29 - Convalescence (à réécrire)

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 Son corps entier semblait se déchirer. Elle mit plusieurs minutes à reprendre ses esprits ; un Maître gardait l'entrée de la tente, elle le savait parce qu'en tournant la tête, elle avait remarqué sa combinaison noire typique. Son crâne l'élança jusque dans l'épaule lorsqu'elle tenta de se redresser. Ses côtes douloureuses la firent vriller et elle s'affala à nouveau sur la paillasse. Que n'avait-elle pas donné pour terminer cette épreuve. Sa tête bourdonnait comme comme le roulement du tonnerre un soir de tempête.

 – Reste couchée, lui intima une voix qui lui parut familière. C'est moi, Dame Calwaën. Tu es mal au point mais tu seras vite sur pieds.

 – Que m'est-il arrivé ?

 Elle peina à reconnaître sa propre voix tant celle-ci lui parut faible.

 – Le lien aurait dû s'estomper de lui-même, mais pour une raison qui nous échappe, il a perduré.

 – On pouvait le faire disparaître nous-même ?

 – Normalement, c'est ce qui se passe quand l'un des deux court un grave danger. Mais dans votre cas, pour une raison qu'on ignore, ton partenaire a pu puiser en toi plus d'énergie qu'il en est de coutume et cela aurait pu avoir de graves conséquences.

 Les yeux de la jeune femme brillèrent de vives flammes lorsqu'elle se pencha sur elle pour vérifier sa température. Yuling était heureuse d'en avoir terminée, mais également inquiète de la suite des événements. Qu'adviendrait-il d'elle ? D'eux ? Avait-elle compromis les chances du garçon ?

 – Comment va-t-il ? demanda-t-elle d'une petite voix. – Il se remet tranquillement, vous êtes arrivés à temps, mais un peu plus et les choses ne se seraient pas terminées de la même façon. Pendant un moment, la jeune fille ne répondit pas, grave.

 – Est-ce que ça compromet nos chances de réussite ? Dame Calwaën s'assit sur la paillasse et sembla chercher ses mots :

 – Je ne vais pas te mentir : ça cause en effet un sérieux problème. Aucun Maître digne de ce nom ne permettrait à un candidat qui a frôlé la mort de se lancer à corps perdu dans un entrainement qui drainerait le peu d'énergie qu'il lui reste.

 – Il est hors de question que j'abandonne, rétorqua-t-elle. Quel Maître digne de ce nom abandonnerait un élève qui a tout donné pour réussir ? Sa poitrine se serra.

 – Et comment comptes-tu t'y prendre dans ton état ?

 – Ça, ça me regarde. Des larmes de rage coulèrent sur ses joues rougies ; elle voyait déjà s'échapper tout ce pourquoi elle s'était battue. Ça signifiait rentrer chez elle, retrouver ses parents. Retrouver les personnes de son village qu'elle exécrait tant. Abandonner son rêve et surtout : abandonner Mees. Il n'en était pas question ! Une quinte de toux lui échappa, réveillant une douleur jusque là endormie. Yuling poussa un gémissement.

 – Tu as trois côtes cassées, l'avertit la jeune femme. Pour l'instant tu dois te reposer, on verra la suite quand tu seras remise.

 – Et mon œuf ?

 Yuling essaya de se redresser et chercha partout autour d'elle. Elle finit par les repérer à son chevet, sur un sac de fortune.

 – L'épreuve est terminée, lui indiqua Dame Calwaën. Personne ne viendra te les prendre. Repose-toi.

 Après une dernière vérification pour s'assurer qu'elle ne manquait de rien, la jeune femme quitta la tente en lui intimant de ne rien tenter de stupide. Mais il était hors de question qu'elle laisse son destin lui échapper de la sorte. Où était Solrik, d'ailleurs ? Au prix d'intenses souffrances, elle entreprit de se relever. Son corps n'était qu'un ramassis de courbatures et d'ecchymoses ; le prix à payer, pensait-elle, pour intégrer le summum de la société. Ses jambes manquèrent la lâcher lorsqu'elle prit appui dessus. Depuis combien de temps l'avait-on laissée pour compte ?

 Il n'en serait pas ainsi.

 Déterminée, elle récupéra son œuf et se traîna jusqu'à l'entrée de la tente. Ses genoux tremblaient, prêts à lâcher. Son cœur battait si vite qu'elle respirait comme un dragon à l'agonie. Elle reprit son souffle contre le chêne qui offrait un peu d'ombre aux tentes plantées devant le mur, et suivit du regard les autres candidats.  

 – Pour la validation de l'épreuve, c'est par là ! lui indiqua un Maître en désignant les portes.  

 – Merci...  

