34 - Quatrième épreuve (1/2) (à réécrire)

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 – Voici la dernière épreuve, annonça Maître Torrish. Chacun à votre tour, vous entrerez dans cette salle lorsque vous serez appelé. Pour réussir, il vous faudra affronter vos peurs les plus profondes. Celles dont vous ne connaissez probablement pas l’existence. Je vous souhaite bon courage !

 Yuling redoutait cette dernière épreuve. D’autant plus qu’elle avait eu tout le temps de cogiter avant qu’on ne l’appelle. On avait testé son endurance, ses réactions face aux dragons, sa magie... Et il restait encore beaucoup trop de candidats. Cette dernière épreuve serait déterminante.

 Lorsque la voix prononça son nom, elle se leva, poussa le battant et se retrouva une nouvelle fois plongée dans l’obscurité.

 « Affronter ses peurs... », murmura-t-elle pour elle-même. Avait-elle peur du noir ? Non, elle l’aurait su avec le temps.

 Ses doigts s’arrêtèrent sur la paroi rocheuse. Visiblement, oui, elle se trouvait bien dans une sorte de projection car rien, à l’extérieur de cette salle, ne laissait présager que les murs ressembleraient à l’intérieur d’une grotte. Elle avança prudemment, ne sachant pas ce qu’elle allait découvrir, puis entendit le bruit léger de l’eau qui goutte. Un rayon de lumière filtra à travers la roche.

 « Étrange… » pensa-t-elle en ayant l’impression de revivre une scène qui lui était familière.

 Des aboiements lui parvinrent. Des aboiements ?

 Yuling tourna la tête : les aboiements se rapprochaient. Et brusquement elle se retrouva projetée deux semaines en amont, lors de sa rencontre avec Yör. Affolée, elle se retourna, cherchant du regard celle qui avait accompagné ses rêves : elle était toujours là, qui l’observait, tapie dans un coin de la grotte.

 Yuling sentit une vague d’appréhension lui compresser l’estomac. Yör était moins grosse que dans ses souvenirs. Plus alerte, aussi. Mais la lueur chaleureuse qui brillait dans son regard témoignait de l’affection qu’elle lui portait. Et aussi éphémère soit cet instant, la jeune fille ne cherchait qu’à se laisser porter par la douceur de son amour.

 « Yör, est-ce que tout ce qui m’arrive, m’arrive à cause de toi ? »

 La dragonne ne répondit pas. Les aboiements revinrent, plus proches, plus insistants.

 « Yör, pourquoi suis-je là ? »

 La dragonne tourna brusquement la tête :

 « Fuis ! » grogna-t-elle dans son esprit. « Va-t-en ! »

 Yuling hésita, porta la main à sa poitrine et recula. Elle ne comprenait pas. Une forte migraine lui donnait le tournis. Yör était là, bien réelle. Les souvenirs résonnaient en elle. L’épreuve. Ses peurs. Quelle épreuve ? Quelles Peurs ? Illusions et réalité se mélangeaient. Elle n’aurait pas dû se trouver là. Et n’aurait pas dû revoir Yör. C’était une erreur. Elle avait entendu les chiens, la première fois aussi, et n’avait osé imaginer la suite. Elle s’était fait une raison : quelques cabots ne viendraient pas à bout d’un dragon. Mais une infime pensée s’était glissée dans son esprit : et si elle avait tors ? Et si Yör courrait un danger ? Et si elle l’avait délibérément écartée pour la protéger ?

 Non. C’était absurde.

 À l’extérieur, les jappements se rapprochaient. La dragonne se redressa lentement, gronda tout en lui jetant des coups d’œil inquiets. Yör était inquiète. Et ce n’était pas l’excitation qui la rendait nerveuse : il y avait plus. C’est alors que Yuling remarqua un œuf. Un œuf assez petit pour qu’elle le confonde avec une grosse pierre. Il avait fallu que la dragonne se décale pour qu’elle l’aperçoive, jalousement protégé dans la pénombre.

 – Par ici ! entendit-elle crier avant qu’un sifflement ne vrille ses tympans.

 L’homme rappelait ses chiens.

 Un frisson la traversa. L’espace d’un instant, Yuling retint sa respiration. Mais les aboiements semblèrent s’éloigner, et elle put à nouveau reprendre son souffle. Ses yeux glissèrent sur l’œuf, embarrassée que la dragonne lui dévoile une partie de ses secrets, et ses joues rosirent malgré elle. Voilà qui expliquait le sentiment de sérénité qu’elle avait ressentit en sa présence : Yör était maman.

 La jeune fille croisa le regard soucieux de la dragonne et lui sourit tristement. Elle ne savait pas comment lui exprimer sa gratitude, et de toute façon le moment semblait mal choisi. Mais elle lui était profondément reconnaissante.

 Les aboiements refirent soudain surface, rompant le silence tout juste retrouvé de la caverne. Yuling se mordit la lèvre. Yör grogna.

 – Je crois que j’ai trouvé l’entrée ! entendit-elle à nouveau.

 Cette fois, ils se trouvaient tout près. Prise de panique, la jeune fille se retourna et fixa l’endroit d’où lui était parvenu la voix. Le souffle rauque de la dragonne s’engouffrait dans son cou. Yör était furieuse.

 Durant les minutes qui suivirent, le temps sembla comme se suspendre. Loin de refléter le calme auquel ce silence l’invitait, Yuling sentit son cœur s’affoler. Elle tenta de se calmer en respirant un grand coup. Ses yeux glissèrent sur l’œuf, à l’abri dans un coin de la caverne. Puis sur Yör, attristée. Que se passerait-il si jamais il lui arrivait quoique ce soit ? Que deviendrait son bébé ?

