33 - Troisième épreuve (à réécrire)

9 minutes de lecture

 – Comment s’est passé ton épreuve ? demanda Ewa à Yuling lorsqu’elle eut regagné sa tente. Je ne sais pas toi, mais pour moi, le dragon était juste magnifique !

 Sa voix résonnait d'enthousiasme ; elle ne regardait son amie qu'à moitié, les yeux remplis d'étoiles au souvenir de l'épreuve qu'elle venait de traverser.

 Yuling haussa les épaules, elle se voyait mal lui avouer l’instant de panique qui l’avait figée au milieu de la carrière ni les frissons qui l’avaient traversée en s’imaginant broyée entre les mâchoires du dragon. N’était-il pas normal de ressentir de la peur ? Mais plus important, elle était tout de même parvenue à cacher son état aux Maîtres. La matinée ne s'était pas si mal passée finalement.

 La troisième épreuve succéda rapidement à la seconde. Une tension de plus en plus palpable gagnait le camp ; des conflits éclataient entre les candidats à bout de nerfs. Plusieurs fois, les Maîtres durent intervenir et plusieurs fois, Yuling crut que les candidats seraient disqualifiés, mais il n'en fut rien.

 Depuis le départ de Dame Calwaën, la veille, la jeune fille n'avait pas eu de nouvelles de Solrik. La culpabilité s'emparait d'elle ; quelle justice existait-il pour qu'elle puisse ainsi continuer les épreuves quand son partenaire gisait entre la vie et la mort ? Que se passerait-il si elle réussissait et pas lui ?

 Lorsque le Maître dépêché par la Dragonnerie annonça le rassemblement, elle n'en menait par large. Elle s'était attendue à ne devoir répondre présente que le lendemain. Or, l'épreuve fut annoncée l'après-midi même. La douleur dans sa poitrine pulsait sourdement à chaque battement de cœur. Elle pria en son fort intérieur pour qu'une dose de courage suffise à la faire taire.

 – Troisième épreuve, troisième épreuve… marmonna le Maître en cherchant dans ses papiers. Ah oui. Test de magie… Je ne vais pas tout vous réexpliquer une seconde fois. Lorsque vous entendrez votre nom, vous n’aurez qu’à suivre un de mes collègues. En attendant, s’il y a des désistements, c’est avec moi qu’il faut voir ça.

Des désistements ? pensa Yuling, surprise.

 Comment pouvait-on renoncer après s'être tant battu pour en arriver là ? Yuling se mordit la lèvre en silence. Comme il restait un peu de temps avant qu’on ne l’appelle, elle avisa un rocher, un peu plus loin, sur lequel s’asseoir. Elle et Ewa écoutèrent les noms défiler en attendant leur tour.

 Puis vint enfin le sien.

 Ewa lui adressa un rapide signe de la main alors qu’elle s’éloignait, foulant le même chemin que la toute première fois. Cette fois, ils contournèrent les murs mais s'arrêtèrent bien avant le Volarium. Sous une alcôve encastrée dans la façade est de la Dragonnerie, ils empruntèrent une porte qui les conduisit directement à un long couloir austère. La pierre était froide, l'air, humide. Le plafond s'élevait à deux bonnes hauteurs d'homme ; Yuling frissonna, autant d'inconfort qu'elle était impressionnée.

 Sans oser prononcer le moindre mot, elle suivit le Maître lorsqu'il prit la direction opposée après avoir refermé la porte sur eux. Leurs pas résonnaient entre les murs. Sa respiration s'intensifia, son cœur martelait si fort sa poitrine que la douleur s'installa pour ne plus la quitter. Mais elle tint bon et avança sans broncher afin de faire bonne figure. Elle devait au moins ça à Solrik.

Tu vas réussir, tu auras ton dragon, se convainquit elle intérieurement.

 Elle avait du mal à se représenter l'édifice, hormis le fait qu'il était immense. Ils passèrent une bonne dizaine de portes et de couloirs avant de s'arrêter devant celle qui se trouvait à l'extrême opposé. Le Maître se tourna vers elle, et la pria de patienter :

 – Attendez-moi là, j’en ai pour une minute, prévint-il.

 Il disparut avant qu'elle n'ait eu le temps de comprendre ce qui se passait. Yuling en profita pour observer les alentours. De hautes fenêtres aux carreaux aussi épais que des cristaux laissaient passer la lumière. Elle devina entre les pierres des crochets qui avaient dû servir, il fut passé un temps, à exposer des tableaux. Hormis cela, rien ne trahissait une quelconque présence humaine entre ces murs. Sauf peut-être le sol élimé par les nombreux passages au fil des ans. L'endroit répondait clairement d'un charme austère.

