagné de sa garde. En arrivant aux abords de la salle de réception, la vue de tous ces convives aux allures hypocrites lui donna la nausée. Pour l’occasion, on avait décoré le hall à l’effigie du royaume : des parures assorties à sa tenue qui se dressaient contre les murs. Avec un peu d’imagination, on aurait même pu croire sa robe taillée dans un rideau. Il faudrait qu'il songe à changer d'artisan, prochainement.

 Matrick tenta de gagner discrètement le buffet de l'autre côté de la salle, seul détail réellement intéressant de cette soirée. Des quantités de mets irrésistibles, tous plus sucrés et gras les uns que les autres, attendaient de faire le fruit d'une intense dégustation. D'un œil expert, il repéra un pâtée de sanglier assorti d'une garnison fleurie qu'il enfourna avec un plaisir certain. Il n'avait pas chaumé sur la sélection des cuisinières ; d'un bon repas naissaient toujours de bonnes négociations, et en ça, il n'avait rien à envier aux royaumes voisins.

 Il se fit alpaguer au moment où il enfournait pour la troisième fois ses gourmandises ; une main posée avec délicatesse sur son bras qui lui fit tourner la tête, à regret. Les affaires reprenaient.

 – Mon Seigneur, lança la femme d'un enthousiasme débordant. Il me tardait de vous revoir !

 Le regard de Matrick se posa d'abord sur son visage, s'éleva vers sa coiffure gargantuesque qui pointait comme une girouette au plafond, puis plongea tout aussi rapidement dans son décolleté outrageux.

 – Dame Jesea ! s'exclama-t-il en arborant ce fameux sourire mielleux qu'il gardait en réserve pour les invités de premier choix.

 Il eut envie de rire. Il existait une limite invisible à ne pas franchir entre raffinement et vulgarité, et cette femme... Ces faux battement de cils, cette bouche tartinée de… de quoi, au juste ? Il loucha une fraction de seconde sur ces lèvres trop charnues à son goût et les imagina s’écraser sur sa joue. Son cœur manqua un battement.

 – Comment se passe la vie à Sanol ? s'entendit-il demander malgré lui.

Comme si ma vie n’était déjà pas assez remplie pour que je ne me préoccupe en plus de celle des autres.

 – Oh, vous savez, ils viennent d'y construire une Dragonnerie, gloussa-t-elle.

 Ses lèvres dévoilèrent une rangée de dents sur laquelle avait bavé son maquillage. Nouveau sourire mielleux.

 Alors c'était comme ça ? Des dragons. Encore des foutus dragons ! Décidément, ces monstres le pourchassaient !

 Alors qu’il cherchait un moyen définitif pour se tirer d’affaires, une femme élégante, vêtue d’une longue robe verte, s’approcha. Les lumières de la salle se reflétaient sur ses longs cheveux roux aux boucles soyeuses. D’un geste appliqué, elle les repoussa en arrière, puis vint se placer aux côtés du monarque.

 – Ah, Catherine ! dit-il en avisant sa femme. Tu arrives au bon moment.

 Elle esquissa un sourire crispé et passa, d’un air entendu, son bras autour de celui de son mari.

 – Dame Jesea, voici mon épouse, Catherine. Vous avez peut-être déjà eu l’occasion de faire connaissance ?

 Les cils de son interlocutrice s’affolèrent. Dame Jesea secoua la tête en rougissant. Elle agissait comme une amante prise sur le fait. Il se tourna alors vers Catherine, et les paupières se plissées, étendit ses lèvres dans un sourire qui voulait tout dire :

 – Vous devriez bien vous entendre.

 Matrick sentit la main de sa femme lui écraser le bras. Elle lui lança un regard assassin accompagné de son – ô trop célèbre – sourire sarcastique. Longuement, ils se dévisagèrent.

Petite vengeance personnelle pour cet après-midi, pensa-t-il.

 Elle était plus mignonne quand son caractère s'accordait à sa tenue : sa robe était charmante, le tissu épousait ses formes à merveille... Mais non. Il fallait qu'elle gâche tout avec ce foutu caractère !