 Elle s'éloigna complètement déboussolée vers la file de candidats qu'elle venait de repérer et releva la tête jusqu'aux tours qui disparaissaient au milieu des nuages. La Dragonnerie s'élevait si haut qu'observer le ciel lui donnait le tournis. Le bâtiment semblait dater d'un autre âge et s'exprimait dans la pierre aussi sûrement que la Guilde des Alchimistes s'était parée d'or. Il avait été érigé par un esprit brut, austère, un esprit dressé contre le monde qui pouvait sembler dur aux premiers abords, mais qui avait fait le serment de protéger les siens.

  Yuling effleura la roche du regard, particulièrement émue par le sentiment d'appartenance qui naissait en elle. La Dragonnerie serait son foyer, elle en était intimement persuadée.  

 – Suivant ! cria le Maître.

 Les candidats s'annoncèrent rapidement, et bientôt ce fut à son tour.

 – Votre œuf ? Je le récupère.

 Le Maître avait une trentaine d'années, les cheveux longs et roux, un visage opalin. A côté de lui, un de ses confrères notait le nom des élèves ayant passé les portes de la Dragonnerie.

 – Est-ce que vous n'auriez pas vu passer un candidat ? Il est blond, il porte une tunique. Il s'appelle Solrik.

 Le Maître acquiesça.

 – Mmm... Nous sommes en train de lui prodiguer des soins, il était particulièrement mal en point quand il est arrivé.

 – J'ai son œuf, précisa Yuling en le lui tendant. Et voici le mien. Le Maître les récupéra et signifia à son confrère de noter le nom de la jeune fille sur la liste.

 – Et pour lui ?

 – Ça risque d'être difficile. Les candidats sont censés passer la porte sur leurs deux jambes.

 Yuling sentit une boule d'angoisse lui dévorer les entrailles. Hésitante, elle remercia les deux Maîtres et regagna sa tente. Elle se sentait responsable de la tournure qu'avaient pris les événements. Si elle n'avait pas perdu le premier œuf, Solrik n'aurait pas essayé d'en récupérer un autre et à l'heure actuelle, elle serait peut-être encore dans la montagne. Elle ressentait une part de soulagement à ce que les choses se soient passées autrement ; elle pourrait revoir Yör un jour et répondre à la promesse qu'elle lui avait faite de veiller sur son dragonneau. Elle pourrait retrouver son frère.

 A peine eût-elle regagné sa paillasse, qu'une voix fluette l'interpella :

 – Yuling ?

 Elle reconnut immédiatement la fine silhouette d'Ewa, qui se précipita dans sa direction.

 – J'ai entendu au camp que Solrik avait eu des soucis, c'est comme ça que j'ai su que tu étais là. Qu'est-ce qu'il t'est arrivé ?

 Sa présence lui fit autant de bien que de savoir que Solrik était entre de bonnes mains. Elle esquissa un sourire qui bien vite se transforma en un petit rire, lequel devint une toux qui lui transperça le dos d'une violente douleur.

 – Je vois que tu as réussi, laissa-t-elle échapper, soulagée. Ne t'inquiète pas, juste quelques côtes cassées, ça devrait se remettre en un clin d'œil...

 Ewa fit une drôle de tête mais se garda de tous commentaires.

 – L'abruti qui me servait de partenaire a bien failli décéder trois fois en trois jours, soupira-t-elle. Et on a croisé les dragons une dizaine de fois au moins : je crois avoir sprinté pour le restant de mes jours. Je me demande comment je suis encore en vie, surtout avec ce crétin qui me suivait partout. S'il ne s'était pas appliqué à nous faire repérer, je serais arrivée bien plus tôt.

 – Vous avez réussi l'épreuve...

 – Rectification... J'ai réussi l'épreuve, précisa-t-elle en roulant des yeux. Dès que le lien s'est brisé, j'en ai profité pour filer. C'était ça ou je pouvais dire adieu à mon dragon. J'ai fini par rejoindre un autre groupe et j'ai terminé avec eux. Mais par pitié, plus jamais d'épreuve en équipe.

 Yuling se retint de rire. Pour elle, c'était l'inverse qui s'était produit. Elle avait été agréablement surprise de sa collaboration avec son partenaire.

 – D'ailleurs, à un moment on est tombé sur un cinglé qui lançait des boules de feu.

 Yuling devint grave.

 – Une cinglée. On l'a croisée aussi, lâcha-t-elle.

 – C'était une fille ? Parce qu'elle a totalement brûlé notre sac le premier soir et nous a suivi pendant deux heures. Ils devraient vraiment songer à trouver un meilleur moyen de faire le tri. Et toi ? s'enquit-elle en remarquant les vêtements déchirés de Yuling.

 La jeune fille fit la grimace, fatiguée. 

 – En tout cas, si je dois devenir un Héros, j'espère seulement que mon dragon volera parce que je ne me sens vraiment pas de devoir me retaper toute la montagne à pied... 


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