 Un bruit soudain la fit sursauter. Yuling se retourna et sans comprendre ce qui lui arrivait, se retrouva propulsée au sol.

 – Oh pardon, excusez-moi, je ne vous avais pas vue, fit une jeune femme blonde en se précipitant vers elle.

 Elle était jolie et semblait plutôt jeune. Mais par dessus tout, elle était habillée comme un Maître. Elle l'aida à se relever tandis que Yuling se tenait la poitrine de douleur : sa vieille blessure venait de se réveiller. Meurtrie, elle laissa échapper un gémissement.

 – Vous allez bien ?

 Elle devait à tout prix se taire. Ne rien laisser paraître.

 – Je... Je crois que ça va, bafouilla-t-elle en mettant toutes les forces de son côté pour se relever le plus naturellement possible.

 – Vous êtes une candidate ?

 Yuling acquiesça.

 – La troisième épreuve, c'est ça ?

 Yuling hocha à nouveau la tête.

 – Ce n'est jamais facile mais ne vous découragez pas. On ne devient pas Héros sans efforts.

 Yuling ne sut quoi répondre tant elle fut prise au dépourvue. Sentant monter le rouge à ses joues, elle acquiesça une nouvelle fois timidement. Puis la jeune femme prit congés après s'être assurée qu'elle allait bien. Yuling reprit difficilement son souffle. elle l'avait échappé belle... Pour cette fois du moins. Mais la douleur était telle qu'elle avait du mal à concevoir la suite des épreuves.

Reste concentrée, reste concentrée, reste concentrée, se répéta-t-elle en boucle.

 Quand le Maître qui l'avait guidée jusque là réapparut derrière la porte, Yuling avait retrouvé le peu de contenance qu'elle se sentait encore avoir et se tenait aussi droite qu'un soldat ankylosé.

 – Désolé pour l'attente, dit-il en se décalant pour la laisser passer. C'est à vous, bonne chance !

 Il la salua d’un signe de la tête. Elle le remercia à son tour, puis pénétra dans la salle.

 L'épreuve suivante consistait à tester leur niveau de magie, encore un des critères primordiaux quand on voulait devenir un Héros. A peine entrée dans la pièce, Yuling se retrouva de nouveau face au jury. Elle reconnut parmi eux Maître Torrish, ainsi qu’une autre Dame, déjà présente lors de la première épreuve, assise aux côtés de Dame Enisti, qui les avait conduites au dortoir, la veille. Yuling ne savait pas quelle était la bonne attitude à adopter. Devait-elle la saluer, ou bien l’ignorer ? Elle dut la fixer une fraction de seconde de trop car la jeune femme hocha très légèrement la tête. En guise de réponse, Yuling lui adressa un sourire peu assuré.

 La Dame aux cheveux courts et grisonnants se leva et s’approcha d’elle. Yuling sentit à sa démarche que quelque chose n’allait pas. Elle semblait en colère, ou du moins agacé. Arrivée à sa hauteur, elle la fixa sévèrement.

 – Je suis Dame Morgen et serai chargée de vous tester. Mais avant de commencer, j’aurais quelques questions à vous poser. Avez-vous déjà approché un dragon ?

 Son regard la jaugeait sans ciller. Yuling sentit son cœur s’emballer. Que devait-elle répondre ? N’avait-elle pas approché un dragon lors de l’épreuve précédente ? Pourquoi lui posait-on cette question ? Savaient-ils pour Yör ?

 La Dame commença à montrer des signes d’impatience. Yuling à perdre ses moyens.

 – Je... Je ne sais pas... balbutia-t-elle, perturbée.

 – Allons, un peu de sérieux, jeune fille. Vous êtes ici présente pour devenir un Héros, il serait temps de vous reprendre. Avez-vous oui ou non déjà approché un dragon de votre vie ?

 – Non. Enfin, si, rectifia-t-elle prestement. Oui.

 Dame Morgen ouvrit de grands yeux. Les membres du jury la dévisagèrent en silence. Visiblement, ils ne s’attendaient pas à cette réponse de sa part.

 – Puis-je en connaître les circonstances ?

 Yuling inspira un grand coup, et expliqua d’une traite :

 – Un jour, mon village a trouvé un œuf de dragon dans la forêt. Nous l’avons recueilli et il se trouve qu’il a éclos.

 Dame Morgen fronça les sourcils, l’air grave :

 – Savez-vous seulement qu’il est interdit de côtoyer un dragon sauvage ? Pourquoi n’en avez-vous pas fait part à la Dragonnerie ?

