Esnery I (2/2)

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***

Malaebus la rejoignit peu avant que les gardes ne laissent entrer le premier doléant : un fermier en sueur, le dos vouté par l'âge et le labeur, qui portait une tunique brune et rongée. Il se plaça au centre et s'inclina. Esnery lui signala de prendre la parole.

— Ma reine, je m'en remets à votre protection. Je viens de loin, des contrées au-delà du fleuve Elemdor, pour quémander votre aide. Notre bétail souffre. Depuis quelques semaines, les bêtes de font décimées. Il nous en reste à peine pour terminer la saison. Notre communauté a peur, je crains pour ma famille.

— C'est proche des montagnes d’Émeraude, souffla le seigneur à la jeune femme.

— Azanor ? répondit-elle, agacée. Il ne va donc jamais me lâcher celui-là.

— Nous ne sommes sûrs de rien pour le moment, mais n'écartons pas d'hypothèse.

La souveraine acquiesça et s'adressa au paysan :

— Je suis fort navrée d'entendre de telles nouvelles. J'enverrais une troupe vous raccompagner et enquêter sur ces assassinats. Je ne tolérai pas que l'on trouble l'ordre et le calme de nos contrées.

Le fermier sourit et s'inclina à nouveau. Il s'exclama, d'une voix plus enjouée :

— Merci ma reine. Que Shallagaar vous préserve !

Esnery lui rendit un sourire gêné. Elle en avait marre que tout le monde invoque l'Ancien Dieu à tout bout de champ. Ils en oubliaient que la solution à leurs problèmes résidait bien souvent en eux.

Le plaignant quitta la salle du trône et Malaebus suggéra :

— Votre Majesté, peut-être devrions-nous démarrer le voyage ? Le mariage du prince arrive à grands pas et nous risquerions d'être en retard. Le roi de Kaaloss en serait fort contrarié.

— Vous avez sans doute raison, affirma la reine. Prévenez l'amiral Dussel de venir au château.

— Ce sera fait, madame.

Elle réfléchit. Cette union tombait mal. Elle scellait l'amitié des humains et des orcs et cela réduisait son influence sur le Continent. S'ils venaient à supporter son renégat de beau-fils, sa prospérité sur le trône en serait compromise.

La jeune femme devait être maligne. Elle se leva du trône et épousseta sa robe blanche avant de se tourner vers le vieil elfe.

— Seigneur Malaebus, merci beaucoup pour votre compagnie aujourd'hui. Vos conseils m'ont été d'une aide précieuse.

— Tout le plaisir était pour moi, répondit le vassal avec une révérence.

La reine sourit et quitta la pièce pour sa chambre. Son château était une forteresse construite en bord de mer. Ses murailles offraient une somptueuse vue sur la Mer de la Tempête, qui tenait son nom de sa météo souvent orageuse et des nombreux naufrages qu'elle a causé. Esnery détestait naviguer mais si elle voulait arriver à Kaaloss à temps, elle n'avait pas le choix. Galoper jusqu'à Cendor, en passant par l'empire Galure, serait trop long.

Les couloirs représentaient un vrai dédale de virages et de portes, accompagnés d'une armée de torches. L'édifice était fait de marbre et ses nombreuses fenêtres apportaient une ambiance lumineuse et chaude, même lors des rudes hivers. Seul l'écho de ses pas accompagnèrent la souveraine sur le passage.

L'elfe entra et s'étala sur le lit. L'été ne lui rendait pas la tâche facile. Les températures grimpaient ces derniers jours et sa peau avait foncé. Elle ressemblait presque à ces pairs du Sud, dont le pigment était proche de l'ébène à cause du travail quotidien de la terre.

La jeune femme souffla de fatigue et s'essuya le front. Elle se changea en une tenue fine et plus décontractée et sortit du donjon pour rejoindre la salle de réunion. Celle-ci était rectangulaire, munie d'une longue table d'érable et d'une douzaine de chaises taillées du même bois. Au bout, un fauteuil avec des accoudoirs incrustés de rubis lui servait de place. La reine recevait ici ses seigneurs, ses chefs militaires ou ses invités, lorsqu'il s'agissait de discuter d'affaires. La pièce bénéficiait entre autres de tiroirs dans lesquels étaient rangées de précieuses cartes.

L'amiral Dussel l'attendait et se mit au garde-à-vous pour l'accueillir. Cette dernière inclina la tête et indiqua au soldat de s'asseoir, ce qu'elle fit également. Le vieil elfe avait le teint grisâtre et le visage marqué par les batailles qui l'avaient marqué plus jeune. Esnery lui donnait au moins quatre cent ans, un âge avancé pour son espèce. C'était un vétéran expérimenté et le meilleur marin de tout le Continent. Il avait été placé à la tête de la marine royale de Nélide par le roi, et elle avait jugé bon de l'y laisser.

— Amiral Dussel, merci d'être venu, fit la reine avec un sourire.

— Vous m'avez fait demander pour le trajet jusqu'en Kaaloss, n'est-ce-pas ? demanda le militaire qui devinait les mots de sa souveraine.

— Tout à fait, confirma-t-elle. Avez-vous terminé de charger les navires ? Quand pouvons-nous naviguer selon vous ?

—Tout est prêt, ma reine. Les prévisions sont clémentes, je pense que nous pouvons partir dès demain. Le voyage ne sera pas long, les vents du Sud nous sont favorables.

— Fort bien. Si tel est le cas, je vais terminer de préparer mes affaires.

Esnery était satisfaite. Comme l'avait dit Malaebus : arriver en retard au mariage du prince d'un pays allié n'aurait pas été bon pour sa cote. Surtout avec son beau-fils dans les parages. Elle sourit et continua :

— Quelque chose d'autre à me signaler ?

— Ma foi non, répliqua Dussel. Les marins ont fait du bon travail. Certains ont hâte d'accompagner la reine en mer. C'est un honneur pour moi aussi. Nous n'avons pas encore eu l'occasion de fendre les flots ensemble.

— C'est vrai, dit la jeune femme avec un sourire. Je ne suis pas très attachée à l'océan. Ma famille vient des plaines.

— Je me souviens. Votre père, le seigneur Eladar, est un excellent cavalier. Avez-vous des nouvelles de lui ?

— Il gouverne toujours sur ma région natale et m'aide beaucoup à gérer le royaume. C'est un meneur hors pair.

— Je n'en doute pas.

Esnery parlait rarement de son père car celui-ci aimait rester dans l'ombre, mais c'était un atout de taille. Elle estima la discussion terminée et se leva. L'amiral fit de même et s'inclina.

— Amiral Dussel, je vous remercie encore une fois pour tout ce que vous faîtes pour notre pays. Vous êtes irremplaçable.

— Tout le plaisir est pour moi, ma reine.

L'homme baisa la main de cette dernière et quitta la salle de réunion. Après qu'il ait fermé la porte, l'elfe se rassit et attrapa sa tête.

Maintenant que les préparatifs du voyage étaient résolus, elle devait encore élaborer la manière dont elle allait se présenter lors du mariage. Elle devait les éblouir tous.

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