 Ennuyé par la tournure que prenait la réception, il gratifia les deux femmes d'un sourire aussi hypocrite que cette soirée mondaine et s'en alla passer sa frustration sur les petits fours. Catherine n'était pas du genre à se laisser faire. Elle lui ferait payer cet affront mais qu'importe : il préférait de loin ses représailles à l'assaut d'une femelle en chasse. Hargneux, il se rabattit sur une verrine de poisson en sauce quand un rire tonitruant retentit dans son dos.

Pas encore...

 – Matrick, mon ami !

 Un bras amical l’arracha au buffet et il se retrouva bien malgré lui à donner l’accolade au Seigneur d’Omont, dans de grands gestes amicaux qui le mirent mal à l’aise. Lorsqu’il se fut enfin échappé de son étreinte, il recula, sonné.

 – Rodrig. Quelle surprise… articula-t-il. J’ai ouï dire que vous aviez séjourné à Calestra… ?

 – Une bien belle forteresse, mon ami, une bien belle forteresse. Malheureusement, nous n’avons pas pu y rester. Des affaires plus urgentes nous ont ramenés à Omont.

Des affaires plus urgentes ?

 Son confrère venait brusquement d'attiser sa curiosité.

 – D’ailleurs, vous n’imaginez pas à quel point votre invitation nous a touchés, Matrick. Votre femme est merveilleuse, vous savez ?

 Matrick retint un petit rire moqueur. Merveilleuse, en effet… Il avait volontairement tenu le Seigneur à l’écart de sa réception et découvrait par là-même que sa chère épouse s'était permise de leur faire parvenir des invitations dans son dos...

 Qu'elle aille se faire dévorer par un dragon en rut !

Matrick, contrarié, décida de faire bon accueil. Il attrapa un verre de vin, ainsi qu’un second qu’il tendit à son fameux ami, et enchaîna :

 – J'attendais de vos nouvelles. Je suis heureux de constater que vous avez fait bonne route. De récentes affaires ?

 – Du sang entre nos murs... Une affaire sordide. Je ne vous cache pas que la situation est délicate, avança Rodrig.

 – Et vous savez qui est responsable ?

Le Seigneur lâcha un long soupir :

 – Pas encore, malheureusement. Ma femme n’en dort plus de la nuit et je vous avouerais que je me fais du souci pour notre fille. Si quelque malotru peut s’introduire entre nos murs, c’est qu’il en va de la sécurité du Royaume.

 Matrick acquiesça en silence. Rodrig paraissait préoccupé. Non pas que la situation ne fut pas grave, mais il devait y avoir un détail qu’il n’avait pas révélé car il n’avait eu de cesse de faire tourner le verre entre ses doigts.

 – Pour être honnête, nous redoutons des révoltes et considérons très sérieusement de forger une alliance pour affermir notre position en tant que souverain. C'est pour quoi...

 Rodrig se pencha vers son oreille et chuchota :

 – C'est pourquoi si vous connaissez un bon parti à nous présenter...

 Pris d'intérêt, Matrick releva un sourcil.

 – Un parti ?

 – Pour notre fille, murmura le Seigneur d'Omont. En assurant notre sécurité, nous nous assurerons de la sienne, et par là même, nous renforcerons le pouvoir déjà en place. Vous comprenez ?

 Matrick, qui semblait perdu dans ses pensées, ouvrit alors de grands yeux. Ces mots étaient les premiers de la soirée à lui arracher un sourire. Un vrai sourire. Son cerveau se mit en marche, ses pensées s'emballèrent, alors qu'une vive lueur de conquête animait soudain son regard. Il fondait déjà de nouveaux plans.

 – J’ai bien un parti qui pourrait lui convenir, répondit-il.

 Il tendit sa main au Seigneur, qui la saisit.

 – Ce serait un honneur.

 Rodrig acquiesça :

 – Un honneur.

 Et d’un commun accord, ils scellèrent le pacte qui devaient les unir. Matrick partit dans un énorme rire, bientôt imité par son nouvel ami ; l’avenir lui appartenait enfin. Un avenir glorieux, un avenir à la mesure de sa personne : un avenir qui allait le faire entrer dans l’histoire.

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