 – Nous avons bien cherché à la contacter, mais lorsque les villageois sont revenus accompagnés du Maître responsable, le dragonneau était mort…

 – Ce qui est inadmissible ! Et je tiens tout spécialement à vous informer du caractère on ne peut plus sérieux de la Dragonnerie. Nous recevons chaque année des jeunes qui tous disent vouloir devenir Héros. Certains n’en ont pourtant pas forcément l’étoffe. Et ceux-là finissent bien souvent au rang d’Insi quand leurs semblables risquent leur vie pour sauver celle des autres. Pensez-vous réellement que votre place soit parmi nous ?

 A nouveau, la Dame émit une légère pause, suggérant qu’elle était responsable de ce qui était arrivé au dragonneau. Et elle n’avait pas tort… Yuling se sentait de plus en plus mal, regrettant par la même occasion de lui avoir révélé l’incident. Elle culpabilisait déjà bien assez comme ça.

 – Avez-vous seulement conscience que votre choix pourrait avoir de sérieuses répercussions ? insista-t-elle. Le genre de répercussions qui pourrait mettre en danger votre propre vie mais aussi celle de votre entourage ?

 Dame Morgen, agacée par son manque de réaction probant, l’observa d’un regard dur.

 – Bien, puisque je vois que mon intervention ne vous inspire pas davantage, je suppose que nous pouvons commencer ? De toute façon, ce devrait être rapide. Avez-vous déjà fait de la magie ?

 – De... De la magie?

 – Oui, de la magie, insista-t-elle, froidement.

 – Non…

 Et ce constat lui arracha des frissons. Non, elle n’avait jamais fait de magie, et si elle avait réfléchi aux répercussions de son choix, elle avait jusque là été persuadée qu’il n’engageait qu’elle.

 Dame Morgen se tourna vers ses collègues, les bras tendus au ciel, dans une démonstration exagérée :

 – Vous voyez, je vous l'avais bien dit !

 – Rosa ! gronda Maître Torrish en guise d'avertissement. Je vais prendre la suite.

 Il attendit que la Dame regagne sa place assise avant de se tourner vers Yuling :

 – Avez-vous déjà créé du feu, ou de la lumière ? Ce sont en général les formes les plus courantes susceptibles d’être adoptées par la magie. Mais il peut aussi y en avoir d’autres...

 Yuling n'eut pas besoin de réfléchir longtemps :

 – Non.

 – Vous est-il déjà arrivé des choses spectaculaires, des choses que vous ne sauriez vous expliquer ?

 Yuling songea à son étrange séjour dans les cavernes. À comment elle s’était retrouvée aux côtés de Yör, téléportée comme par magie. Puis comment elle en était repartie, avec l’étrange certitude que cet épisode tumultueux ne résultait pas de ses propres capacités, mais bien d’une intervention extérieure.

 – Non, s'entendit-elle répondre.

 Maître Torrish afficha un regard soucieux et fit signe à son collègue de s’approcher :

 – Maître Conryun, je vous prie...

 L’homme vint placer ses mains sur les épaules de la jeune fille et ferma les yeux. Yuling le sentit si concentré qu'elle en oublia elle-même le jury, la magie, et tout ce qui se rapportait à l’épreuve. Après de longues minutes pendant lesquelles il sembla perdu dans un autre monde, Maître Conryun rouvrit les yeux, à la fois inquiet et soulagé :

 – Pouvoir passif, dit-il sans aucune hésitation.

 Maître Torrish acquiesça :

 – Bien, jeune fille. Vous pouvez disposer.

***

 – Comment ça, pouvoir passif ? s'indigna Dame Morgen lorsque Yuling eut disparu. Elle était effrayée lors du dernier test et maintenant vous la laissez passer avec un pouvoir passif ? Vous allez nous créer une Insi de plus ! cria-t-elle, hors d'elle.

 – Les règles ne stipulent pas qu'il faille un pouvoir spécifique pour devenir Héros, précisa Maître Sylga devant la véhémence de sa collègue.

 – Oh... Ne me prenez pas pour une idiote, vous savez très bien ce que je veux dire !

 – Peut-être que son pouvoir s'activera avec la maturité ? hasarda Maître Conryun.

 – Je suis à mon poste depuis quarante ans, reprit Dame Morgen, et des Héros j'en ai vu défiler plus que vous tous réunis. Une passive, et effrayée par les dragons, par dessus le marché... J'espère que vous serez encore capable de vous regarder dans un miroir quand elle se fera dévorer par son dragon. Vous signez sa condamnation, c’est moi qui vous le dis !

 Excédée, Rosa quitta la pièce comme une furie.

Annotations

Vous aimez lire Gwenouille Bouh ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0