 La poitrine douloureuse, compressée par l’angoisse qui la rongeait de l’intérieur, Yuling avait peur. Peur qu’il n’arrive quelque chose à sa dragonne. Peur de ne pas pouvoir oublier ce qui allait suivre, comme si les scènes à venir resteraient à jamais gravées dans son esprit.

 Un bruit retentit et Yuling se figea. Elle avait la sensation, au fil des secondes, que cette attente ne pouvait que mal se terminer. Yör se tendit, son dos se hérissa et ses babines se retroussèrent, dévoilant ses crocs effilés.

 Quand le premier chien jaillit, la dragonne se jeta sur lui et lui brisa la nuque. Un grondement retentit et fit vibrer les parois avec rage. Sa mâchoire claqua, brisa de haine et de vengeance. Ses yeux reflétaient cette lueur, ce mélange d’intelligence et de colère, de colère et de mépris qu’elle éprouvait à se savoir supérieure. Ces chiens n’étaient rien.

 Les premiers hommes à franchir son repère furent réduits en pièce. Leurs armures se retrouvèrent projetées contre les murs. L’instinct semblait guider les crocs de Yör. Le sang, ces humains qui la rendaient folle et dont les voix retentissaient entre les murs de sa grotte.

 Tremblante, Yuling assista au massacre partagée entre l’horreur et la consternation. Les cadavres qui jonchaient le sol étaient ceux d’humains, ceux de gens comme elle. Quand elle avait pensé « dragon », elle n’avait pas un seul instant imaginé une telle violence. Pourtant, elle aurait dû s’y attendre, car le carnage qui s’offrait à ses yeux était la raison même qui avait valu aux dragons leur réputation de monstre.

 Sans prévenir, son estomac se contracta. La jeune fille se retint tant qu’elle put mais finit tout de même par rendre tout son repas ; c’était plus qu’elle ne pouvait en supporter.

 D’autres voix survinrent. Yuling sentit son cœur se serrer ; un groupe d’homme approchait. Yör bondit, la gueule béante. Ses crocs se refermèrent sur le premier qui apparut, l’envoyant valser dans les airs. Sa queue faisait vibrer l’air en saccade contre les parois de la caverne. Elle n’avait rien du dragon rouge qui s’affichait en comparaison dans l’esprit de la jeune fille. Plus petite, plus fine, plus alerte, son agressivité la rendait impalpable. Digne, fière, sauvage et insaisissable.

 Soudain, un homme se glissa dans son ombre. Yuling sentit son regard happée, comme subjuguée par sa beauté. Ses longs cheveux blancs épousaient son dos jusqu’à la taille. Sa silhouette, pareille aux rayons de lune un soir de tempête, se détachait avec assurance de la pénombre. Il présentait une finesse rare, dans ses traits, dans son port et ses mouvements. Un nez droit, le teint clair et des lèvres couleur pêche. Mais aussi des pupilles rouges. Rouges comme le sang qui venait de couler.

 Yör gronda. Elle ne l’avait pas senti passer. Elle se redressa, nerveuse comme un félin tapis dans l’herbe, la queue fouettant frénétiquement l’air. Une sphère lumineuse venait d’apparaître dans les mains de l’homme. La dragonne la fixa tandis qu’un long grognement s’élevait de ses entrailles. Pour une raison inconnue, Yör n’attaquait pas. Prudente, elle avait même reculé.

 « Va-t-en », gronda-t-elle dans l’esprit de Yuling.

 Mais la jeune fille n’osait pas bouger. La sphère grossissait à vu d’œil, et la dragonne piétinait le sol, impatiente. Un des soldats tenta bien de la surprendre. Il s’approcha dans son dos une fraction de seconde trop tard ; la dragonne se retourna, sa mâchoire claqua, se refermant avec violence sur le corps. Sa réaction avait été si fulgurante que Yuling se débattit pour ne pas céder à la panique. Serait-elle la prochaine ?

 « Non », tenta-t-elle de se raisonner. Yör lui avait intimé de s’enfuir. Elle n’était pas comme lui. « Pas comme eux », songea-t-elle en en laissant son regard dériver vers l’autre homme. L’odeur de la mort lui parvenait par bourrasques. Il faisait de plus en plus chaud, elle peinait même à respirer. Mais personne ne semblait a remarquer. Pas même lorsqu’elle se mit à tousser.

 « Va-t-en », insista la dragonne.

 Yuling sentit la panique monter. En pleine fournaise, ses jambes tremblaient. La sphère grossissait tant qu’elle tendait à remplir le peu d’espace qu’il restait. Son éclat accrochait le regard, vif et brûlant. Elle aurait dû écouter Yör. Fuir tant qu’il en était encore temps. Mais il état trop tard.

 La sphère s’interposait entre elle et la sortie. La dragonne blanche, tapie contre le mur de la caverne, se déchaînait avec rage. Ses mâchoires claquaient dans le vide, ses naseaux soufflaient bruyamment. Tous sens en alerte, elle fixait son ennemi une lueur sauvage dans les yeux.

 Il ne pouvait y avoir de fin heureuse. Elle et Yör étaient prises au piège.

 Le temps se mit à ralentir. L'air s'emplit du vrombissement sourd de la magie. Impatiente, Yör se redressa, déployant ses ailes dans toute leur splendeur. Au même instant, la sphère se mettait à irradier. En à peine une fraction de seconde, la caverne fut inondée d’une lumière blanche si aveuglante que la jeune fille dut se couvrir les yeux. Un rugissement poignant s'éleva alors des profondeurs de la terre ; une complainte agonisante qui saisit Yuling aux tripes, les tordant de douleur comme si la mort y avait planté ses crocs. Yör.

 Yuling regarda le corps de celle qui l’avait guidée se cambrer, avant qu’il ne s’immobilise, inerte sur le sol.

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