26 - Le campement

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 – Tu crois qu'il fait parti des Apprentis ? murmura la jeune fille.

 – Je ne sais pas. J'ai aperçu des gardes qui surveillaient la forêt. On dirait leurs habits.

 – Tu crois qu'on risque quelque chose ? lâcha Yuling en se redressant.

 Solrik se jeta aussitôt sur elle pour la plaquer au sol.

 – Reste couchée, tu vas nous faire repérer !

 Elle lui fit les gros yeux et tenta de le repousser, mais le garçon lui maintint les poignets.

 – Tu n'as pas l'impression que quelque chose cloche ? S'il s'agit vraiment d'un Maître, il devrait avoir un dragon. Or il n'y a pas de dragon.

 – Il s'est peut-être absenté, nota-t-elle en cessant de se débattre.

 – Ou peut-être qu'il n'y a jamais eu de dragon.

 – Qu'est-ce qu'il ferait là ?

 Solrik haussa les épaules sans le lâcher du regard. Peut-être qu'il avait raison de s'inquiéter ; après tout, même la Dragonnerie s'était retournée contre eux le premier soir et aucun ne savait exactement de quoi retournait cette épreuve. Elle loucha sur son sac, à quelques pieds d'elle. Il fallait qu'elle le récupère sans qu'il les aperçoive.

 – Tu crois qu'il est là pour les œufs ?

 – On dirait qu'il parle à quelqu'un, fit-il remarquer, les sourcils froncés.

 Puis il releva soudain le nez et se mit à humer l'air.

 – Tu ne trouves pas que ça sent bizarre ?

 Yuling se concentra sur les effluves qui parcouraient le sous-bois ; pin, feuilles mortes et terre humide, ainsi qu'une légère odeur qui n'avait rien de naturel.

 – De la viande grillée...

 Son estomac se rappela brusquement à ses sens : deux jours qu'ils n'avaient pas mangé convenablement malgré l'effort.

 – On ferait mieux de remballer nos affaires ou ils vont nous repérer.

 Solrik l'arrêta d'une main sur l'épaule.

 – Mieux que ça, on va te récupérer un œuf !

 – Il en est hors de question. Réfléchis un peu : si nous les avons retrouvés à l'odeur, combien de groupes les repèreront ? Ils vont tous chercher à se rapprocher pour récupérer la nourriture...

 Il se moqua d'elle :

 – Tu as peur...

 – Bien sûr que oui, j'ai peur. Il faudrait être fou pour ne pas avoir peur entre ce qui nous est arrivé et ce qui risque de nous tomber dessus si...

 Yuling fixa, interdite, la berge où ils avaient entraperçu l'individu :

 – Il a disparu... nota-t-elle. Tu crois qu'il est avec eux ?

 – Allons chercher ton œuf, comme ça on sera fixés ?

 Il marquait un point.

***

 Ils repérèrent le groupe en début d'après-midi. Entre la brise qui portait leurs odeurs et les traces qu'ils laissaient en se déplaçant, la moitié des candidats les avait déjà probablement repérés. Ils étaient neuf, ce qui expliquait peut-être leur manque de précaution. Qu'était-il advenu du dixième, Yuling se posa la question en jouant avec les fines particules qui la reliait à Solrik. Avait-ils trouvé un moyen de se débarrasser du fil du destin ? A quoi servait-il exactement ?

 – On devrait attendre de croiser un groupe moins important, insista Yuling qui argumentait pour ne pas tenter une mission suicide.  

 – L'avantage de ce groupe-ci, c'est qu'il ne se méfie pas. Ils sont persuadés que personne n'osera tenter quoique ce soit à cause de leur nombre... Et pour cause...

 – Et s'ils nous repèrent avant ?

 – On ne devient pas Dragonnier sans goût du risque.  

 Énervée, Yuling se mordit la lèvre et faillit tomber en se prenant les pieds dans une racine. Le garçon la rattrapa de justesse.

 – Si tu ne les avais pas laissé prendre ton œuf, on n'en serait pas là, lui rappela-t-il.

 – Et si je n'avais pas été là, tu serais mort étranglé, grogna-t-elle en lui tournant le dos.

 Ils suivirent le groupe à bonne distance jusqu'à la tombée de la nuit. Le plan était simple : diviser tout en se servant du terrain pour les affronter. Ils identifièrent rapidement le chef ; Elbo, un garçon proche de l'âge adulte mais qui contrairement au groupe précédent, semblait moins enclin au conflit. Puis il y avait Astria, sa seconde. Ensemble, ils répartirent rapidement les tâches sitôt l'endroit où ils passeraient la nuit choisi ; trois recrues furent envoyées arpenter le sous-bois, deux autres partirent vers la rivière. Enfin, il y en eu un qui resta pour le feu et un autre qui rassembla leur vivre. L'heure du repas avait sonné.

