28 - Arrivée (à réécrire)

7 minutes de lecture

 Yuling traîna Solrik sur son dos un moment, le souffle court, la tête embrumée par l'effort. A mesure qu'elle approchait de la Dragonnerie, des sifflements stridents se faisaient entendre du ciel. La jeune fille releva la tête et aperçut des boules de feu se précipiter vers l'ouest, une difficulté supplémentaire qu'elle n'avait pas vu venir : le gros des candidats les attendrait à l'arrivée pour voler les œufs. Comment parviendrait-elle à terminer l'épreuve ?

Réfléchir, ne pas agir dans la précipitation... Oui, Mees prendrait le temps de se poser.

 Yuling ralentit l'allure, vérifia son sac et repositionna Solrik sur son épaule. Après tout, personne n'était certain de la finalité des épreuves. Que cherchaient-ils réellement ? A tester leur endurance ? Très probablement. Quoi d'autre ? Envisageaient-ils sérieusement de garder des candidats cruels ? Sa bouche se tordit ; avec Solrik dans cet état, jamais elle n'atteindrait le point d'arrivée. On lui volerait ses œufs avant et elle ne pourrait pas se défendre.

  Le garçon gémit doucement. Son état lui faisait de la peine mais son visage semblait peu à peu regagner des couleurs. Son soulagement fut cependant de courte durée car d'importantes masses d'air se mirent soudain à soulever la végétation. Instinctivement, elle releva la tête. Elle ne prit conscience du danger qu'au moment où elle entendit crier à travers les bois :

 – Courrez, ils sont là !

 Juste au dessus de sa tête, dans le ciel, se tenaient deux gigantesques dragons. Un Rouge et un Vert ambré, le cou tendu, les ailes déployées.

 – Courez !

 Prise d'un sentiment de panique, Yuling repositionna le garçon et prit la fuite. Ils avaient tous à l'esprit le carnage qu'avait été le premier soir et personne ne souhaitait être le prochain sur la liste des morts. A bout de souffle, elle avança aussi vite qu'elle le put, trébuchant, la poitrine en feu.

Si jamais on sort d'ici vivants, tu me revaudras ça ! grogna-t-elle à bout de nerfs à l'intention du garçon.

 Dans son dos, deux candidats surgirent et se figèrent en l'apercevant. L'un jeta un œil à son sac, l'autre l'en dissuada et tira son partenaire par la manche, lui désignant les deux dragons à travers le couvert des arbres. Ils déguerpirent avant même qu'elle n'ait eu le temps de refermer la bouche.

Certains vont vouloir récupérer leurs œufs, devina-t-elle. Ils se serviront de leur magie et on sera renvoyé à Anyor en moins de temps qu'il n'en faut pour atteindre cette foutue Dragonnerie !

 Mais ça, il n'en était pas question. Elle venait tout juste d'atteindre la lisière quand deux énormes boules de feu s'écrasèrent sur la plaine, devant elle. De l'autre côté se dressait la Dragonnerie ; elle s'élevait comme un roc au milieu du ciel, imposante et majestueuse, à l'image d'un tableau qui aurait pu parfaire la collection de la guilde des alchimistes. Yuling en resta muette.

 – Je crois qu'on est arrivés, murmura-t-elle pour elle-même.

 Dans la plaine, la fumée se dispersait peu à peu, dévoilant d'énormes traces noircies au sol. Yuling retint son souffle. Etait-ce les dragons qui avaient fait ça ? Une violente déferlante s'abattit sur elle, un air glacial qui n'avait rien de naturelle. Prise de torpeur, elle se retourna pour remarquer deux candidats en aval qui l'avaient prise pour cible.

 Solrik !?

 Le garçon venait à nouveau de gémir et elle sentit son poids peser un peu plus. Elle sentait sa respiration saccadée à travers ses habits ; ses poumons qui se gonflaient rapidement, comme s'il peinait à trouver l'air qui le maintenait en vie. Et plus son état empirait, plus Yuling sentait ses forces la quitter. Etait-ce un transfert ? Etait-ce à ça que servait le lien ?

 Un puissant bruit sourd emplit les airs, suivit d'un coup de vent si violent qu'il manqua la déséquilibrer. L'effroi, la peur de se voir échouer si près du but. Les tambours de la Dragonnerie résonnaient dans l'air et avec eux, la promesse d'un futur victorieux. Elle y était presque. Mees ne se serait jamais permis d'échouer.

Et le lien qui disparait...

 Le fil fluorescent avait de nouveau viré au rouge mais son intensité diminuait de plus en plus à mesure que les secondes s'écoulaient. Yuling devint livide. A bout de forces, elle avança sur la plaine. Un mélange de déception et de colère brillait dans son regard. Elle détestait se sentir si faible, inutile aux yeux de son partenaire. Cible idéale aux yeux de ses adversaires. Elle serra les dents et traina le garçon.

 – Je te préviens tu n'as pas intérêt à mourir sous ma responsabilité !

 Ses muscles tiraient tant qu'elle avait l'impression que son corps entier partait en lambeaux. Ses articulations, pareilles à deux morceaux de métal rouillés, s'entrechoquaient à chaque foulée. Elle tira, rala, le souffle rauque d'effort. Mais elle n'abandonna pas. Bientôt son corps tout entier sembla se disloquer quand une gerbe d'étincelles l'atteignit à la cuisse. La jeune fille accusa le choc dans un cri et se retourna. Un candidat, les mains flamboyantes d'un feu dont lui seul avait le secret, l'avait prise pour cible. C'était fini. Jamais elle ne parviendrait à atteindre la Dragonnerie.

 Des candidats déboulèrent du couvert des arbres et traversèrent la plaine. En moins de temps qu'il n'en fallu, ce fut le chaos. Entre ceux qui usaient de la magie pour se frayer un chemin ou récupérer des oeufs de dernière minute dans l'espoir de réussir l'épreuve.

 Yuling se mit à paniquer. A côté d'elle, Solrik semblait s'enfoncer de plus en plus dans un sommeil fiévreux tandis que le lien s'atténuait de plus en plus. Elle chercha son poult. Il battait si faiblement qu'elle eut du mal à le sentir, et en relevant la manche de sa tunique, elle tomba sur de larges brûlures. Il avait besoin de soins.

 A bout de force, elle ferma les yeux en une prière silencieuse.

Mees, donne-moi la force. Donne-moi le courage. Je ne t'oublierai pas, je promets de te retrouver.

 Sans plus réfléchir, elle chercha à se relever en titubant et entreprit de tirer le garçon, mais il était trop lourd, et elle tenait à peine sur ses jambes. Elle tira, tança les muscles de son corps de lui obéir. Des cris fusaient dans la forêt. Les dragons s'étaient éloignés un peu, ce qui lui laissait une maigre marge de manoeuvre.

 Petit à petit, elle parvint à le trainer ; mais bientôt les dragons revinrent à la charge et les candidats courrurent en hurlant.

 – Ne reste pas là ! entendit-elle crier dans son dos.

 Le garçon qui venait de l'apostropher l'attrapa par le bras et l'encouragea à le suivre.

 – Je ne peux pas, rétorqua-t-elle. Je ne peux pas le laisser !

 Il s'arrêta dans son élan pour la fixer de ses yeux vert. Il avait le teint hallé des pêcheurs du sud. Un air à la fois déterminé mais compatissant, et surtout, les cheveux rouge comme le sang. Pourquoi ne l'avait-elle pas vu avant ?

 Il la jaugea un instant, puis sans la quitter des yeux, se pencha vers Solrik pour vérifier sa respiration.

 – Il est vivant.

 – Bien sûr qu'il est vivant !

 – Plus pour longtemps.

 Il lui attrapa le poignet et vérifia la teneur du lien. Les particules rouges avaient presque disparu. On les devinait à peine tant elles semblaient lutter pour ne pas s'éparpiller. Il se redressa d'un coup pour prendre son pouls à elle, puis après quelques secondes, soutint son regard d'une telle intensité qu'elle se sentit vaciller.

 – Comment tu fais ?

 – C...Comment je fais quoi ? s'interpella Yuling en repoussant sa main de son cou.

 Il la fixa trois secondes encore, avant de laisser tomber.

 – Non, rien. On y va.

 Et sans un mot, il se baissa pour attraper Solrik. Elle l'aida à le caler sur son épaule, tandis qu'elle tentait de recouvrer ses esprits. Elle était si fatiguée que la plaine semblait tanguer. La vision de Yör résonnait comme la promesse d'une mort imminente. Yör, que la convoitise des humains avait contrainte à se terrer dans le fond d'une grotte. Yör, débordante d'un amour emplit de haine pour le monde qui l'avait condamnée.

 Pas encore !

 Ses pas la portaient toute seule. Elle n'avait plus qu'à demi conscience des éléments qui l'entouraient. Elle suivait comme son ombre la silhouette devant elle, épuisée par l'épreuve des derniers jours. Un sifflement fusa si près de ses oreilles, que le monde se mit à bourdonner. Puis la boule faillit, si rapide que Yuling retint son souffle au moment d'encaisser le choc. Dévorantes, les flammes s'écrasèrent sur ses bras, générant une douleur si intense qu'elle manqua tomber à genoux. Par le sang des dragons, que ça faisait mal !

 Pas encore !

 – Reste avec moi, entendit-elle crier.

 Son coeur tambourinait comme un forcené dans sa poitrine. Dans le ciel, les dragons saisirent l'instant pour lancer une nouvelle salve de flammes. Des hurlements de terreur s'élevèrent jusqu'aux tours de la Dragonnerie ; des candidats totalement dépassés, qui gémissaient et pleuraient le nom de leurs parents. Sans attendre, elle courut en direction de la Dragonnerie. Son dragon, la Dragonnerie, son oeuf. Son coeur accélera comme le roulement du tonnerre. Elle ne laisserait pas tomber. Son dragon, la Dragonnerie, son oeuf. La Dragonnerie, l'oeuf. Son dragon ! Son dragon ! Son dragon !

 Son dragon !

Annotations

Vous aimez lire Gwenouille Bouh ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0