 – Mauvais plan... soupira une énième fois Yuling en se relevant pour se frotter les tempes.

 – Prend-le comme une ultime épreuve, maugréa Solrik. On attend qu'ils s'endorment, on récupère ton œuf, et on file.

 Tapis du haut d'une butte qui surplombait leur campement de fortune, ils observaient le comportement de chacun. Les trois plus jeunes ne seraient pas un réel problème. En revanche, Astria...

 Yuling se concentra sur la flamme qui dansait dans la paume de sa main. Encore une qui maîtrisait ses pouvoirs. Ce ne serait pas une mince affaire.

 – Je m'occuperai d'elle, lui signifia Solrik en suivant son regard. La forêt remonte plus loin à l'est, le terrain ne sera pas à ton avantage. Si tu dois fuir...

 Les deux mains posées au sol, il ferma les yeux et fronça les sourcils.

 – Quelque chose ne va pas ? demanda Yuling.

 ~ C'est la première fois que je me sers autant de mon pouvoir...

 Il finit par rouvrir les yeux et pointa la forêt qui s'enfonçait à l'ouest.

 – Si tu dois fuir, prend dans cette direction. Tu finiras par tomber sur la rivière.

 – Et toi ?

 – Ne t'en fait pas pour moi. Après tout, je finirai bien par te retrouver ? lança-t-il, espiègle, en relevant vers elle son bras serti de lumière verte.

 Un mince sourire se dessina sur ses lèvres. Elle apprécia qu'il détende l'atmosphère. Elle n'aimait pas se confronter aux autres, mais elle allait bien devoir si elle souhaitait un jour partir au front à dos de dragon. Tout cela, cette épreuve, faisait partie de son apprentissage.

 Elle hocha la tête d'un signe entendu puis le regarda s'éloigner de quelques pieds.

 – Je reviens, lança-t-il avant de disparaître.

 Sa silhouette s'effaça sans prévenir, la laissant seule dans une forêt trop noire. Une brise fraîche chantait entre les branches. Des murmures s'élevaient du campement. Elle observa les chasseurs ramener une demi-douzaine de lapins à la lueur des flammes dansantes. Que se passerait-il si elle se faisait surprendre ? Que se passerait-il si elle tombait nez à nez face au dragon qui avait ravagé la montagne de cendres ?

 Yuling frissonna. L'épreuve n'avait pas le même goût selon si on la vivait à la chaleur des flammes ou perchée sur une butte, le ventre vide, les habits humides.

 Solrik réapparut tout à coup essouflé. Il parvenait à peine à parler lorsqu'il s'adressa à elle.

 – On nous a repérés, la prévint-il en tentant de garder son calme. Je n'avais pas prévu de m'approcher si près, mais j'ai surpris le groupe en pleine conversation. Ils parlaient de tambours qu'on entend résonner dans le lointain. Je pense que la Dragonnerie prévient à chaque fois qu'un apprenti réussit l'épreuve. Il ne nous reste plus beaucoup de temps.

 Il jeta un coup d'œil par dessus son épaule puis se retourna vers elle. Ses yeux bleus la dévisageaient dans la nuit.

 – Ils vont nous trouver, ce n'est qu'une question de temps. Je vais descendre le premier et je te fais signe. Tu gardes l' œuf avec toi, je m'occupe de récupérer ce qu'il nous faut. Si jamais l'un d'eux relève ta présence, pars devant et ne te préoccupe pas de moi. Tu n'auras qu'à aller vers la rivière. Une fois là-bas, il ne te restera qu'à la suivre pour rejoindre la Dragonnerie.

 – On se sépare ? lâcha Yuling tout à coup paniquée.

 Son sang ne fit qu'un tour. La peur lui vrilla les tympan tandis que son corps tout entier semblait se refuser à cette solution

 – C'est plus sûr ainsi.

 – Et s'ils mettent la main sur notre œuf ? l'interrogea-t-elle.

 – Ecoute...

 Il posa doucement ses doigts sur sa main, dans l'espoir de la rassurer.

 – J'ai vu ce dont tu étais capable, j'ai confiance en toi.

 Solrik soutint son regard tout en laissant planer le silence. Elle y lut toute la détermination qui l'animait ; il était hors de question qu'elle laisse un tel scénario se produire. Elle devait protéger l' œuf coûte que coûte.

 – Je descends en premier, lui signala-t-il.

 Sans perdre une seconde de plus, le garçon s'élança silencieusement dans la nuit. Une fois parvenu à mi-chemin entre son point et le campement, il lui envoya un signal, l'invitant à le suivre.

 – Pour Mees, pour mon dragonneau, pour Yör, murmura-t-elle en fermant les yeux.

 Puis, bravant la peur qui lui dévorait les entrailles, la jeune fille s'enfonça à son tour dans les bois.

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